De Charm el-Cheikh à Dubaï : que retenir de la COP27 et quelles perspectives pour la COP28 ?
Par Imane Saidi
Chercheuse
& Iskander Erzini Vernoit
Directeur executif chez Imal
Après deux semaines de négociations, de compromis et de marchandage, la COP27 a abouti sur des décisions pour les pertes et dommages, l’adaptation, l’atténuation et la finance internationale. Face à la polycrise historique à laquelle le monde est confronté, la COP aurait dû être un instant propice à une grande solidarité des pays riches envers les pays pauvres touchés par les conséquences climatiques, à une action concertée sur l’adaptation aux impacts, à un renforcement des «NDCs» pour prévenir un futur réchauffement catastrophique, ainsi que des progrès en matière de financement nécessaires pour réaliser l’action précitée. A-t-elle réussi à accomplir ces tâches? Quelle est la pertinence de Charm el-Cheikh en 2023, pour le Maroc et les autres pays africains et arabes? Quelles sont les perspectives de la COP28 à Dubaï, aux Émirats arabes unis en décembre ? En tant qu’observateurs non étatiques participants aux négociations de Charm el-Cheikh, nous offrons quelques réflexions initiales.
Pertes et dommages
L’approbation du Fonds des pertes et dommages est une réussite historique et le fruit de 30 années de plaidoyer et de revendications de la part des pays vulnérables et de la société civile. Ce fut acquis malgré l’opposition historique des pays développés qui craignaient une responsabilité (exclusive) et par-là, une indemnisation.
Cette négociation a été caractérisée par une position unie et forte du G77+Chine et aussi des petits États insulaires, qui ont fixé des seuils de réussite élevés, tandis que des pays développés ont tenté de faire valoir des arguments procéduraux pour retarder ou affaiblir le langage sur l’arrangement financier. La décision sur le fonds, concernant les pertes et dommages, est importante pour le Maroc et les pays partageant les mêmes sensibilités dans le sens où elle peut fournir un financement post-catastrophe, y compris à évolution lente due au changement climatique comme la sécheresse, la désertification et la montée du niveau de la mer. Des décisions importantes sur l’opérationnalisation du fonds seront négociées en 2023 avec un comité de transition pour décider quels pays vont payer.
En même temps, les gouvernements ont fait avancer la structure de gouvernance et le processus de sélection du Réseau de Santiago sur les pertes et dommages, qui fournira une assistance technique aux pays en développement et deviendra pleinement opérationnel d’ici la COP28.
Adaptation
En matière d’adaptation, les progrès réalisés ont été appréciables, mais pas à la hauteur de ce qui était attendu pour pallier les revendications des pays en développement. En effet, les parties n’ont pas été en mesure de définir l’objectif mondial en matière d’adaptation, mais elles ont établi un cadre pour guider sa formulation. Il y aura plusieurs opportunités pour les parties prenantes en vue de contribuer à un niveau technique cette année. L’objectif sera adopté lors de la COP28.
Concernant l’engagement pris dans le cadre du Pacte de Glasgow de la COP26 de doubler le financement de l’adaptation d’ici 2025 par rapport aux niveaux de 2019, les pays développés n’ont pas fait de progrès significatifs, ce qui laisse les parties moins confiantes quant à la réalisation de cet objectif d’ici 2025. Ainsi, les parties ont convenu de demander au «Standing Committee on Finance de la COP de préparer un rapport sur ce doublement du financement, afin d’offrir plus de détails pour examen à la COP28.
Le Fonds d’adaptation a reçu 243 millions de dollars sous forme de promesses et de contributions à la COP27, mais les besoins, pour cette institution et d’autres, sont beaucoup plus élevés, étant donné qu’un doublement signifierait 40 milliards par an. Le coût du plan des Nations unies visant à garantir que toute la planète soit couverte par des systèmes d’alerte précoce au cours des cinq prochaines
chaines années, est évalué, à lui seul, à 3,1 milliards de dollars.
Atténuation et transition énergétiques
La COP de Charm el-Cheikh n’a pas réussi à sécuriser le premier objectif du processus de la COP, à savoir la prévention des perturbations anthropiques dangereuses du système climatique. Sur la base d’un nouveau consensus scientifique, la COP de Glasgow a mis l’accent sur l’importance de ne pas dépasser 1,5°C de réchauffement. Cependant, la COP27, avec ses progrès sur la “Mitigation Work Programme”, n’a pas répondu aux questions difficiles concernant les responsabilités nationales en matière d’atténuation et le soutien financier international. Ces questions referont sans doute surface à la COP28. Un nouveau débat a émergé à Charm El Cheikh sur la question de savoir si les parties pourraient s’engager à éliminer progressivement l’électricité produite à partir des énergies fossiles, une proposition de l’Inde. Pour rappel, à Glasgow, la COP26 s’est clôturée par un compromis prévoyant une «phase down» (réduction progressive) de l’électricité produite à partir du charbon, après un désaccord avec l’Inde sur la formulation de «phase out» (l’élimination progressive). Bien que la proposition de l’Inde ait reçu le soutien de beaucoup de pays, le consensus n’a pas évolué depuis la COP26. Ceci reflète à la fois le poids des blocs de négociateurs des pays exportateurs d’énergie fossile, mais aussi, plus généralement, celui des pays en développement qui cherchent à augmenter la production d’électricité pour leurs citoyens ainsi qu’une plus grande assurance sur le soutien financier international pour leurs transitions énergétiques. L’influence des intérêts pétroliers et gaziers a aussi été mise en évidence par une analyse de données, compilées par quelques ONGs, qui montre que des centaines de lobbyistes des industries fossiles étaient présents à la COP. Néanmoins, du côté de notre continent, la transition énergétique est de plus en plus considérée comme une opportunité pour relever les défis du changement climatique tout en renforçant la compétitivité, la souveraineté énergétique et la résilience des économies africaines, notamment pour ceux qui importent le charbon, le gaz, ou le pétrole.
Dans la Déclaration finale de la COP27, «just transitions to renewable energy» ont été identifiés comme essentiels pour faire face à la crise énergétique, au pluriel, car ils correspondent à des processus de transformation spécifiques au paysage socio-économique de chaque pays africain, et non à un modèle statique et transposable.
Dans leurs pavillons à Charm el-Cheikh, les pays africains ont mis en exergue des moyens d’action et des besoins pour mettre en œuvre leur transition énergétique, qui sont propres à leurs contextes énergétiques. Pour le Maroc, par exemple, la COP27 a été l’occasion de présenter les expériences qui ont positionné le Royaume comme un leader en transition énergétique dans le monde arabe et africain. En 2023, les pays comme le Maroc ont l’occasion de traduire leurs ambitions stratégiques de transition énergétique en besoins financiers, notamment dans l’exploration du Power-to-X (la production d’hydrogène vert et de molécules vertes comme l’ammoniac) et l’accélération de la mise à l’arrêt de l’infrastructure fossile. Une approche proactive en 2023 contribuerait à assurer que ces ambitions énergétiques puissent être soutenues par des financements concessionnels à grande échelle, issus des programmes d’assistance des pays riches et des institutions financières internationales qui réforment leurs approches.
Finance internationale
L’ultime pomme de discorde demeure la réalisation de la promesse de 100 milliards annuels de dollars en finance climat, prévue pour 2020-2025 : un engagement envers les pays en développement désormais devenu un symbole de la fugacité des engagements des pays développés. À ce rythme, le seuil des 100 milliards ne sera franchi qu’en 2023, même par les estimations généreuses des pays développés. Dans l’intervalle, des négociations sont déjà en cours pour développer l’objectif successeur pour remplacer l’objectif de 100 milliards après 2025, un «New Collective Quantified Goal» plus large.
Cependant, un débat est en train de surgir sur la question de la «Financial contributor base», mandaté pour approvisionner les fonds pour le climat, compte tenu de pays comme les États-Unis qui sollicitent la contribution d’autres pays à revenu élevé, notamment la Chine et les États arabes du Golfe. Ici, mis à part les jeux de blâme et de géopolitique, le contexte plus large est que des milliers de milliards d’investissements sont nécessaires chaque année dans le monde entier, mais jusqu’à présent, malgré l’urgence, de nombreux pays développés ne contribuent même pas au niveau du 0,7% du RNB qu’ils se sont engagés à consacrer dans les années 1970 à l’aide publique au développement.
À haut niveau, l’attention politique à Charm El-Cheikh s’est focalisée sur une ambition plus essentialiste de réforme de l’architecture financière internationale. Pour rappel, cette réforme a été réclamée par Mia Mottley, premier ministre de la Barbade, dans son «Bridgetown Agenda», à la COP26 en 2021» et à l’Assemblée générale des Nations unies» en septembre 2022» au motif que les institutions de Bretton Woods «ne servent plus au XXIe siècle l’objectif qu’elles ont servi au XXe siècle». Cet appel a été soutenu par le président Emmanuel Macron, qui a annoncé la tenue d’une conférence internationale sur un nouveau pacte financier avec le Sud, en juin 2023.
Le moment ne pourrait pas être plus urgent, avec la montée des crises économiques pour les pays en développement, confrontés à des défauts de paiement dans le service des dettes internationales, au milieu d’un système international inégal d’accès au capital, autant pour l’action climatique que pour le développement.
Perspectives pour 2023
L’année 2023 sera jalonnée de rencontres et d’échéances qui seront des occasions pour refléter les voix des pays du Sud dans le processus de réformes du système international. Pour les pays africains, il sera important de suivre la participation de l’Union africaine aux moments clés de la politique financière internationale, notamment à la préparation de la conférence du président Macron et au G20, présidé par l’Inde (à un moment où les États-Unis et la Chine ont exprimé leur soutien à l’adhésion de l’Union au G20), et bien sûr à l’Assemblée générale des Nations Unies qui comprendra également un sommet sur l’action pour le climat, convoqué par le secrétaire général. Cette séquence de grands sommets économiques, en 2023, aboutira à la Réunion annuelle du Fonds monétaire international (FMI) et de la Banque mondiale (BM) en octobre, quelques semaines avant la COP28. Les Émirats, qui présideront la COP28, sont également à la tête de la «Development committee» du BM/FMI. Dans l’histoire de ces institutions de l’architecture internationale, créées dans les années 1940, ce n’est que la deuxième fois depuis 1973, soit après 50 ans, que ce sommet se tient en Afrique. À ce titre, cette conférence se tiendra en 2023 à Marrakech, au Maroc. La question de la réforme intervient à un moment charnière pour le monde où les crises climatique, énergétique, alimentaire et de la dette mettent à rude épreuve les capacités des pays en développement. Des corrections majeures sont nécessaires et ne seront possibles que si les pays «frères» africains et arabes réussissent à travailler ensemble pour parler haut et fort au monde de leur vulnérabilité, de leur résilience et de leur vision de l’avenir.