Maroc

Violences aux frontières, précarité dans les villes

Une nouvelle étude décortique le parcours des femmes migrantes subsahariennes arrivées au Maroc. Morceaux choisis d’un périple violent.

La migration irrégulière se féminise. Des femmes subsahariennes prennent la route  pour atteindre l’Europe, seules ou accompagnées de leurs enfants. Le Maroc, pays de transit de ces migrantes, tentent de retenir ces femmes en leur proposant une politique de régularisation favorable. Lors des régularisations de 2013 et 2016, l’ensemble des femmes migrantes ayant déposé leurs dossiers ont vu leurs demandes acceptées. Ainsi, 14.000 femmes migrantes ont obtenu leurs cartes de séjour en 2014 et environ 13.000 en 2018. Avant d’atteindre le Maroc, leur périple est marqué par une insoutenable violence, surtout aux frontières. Arrivées au Maroc, ces femmes, totalement démunies,  sont contrainte de mendier ou de se prostituer. Ce sont les principales conclusions d’une étude réalisée par la fondation espagnole Alianza por la Solidaridad (APS), basée à Tanger. Cette nouvelle étude de terrain a été présentée le 24 avril à Rabat.

«Un projet de vie»
Cette enquête s’est basée sur 81 entretiens et trois focus groupes dans neuf villes marocaines (voir l’encadré). «Les analyses révèlent la violation des droits fondamentaux et des situations de grande vulnérabilité», constate Helena Maleno, chercheuse dans le domaine des migrations et auteure de cette étude. Ces violences démarrent sur le chemin. «Elles ont eu à affronter la violence, surtout sexuelle, lors de leurs passages comme un prix à payer», souligne la chercheuse espagnole, résidente à Tanger. Dans un parcours où la violence règne en maître, ces femmes développent des formes de résistance individuelles et collectives. «Normaliser et assumer cette violence comme quelque chose d’inévitable est également une forme de survie», décrypte Maleno. Cette dernière fait le distinguo entre les migrantes ayant fait le voyage par voie terrestre ou par avion. «Par voie terrestre, les femmes doivent affronter des violations graves de leurs droits jusqu’à leur arrivée au Maroc. Elles ont été victimes d’abus sexuels et de violences psychiques. Elles ont été exposées à des vols, des corruptions et des séquestrations», décrit l’auteure de cette étude. Les violences subies par les migrants en Algérie durant les deux dernières années illustrent le traitement réservé à ces populations sur la frontière est du Maroc. Cette prise de risques est le pari d’une vie. «Ces femmes parlent du voyage de leur vie. Elle veulent se débrouiller et ne pas dépendre de personne», rapporte Maleno. Le cauchemar de ces femmes demeurent de subir «la stigmatisation dans leurs pays d’origine pour ne pas avoir pu réussir leur projet migratoire». Pour cette raison, «elles n’ont pas le droit de revenir en arrière». À leur arrivée au Maroc, ces femmes découvrent une nouvelle réalité. «Les femmes ressentent un sentiment de frustration. Elles doivent affronter de grandes difficultés pour survivre», relate l’étude de l’APS. Un faux départ pèse sur la possibilité d’intégration dans la société d’accueil. Les chances de réussir   en terre marocaine passe surtout par la disponibilité de réseaux d’accueil. Pour les plus chanceuses, elles disposent de réseaux de connaissances contactés depuis leurs pays d’origine. Pour les moins chanceuses, elles sont «cueillies» par les réseaux de trafic et de traite d’humains. «La présence de ces réseaux nous a été confirmée lors de cette étude», insiste Maleno. Les chemins de ces femmes se séparent entre celles qui «choisissent» de vivre dans la forêt de Nador ou près des zones frontalières pour tenter un passer vers Sebta ou Melilla. «Durant leur séjour dans la forêt, les femmes peuvent tomber enceinte, elles sont ensuite dirigées vers les villes pour survivre et se reposer», décrit la chercheuse. La deuxième alternative pour ces femmes consiste à se rendre à Rabat, Casablanca, Agadir, ou Marrakech. «Dans ces villes, elles ont plus de chances de gagner leur vie et bénéficier du soutien des organisations sociales», souligne l’étude. Elles travaillent comme domestiques. «Le travail indépendant dans le commerce est vu comme un moyen d’autonomie de ces femmes», explique Maleno. Pour les femmes migrantes sans ressources, elles s’adonnent à la mendicité ou la prostitution. «Mendier était qualifié dans les récits comme une activité humiliante et honteuse, que ces femmes n’auraient jamais fait dans leurs pays et qu’elles n’ont commencé à faire qu’en Algérie et au Maroc», précise l’étude. Selon la même source, ces femmes rapportent des persécutions des forces de l’ordre, des insultes et des agressions par la population marocaine ainsi que des déplacements forcés. La prostitution est vécue comme «une grande violence». Cette activité leur rapporte de faibles sommes. Elles touchent 20 à 50 DH par service sexuel, accompagné de violences physiques. Le calvaire de cette migration au féminin n’est pas prêt de se terminer.


Helena Maleno
Chercheuse dans le domaine des migrations

Pendant la première décennie des années 2000, ces femmes étaient minoritaires. Lors de la deuxième décennie, l’image de ces femmes est celle de victimes. Lors des entretiens, lesdites femmes font référence à la politique de la compassion, comme alternative à la politique répressive du contrôle des frontières Dans le contexte du nouveau cadre politique, le Maroc cherche la reconnaissance des droits des femmes migrantes». 


Des femmes «fortes et résilientes»

Ces femmes interviewées estiment que la société marocaine les perçoit comme «pauvres, victimes, prostituées et analphabètes». Du côté des hommes migrants subsahariens, elles sont considérées comme «vulnérables, filles faciles/gentilles, fortes et capables», rapporte l’étude. Pour leurs parts, elles se voient comme «femmes fortes, solides et résilientes». Cette enquête a concerné des femmes migrantes âgées entre 18 et 50 ans ainsi que deux filles mineures. Elles vivent à Nador, Tanger, Tétouan, Marrakech, Agadir, Rabat-Salé, Oujda et Casablanca. La majorité de ces femmes vivent dans la périphérie de ces agglomérations.



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