Opinions

Coups d’État militaires en Afrique : faillite de la gouvernance civile ?

Par Jawad KERDOUDI
Président de l’IMRI (Institut marocain des relations internationales)

Six coups d’État militaires ont eu lieu en Afrique de l’Ouest en l’espace de trois ans. Le premier a eu lieu au Mali le 18 août 2020 avec le renversement du président Ibrahim Boubacar Keïta. Après la formation d’un gouvernement de transition, un nouveau coup d’État a eu lieu, portant au pouvoir le colonel Assimi Goïta en juin 2021, lequel a promis des élections pour février 2024. Ce fût ensuite le tour de la Guinée Conakry où le président Alpha Condé a été renversé le 5 septembre 2021 et remplacé le 1er octobre 2021 par le colonel Mamadi Doumbaya, qui a également promis à un retour au pouvoir civil en 2024.

Le Tchad a suivi le 20 avril 2021, après la mort du président Idriss Déby, lors d’une offensive au Nord du Tchad et qui a été remplacé par son fils Mohamed Idriss Déby Itno sans tenue d’élections. Le feuilleton des coups d’État militaires dans l’Afrique de l’Ouest s’est poursuivi au Burkina Faso où le président Kaboré a été chassé le 24 janvier 2022 et remplacé par le colonel Paul-Henri Sandaogo. Ce dernier a été lui-même chassé du pouvoir par le capitaine Ibrahim Traoré le 30 septembre de la même année. L’épidémie des coups d’État ne s’est pas terminée, puisque ce fût le tour du Niger où le président Mohamed Bazoum, régulièrement élu, a été écarté par le général Abdourrahmane Tiani, le 26 juillet 2023. Ce dernier a promis une transition de trois ans maximum. Enfin, ce fût le tour du Gabon où le président Ali Bongo a été renversé le 30 août 2023 par le général Brice Oligui Nguema.

Inquiétante tendance
Comment expliquer cette véritable faillite de la gouvernance civile dans ces pays ? Elle est due d’abord au fait que certains présidents africains s’accrochent au pouvoir, n’hésitant pas à modifier la constitution pour bénéficier d’un nouveau mandat. L’exemple emblématique est celui de la famille Bongo qui a gouverné le Gabon pendant 56 ans. La deuxième cause est la corruption, notamment les détournements de fonds publics, qui donnent lieu à l’achat à titre personnel par certains présidents africains de biens immobiliers de grande valeur soit en France, soit aux États-Unis. L’autre cause à relever est que les élections ne sont souvent ni libres ni transparentes. À titre d’exemple, la dernière élection présidentielle au Gabon a été entachée de fraudes, sans la présence d’observateurs internationaux. On peut citer également la faiblesse des armées de certains pays africains, qui ne parviennent pas à lutter contre le terrorisme islamiste qui fait des ravages humains et matériels. En résumé, c’est une mal-gouvernance dans tous les domaines, à la fois civil et militaire. Devant cette situation, la population de ces pays reste pauvre et n’arrive pas à couvrir ses besoins, alors que ces pays regorgent de richesses minières. La preuve est qu’au lieu de défendre les régimes en place, la population accueille favorablement les militaires et manifestent dans la rue en leur faveur.
Intérêts stratégiques
Outre ces raisons internes, il y a l’action néfaste des puissances étrangères qui veulent exploiter les richesses minières de ces pays. Pour l’Afrique de l’Ouest, on peut citer la fameuse «Franceafrique» qui, depuis les indépendances de ces pays dans les années soixante, considère ces pays comme son «pré-carré» avec des interventions dans tous les domaines : politique, économique, militaire et culturel. On cite souvent le nom de Jacques Faccart qui était à l’Elysée le «Monsieur Afrique», y faisant la pluie et le beau temps. Les autorités françaises n’hésitaient, pas à cette époque, à renverser les régimes qui n’étaient pas dociles, pour les remplacer par des dirigeants acquis aux intérêts de Paris.
C’est ainsi que de grandes compagnies françaises telles que Elf Aquitaine devenu Total énergies (pétrole), Areva (industrie nucléaire), Bouygues (construction), Bolloré (transport et logistique) se sont implantées d’une façon monopolistique dans ces pays. Sur le plan monétaire, fût créé en 1945 le Franc CFA qui signifie «Colonies françaises d’Afrique» dont le nom a changé de 1958 à 1960 pour devenir «Communauté française d’Afrique». Il est établi sur la base d’une parité fixe avec l’euro et garanti par le Trésor français, qui reçoit 50% des réserves de change des pays africains ayant adopté le CFA comme monnaie nationale. D’autre pays étrangers se sont intéressés à l’Afrique pour exploiter ses richesses minières, telles que la Chine, les États-Unis, l’Inde, la Turquie, le Brésil, le Japon, la Corée du Sud, mais sans intervenir dans les affaires intérieures de ces pays.
Cependant, outre l’aspect économique, la Russie joue également un rôle politique en protégeant les dirigeants de certains pays par les mercenaires de Wagner, et en discréditant la France, ancien colonisateur. En conclusion, comme l’a dit le secrétaire général de l’ONU, «Les gouvernements militaires ne sont pas la solution. Ils aggravent les problèmes et ne peuvent résoudre la crise.» Aussi, faut-il une pression forte de l’ONU, de la CEDEAO, et de l’Union Africaine pour un retour rapide à une gouvernance civile. Des mesures internes devront être prises pour des élections libres et transparentes sous la supervision d’observateurs internationaux, avec l’institution d’une cour des comptes efficace, qui dévoile les malversations, et d’une justice implacable pour condamner les fraudeurs au plus haut niveau. Il faut également inscrire dans la constitution que toute prolongation du mandat du président est interdite.
Emmanuel Macron a déclaré, le 2 mars 2023, alors qu’il était en déplacement au Gabon, que «l’ère de la Françafrique était révolue et que la France était désormais un interlocuteur neutre sur le continent africain». Il faut concrétiser cette déclaration par le retrait de toutes les troupes françaises et par la disparition définitive du Franc CFA. Elle devrait s’inspirer du Commonwealth qui regroupe 54 États de l’ancien empire britannique, où ces derniers sont libres et égaux sans aucune obligation les uns envers les autres ni ingérence d’aucune sorte dans les affaires intérieurs des pays membres. Les valeurs qui réunissent les membres sont la langue anglaise, l’histoire, la culture, la démocratie, les droits de l’Homme et l’État de droit. L’Afrique a surtout besoin de développement économique et social pour éradiquer la pauvreté et éviter l’émigration des jeunes qui tentent au péril de leur vie de rejoindre l’Europe. Il faut aussi se méfier des visées sur l’Afrique de la Russie qui tente de prendre la place de la France.

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