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Visa mise sur le B2B pour accélérer la transformation digitale du tissu entrepreneurial marocain

Le Maroc dispose d’un potentiel considérable pour la digitalisation des paiements, en particulier dans le B2B, où 16 à 19 milliards de dollars de transactions pourraient être adressés par solutions électroniques. Pourtant, seulement une fraction des entreprises accepte aujourd’hui les paiements numériques, laissant près de 2,5 millions d’acteurs encore à connecter.

Le paiement électronique n’est pas seulement un outil de confort pour le consommateur. Il constitue un véritable levier macroéconomique, capable de transformer en profondeur le tissu entrepreneurial national et d’apporter un supplément tangible de croissance. Les chiffres parlent d’eux-mêmes. Sur un total de 140 milliards de dollars de dépenses annuelles des entreprises marocaines, seules 16 à 19 milliards sont adressables par carte ou solutions digitales. Autrement dit, le volume mobilisable est deux fois supérieur à l’ensemble des paiements électroniques des consommateurs marocains, qui plafonnent à environ huit milliards.

«Ce potentiel est colossal : si l’on parvient à digitaliser ne serait-ce qu’une partie des transactions B2B, l’impact sur l’économie serait immédiat, en termes de transparence, de productivité et de création de valeur», affirme Sami Romdhane.

L’impact macroéconomique de cette transition est confirmé par de nombreuses études. La Banque mondiale estime que l’adoption des paiements numériques améliore la productivité des entreprises de 10% à 15%. McKinsey, de son côté, évalue à plus de 10% les gains liés à la gestion optimisée des flux financiers. Ces effets cumulés se traduisent par une hausse potentielle du PIB de 1% à 2%. Dans certains pays africains étudiés, la Banque mondiale a même observé une accélération allant jusqu’à 5%, sur trois à cinq ans, après la généralisation du paiement électronique.

Un levier de croissance
Au-delà de l’impact macroéconomique, la digitalisation des paiements apporte aux entreprises des bénéfices concrets et immédiats. Elle permet d’abord une meilleure gestion de trésorerie, grâce à des flux plus rapides, sécurisés et traçables, réduisant ainsi les risques liés aux retards ou aux impayés. Les paiements électroniques offrent également un accès facilité aux marchés internationaux, en fluidifiant les règlements avec des partenaires étrangers et en limitant le recours à des instruments coûteux comme le crédit documentaire.

En interne, les entreprises constatent aussi une réduction des coûts opérationnels liés à la manipulation du cash, à la gestion manuelle des factures et aux opérations de rapprochement comptable. Enfin, la digitalisation favorise une hausse des ventes, en élargissant la base de clientèle et en répondant aux attentes d’une génération de consommateurs habitués au paiement numérique.

Comme le résume Romdhane, «un commerçant qui accepte les paiements électroniques ne se contente pas de réduire ses coûts. Il gagne en chiffre d’affaires, en visibilité et en compétitivité».

Et d’ajouter : «Les bénéfices vont bien au-delà des entreprises : il faut aussi tenir compte de la réduction des coûts liés au cash. Imprimer les billets, les transporter, les sécuriser, les recycler, tout cela représente un fardeau énorme pour l’économie dans son ensemble. Chaque dirham digitalisé est un gain net pour la collectivité.»

La gestion du cash mobilise des infrastructures lourdes (transport sécurisé, personnel, équipements bancaires) qui pèsent sur les finances publiques et sur la compétitivité des entreprises. La dématérialisation permet de réduire ces charges et de libérer des ressources pour l’investissement productif.

Des secteurs à cibler en priorité
Toutes les entreprises ne sont pas égales face à ce mouvement. Certaines filières offrent des perspectives de digitalisation particulièrement intéressantes. Le commerce de détail et les biens de grande consommation (FMCG) figurent en tête, en raison de l’importance des chaînes d’approvisionnement et du volume considérable des flux entre distributeurs, grossistes et commerçants.

Le transport et la logistique constituent également un terrain fertile, avec des transactions quotidiennes nombreuses et souvent complexes. Le secteur de l’éducation, à travers la gestion des frais de scolarité ou des services annexes, se prête lui aussi facilement à l’adoption des paiements électroniques. L’agriculture, quant à elle, représente un cas spécifique. La numérisation des paiements peut faciliter non seulement la vente des produits, mais aussi le versement des subventions publiques, cruciales pour la modernisation du secteur.

«Il est impératif d’adopter une approche verticale. Chaque secteur a ses contraintes, ses usages, ses points de blocage… Le paiement électronique ne peut réussir que s’il est pensé comme une solution sur mesure, adaptée de bout en bout à la chaîne de valeur, du producteur au consommateur final», souligne Romdhane.

Malgré ce potentiel, plusieurs freins limitent encore l’expansion des paiements numériques dans le B2B marocain. Le premier obstacle tient à la perception des coûts. Beaucoup d’entreprises considèrent les commissions comme une perte de chiffre d’affaires. Pourtant, celles-ci avoisinent souvent 1% seulement, parfois moins pour les cartes locales.

«Lorsqu’on explique que ce coût marginal s’accompagne d’une augmentation potentielle de 30% du volume des ventes et d’un accès à de nouveaux marchés, la perception change radicalement», commente Romdhane.

Le deuxième frein est justement lié au manque de sensibilisation. Plus de la moitié des entreprises interrogées dans les études disponibles évoquent un déficit d’information et de compréhension des bénéfices concrets. La pédagogie et l’éducation financière apparaissent donc comme un axe majeur d’accompagnement. Le troisième obstacle relève du cadre réglementaire, en particulier pour les transactions internationales, encore largement dominées par les crédits documentaires ou les virements bancaires classiques. Des solutions commencent à émerger, mais leur diffusion reste limitée.

Le cas emblématique des commerces de proximité

Le commerce de proximité illustre parfaitement la complexité de ce chantier. L’épicier de quartier, acteur central de la consommation marocaine, reste attaché au cash. Deux raisons principales expliquent cette réticence. La première est la dépendance au fonds de caisse.

«Un épicier nous dit : j’ai une trentaine de fournisseurs par semaine, parfois 16 livraisons dans la même journée. Tous exigent d’être payés en espèces. Si mes fournisseurs ne sont pas non plus équipés, je n’aurai pas la trésorerie nécessaire pour basculer au digital», rapporte Romdhane.

La seconde raison tient au crédit consenti à la clientèle, matérialisé par le fameux «carnet» où les dettes sont en général réglées en fin de mois. La digitalisation de ce registre représente une opportunité majeure pour alléger la charge administrative des commerçants et sécuriser les transactions. Des expériences existent déjà, notamment en Égypte, où une fintech locale a conçu une solution de carnet de crédit digitalisé. Plusieurs acteurs marocains envisagent de suivre ce modèle.

CMI : fin du monopole, émergence d’un nouvel écosystème

Le Centre monétique interbancaire (CMI) a longtemps occupé une position quasi-exclusive dans le domaine de l’acquisition monétique au Maroc. Cette position dominante a assuré une certaine stabilité du système, mais elle a également limité la concurrence et, par conséquent, la diversité et l’accessibilité des solutions pour les entreprises, en particulier les petites structures et les commerçants de proximité.

À la fin de l’année 2024, le monopole du CMI sur l’acquisition monétique a été levé. Désormais, de nouveaux acteurs (banques, fintechs et établissements de paiement) peuvent proposer leurs solutions d’acceptation des cartes. Cette ouverture marque une véritable rupture dans l’écosystème du paiement électronique au Maroc.

Selon Romdhane, «le paiement est un business d’acceptance. Pour réussir, il faut élargir la base de commerçants équipés et diversifier les solutions. La fin du monopole ouvre une nouvelle ère, où l’agressivité commerciale et l’innovation permettront de démocratiser les paiements électroniques pour tous les acteurs économiques».

Aujourd’hui, sur 2,6 millions d’entreprises marocaines, seulement 120.000 acceptent les paiements électroniques, dont à peine 50.000 par carte. Les projections estiment qu’avec l’ouverture du marché, plus d’un million d’entreprises pourraient être adressables dans les prochaines années, incluant des commerçants de proximité, des PME et même des acteurs du monde rural.

L’arrivée de nouveaux acquéreurs entraîne plusieurs changements majeurs : concurrence et baisse des coûts, innovation technologique (terminaux mobiles, QR codes, applications de paiement et solutions intégrées au e-commerce), et inclusion financière.

Visa prépare dans ce sens des solutions technologiques à grande échelle pour permettre l’acceptation des paiements dans les petites structures et sur l’ensemble du territoire, urbain comme rural. «Nous devons équiper l’ensemble de la chaîne, du fournisseur à l’épicier de quartier, pour que le paiement électronique devienne une norme et non une exception», souligne Romdhane.

Les cartes Purchase et Corporate, des leviers sous-exploités

Deux solutions proposées par Visa restent encore largement sous-utilisées au Maroc, la première concerne les cartes Purchase, destinées aux directions d’achats des entreprises. Elles permettent de régler directement les fournitures de bureau, factures et dépenses courantes.

«C’est un besoin évident, mais encore trop peu adressé. Beaucoup d’entreprises continuent de payer leurs charges via des virements ou en cash, alors qu’une carte dédiée simplifierait considérablement le processus», explique Romdhane. La seconde est celle des cartes Corporate, qui s’adressent surtout aux entreprises de taille plus importante dont les collaborateurs se déplacent fréquemment. Elles facilitent la gestion des frais professionnels, des notes de frais et des per diems.

«Chez Visa Maroc, chaque employé dispose d’une carte corporate et d’une application mobile qui centralise toutes ses dépenses professionnelles. C’est un gain de temps énorme pour la comptabilité, et une solution que nous souhaitons voir adoptée plus largement dans les entreprises marocaines», conclut-il.

Hicham Bennani, Sanae Raqui & Maryem Ouazzani / Les Inspirations ÉCO



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