Opinions

Comprendre la loi de Finances en 5 questions (3)

Les Inspirations ÉCO a posé cinq questions à l’économiste Mohamed Benmoussa pour décrypter, durant la semaine du 8 au 12 mai, la loi de Finances 2017. Il répond aujourd’hui à la troisième question.

Quelles sont les mesures préconisées par la LF pour atténuer le poids de l’endettement ou le gouvernement continuera-t-il la politique de facilité en s’endettant davantage ?
L’endettement public est l’un des marqueurs les plus criants de l’échec de la politique économique du gouvernement sortant, qui laisse en héritage aux Marocains un volume de dettes publiques de l’ordre de 827 MMDH à fin 2016, représentant près de 82% de la richesse nationale.

En l’espace de 5 années seulement, de 2012 à 2016, la dette publique s’est aggravée de près de 60% soit plus de 300 MMDH d’encours supplémentaires. Aujourd’hui, chaque petit bébé marocain nouveau-né est endetté à hauteur de 24.000 DH. C’est le fardeau de la dette publique qui pèse sur ses épaules dès sa naissance. Rien ne laisse à penser, ni le projet de LF 2017, ni la déclaration de politique générale du gouvernement, que la nouvelle équipe parviendra à alléger ce fardeau. Certes, il y a les déclarations de bonne intention et les vœux pieux.

À en croire le discours officiel, il est question «d’améliorer la gouvernance des politiques publiques, de moderniser l’administration publique, d’améliorer la gouvernance des établissements et entreprises publiques (EEP), de rétablir l’équilibre budgétaire, de redresser les équilibres extérieurs…». C’est bien beau ! Mais par-delà les paroles et les promesses qui n’engagent que ceux qui ont la naïveté d’y croire, il y a surtout les faits et les faits sont têtus. Que constatons-nous ? D’abord, que les nouvelles dettes contractées chaque année servent à peine à honorer nos engagements. Le projet de LF 2017 prévoit 70 MMDH de recettes d’emprunts pour un service de la dette de 73 MMDH, dont 46 MMDH au titre des amortissements de la dette publique et 27 MMDH de dépenses relatives aux intérêts et commissions. Le service de la dette devient ainsi la première mission de l’État en termes budgétaires, loin devant la sécurité intérieure et extérieure (58 MMDH), l’éducation (55 MMDH) et la santé (14 MMDH). Ensuite, que les dépenses de fonctionnement et de personnel du budget général sont maintenues à un niveau relativement élevé, 183 et 106 MMDH respectivement.

L’État continue de recruter de nouveaux fonctionnaires, près de 24.000 en 2017, sans procéder à une revue générale des structures et des modes opératoires pour identifier au niveau des administrations publiques nationales et territoriales les sources d’économies et de gains de productivité. Enfin, sachant que l’essentiel de l’investissement public (190 MMDH en 2017) est assuré par les EEP (107 MMDH), dont la dette globale (243 MMDH hors dette sociale) est garantie par l’État, aucun plan d’urgence n’est proposé pour réduire l’endettement de ces EEP, améliorer leur pilotage stratégique, assainir leur gestion et redresser leur situation financière, dont le coût financier cumulé pour l’État sur les 12 dernières années (2005-2016) a atteint la bagatelle somme de 129 MMDH (239 MMDH de transferts budgétaires contre 110 MMDH de dividendes et produits). Aucun dispositif spécifique n’est prévu pour mieux encadrer les 7 grands EEP représentant plus de 97% de la dette du portefeuille public : l’ONEE (56 MMDH), l’OCP (55 MMDH), la CDG (41 MMDH), ADM (40 MMDH), l’ONCF (24 MMDH), TMSA (11,5 MMDH) et MASEN (10 MMDH).

La dette publique est devenue un sujet de haute importance et d’extrême urgence. L’inaction du politique hypothèque lourdement l’avenir des jeunes générations. Il faut donc agir vite et nommer un inspecteur général des finances publiques qui sera placé sous l’autorité hiérarchique du président de la Chambre des représentants et fonctionnelle du chef de gouvernement, créer un Conseil de modernisation des politiques publiques, qui sera chargé de la réforme de l’État, définir une nouvelle hiérarchie budgétaire induisant des transferts de financements du service de la dette et des départements sécuritaires vers l’éducation nationale, la formation professionnelle, l’enseignement supérieur, la santé, l’équipement, les transports, la recherche et la diplomatie, parachever le démantèlement du régime de compensation en supprimant les subventions sur le gaz butane, le sucre, le blé tendre et la farine et mettre en place concomitamment un dispositif de transferts monétaires ciblés et de soutien direct au revenu, dimensionné à due concurrence des économies budgétaires à réaliser sur ce démantèlement, élaborer avec les administrations centrales et les élus locaux un programme de baisse progressive des effectifs de la fonction publique nationale et territoriale (en rapport avec les départs naturels à la retraite) et de maîtrise des charges de fonctionnement, accompagné d’un plan de restructuration et de modernisation, restructurer la dette publique extérieure en renégociant les conditions de son remboursement avec les créanciers bilatéraux et les institutions financières internationales (réduction du taux pour alléger le coupon d’intérêt, rééchelonnement de la dette en allongeant la durée de remboursement, «haircut», conversion en investissements directs, swaps devises dirham), réformer l’État actionnaire, professionnaliser sa relation avec les EEP et créer une agence dédiée au portefeuille public qui sera dirigée par un Haut-commissaire aux participations de l’État…

Mohammed Benmoussa
Économiste



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