Tourisme national : des défis structurels persistants

À l’instar des années précédentes, l’été ouvre des perspectives favorables pour le secteur touristique, porté par l’approche des vacances scolaires et des congés annuels — une période durant laquelle les établissements misent sur l’affluence de la clientèle nationale. Ce regain d’activité ne masque toutefois pas les défis structurels persistants : inadéquation de l’offre, pression sur le pouvoir d’achat, forte saisonnalité, et sous-utilisation de dispositifs incitatifs tels que les chèques ou cartes de vacances.
À l’approche des vacances d’été, les professionnels du secteur se mobilisent en prévision du pic saisonnier attendu entre juillet et début septembre. Cette période, traditionnellement portée par la demande nationale, s’annonce une nouvelle fois prometteuse pour le secteur, notamment au sein des établissements d’hébergement touristique classé et résidentiel.
Dans cette perspective, les opérateurs se préparent à une montée en puissance de l’activité, en particulier dans les destinations balnéaires les plus prisées. À l’instar des années précédentes, la dynamique estivale devrait se concentrer autour de pôles comme l’axe Agadir-Taghazout-Imi Ouaddar, considéré comme la première station balnéaire du Royaume, ainsi que les zones de Tanger-Tétouan-Al Hoceima (M’diq, Fnideq, Martil, Cabo Negro, Al Hoceima), la station de Saïdia, ou encore Marrakech, dans une moindre mesure.
Marché national : une demande attendue, mais fragile
Cette année encore, la demande touristique devrait être au rendez-vous, avec un rythme de réservations appelé à s’intensifier progressivement, notamment après la fin de l’année scolaire, marquée par la publication des résultats de la session de rattrapage du baccalauréat et la validation des procès-verbaux de fin de service du corps enseignant.
«Les professionnels ont déjà commencé à promouvoir leurs offres en fonction bien évidemment des périodes. Toutefois, c’est entre le 15 juillet et le 25 août que l’offre touristique nationale est concentrée pour la clientèle domestique marquée généralement par une programmation à la dernière minute avec des prévisions comme à l’accoutumée positives durant cette période surtout pour les destinations balnéaires du Royaume», explique Lahcen Zelmat, président de la Fédération nationale de l’industrie hôtelière (FNIH).
Bien que la nouvelle feuille de route du tourisme pour la période 2023-2026, avec sa nouvelle logique d’offres (filières «bord de mer» et «nature & découverte»), ait accordé une place importante à ce segment, ce sont les mêmes questions qui se posent à l’approche de la saison estivale. Le marché national continue ainsi d’évoluer dans les mêmes paradoxes structurels, parallèlement au lancement de la campagne «Ntlakaw Fbladna» qui encourage les déplacements et la mobilité des nationaux en promouvant les destinations et les sites touristiques nationaux.
Performance en recul
L’expert en tourisme Zoubir Bouhout a souligné que la situation du marché national nécessite une lecture et une analyse attentive des données. Seuls les tableaux de bord nationaux de janvier et février 2025 ont été publiés à ce jour, alors que le premier semestre touche à sa fin.
«Bien que les chiffres globaux du tourisme soient positifs, ils cachent, toutefois, un recul de performance pour le marché national en comparant l’évolution de l’année 2024 à celle de l’année précédente», explique Bouhout.
«Le nombre de nuitées des résidents a atteint 8,5 millions de nuitées en 2024, ce qui représente 30% du total des nuitées. Soit un ralentissement de 0,4% par rapport à 2023, alors que les nuitées globales ont progressé de 12%», poursuit l’expert qui précise que le tourisme international a connu une croissance plus forte grâce à l’effort en matière de connexion aérienne.
En effet, les nuitées internationales ont augmenté de 18% en 2024 par rapport à 2023 alors que le tourisme national n’a pas suivi la même tendance de croissance.
Une offre encore peu adaptée au marché local
Dans ce contexte, l’expert a souligné que la comparaison de la performance du tourisme national avec l’année 2019 révèle que sa croissance n’a atteint que 9%, tandis que le tourisme international a enregistré une croissance de 16%, et le secteur touristique dans son ensemble a réalisé une hausse de 14%, ce qui confirme que le marché national évolue moins.
L’exemple de la destination Agadir, qui demeure la seule destination fournissant des statistiques actualisée et périodiques, est révélatrice. Malgré la bonne dynamique enregistrée depuis le début de l’année, dans le sillage de 2024, le marché domestique accuse un repli : entre janvier et mai 2025, les arrivées ont chuté de 9,49% et les nuitées de 6,20% par rapport à la même période de l’année précédente au sein des établissements classés.
De l’avis de Bouhout, «le tourisme intérieur représentait 34% de l’activité touristique totale en 2016, pour diminuer progressivement à 30% en 2024. L’un des facteurs qui explique ce recul est l’orientation des politiques publiques vers le renforcement du transport aérien international pour attirer les touristes étrangers, tout en négligeant, d’une façon ou d’une autre, l’offre destinée au marché national compte tenu de la faiblesse du pouvoir d’achat qui empêche une large partie des citoyens d’accéder à des services touristiques adaptés à ses revenus.
«Le problème ne réside pas dans la promotion touristique, mais dans l’offre touristique destinée au tourisme intérieur qui reste limitée et faible en termes de diversité et de répartition géographique. C’est pourquoi il est nécessaire de trouver un modèle économique propre à ce marché dans le cadre d’un partenariat public-privé», ajoute Bouhout.
Aujourd’hui, plus de deux décennies après le lancement du plan Biladi, seulement trois stations, à savoir celle d’Ifrane, Imi Ouddar et Mehdia, ont été réalisées avec une contrainte de saisonnalité liées au calendrier des vacances.
Pourtant, le plan a initialement prévu 12 villages de vacances pour le tourisme interne assorties de produits et de prix adaptés aux profils des voyageurs nationaux avec l’opération Kounouz Biladi.
De plus, le business model choisi (avec pour unique cible les nationaux) ne permettait pas de réaliser des niveaux de rentabilité attractifs pour des investisseurs privés alors que les tendances de consommation du touriste national s’orientent plus vers le moyen standing avec 66% des nuitées dans les hôtels
4* (25%), 5*(21%) et 3* ( 20%).
Les leviers toujours attendus pour stimuler le marché national
Par ailleurs, au moment où les flux nationaux devront se situer à 7 millions de ressortissants à l’horizon 2030 au sein des établissements d’hébergement classé sau Maroc, selon les ambitions chiffrées de la feuille de route stratégique du secteur du tourisme, contre 4,7 millions d’ici 2026, les leviers pour stimuler le marché national sont toujours attendus. La stratégie a en effet annoncé d’agir sur trois principaux segments.
D’abord, stimuler la demande liée au tourisme interne par la régionalisation du calendrier des vacances scolaires qui demeure une nécessité. Cette mesure, qui a été adoptée dans le cadre de la Vision 2020 à travers son instauration en 2015, a été abandonnée, une année après, suite au retour à l’unification des vacances scolaires par le ministère de l’Éducation nationale.
Pourtant, les projections réalisées à l’issue de l’application de ce calendrier prévoyaient trois pôles en fonction des zones géographiques. L’une des mesures phare qui revient aussi sans cesse est l’instauration des chèques et cartes de vacances sous forme de titres de paiements destinés à l’encouragement du tourisme interne en boostant le départ des salariés en vacances et en leur permettant de payer les prestations liées aux loisirs et aux vacances.
Ce dispositif a déjà fait ses preuves depuis des années au niveau de plusieurs pays émetteurs et récepteurs de tourisme dans le cadre de la démocratisation des vacances. Au-delà de l’adaptation de l’offre à la demande locale — en ajustant les capacités existantes au pouvoir d’achat des résidents —, la nouvelle feuille de route prévoit aussi le développement de nouvelles structures, notamment dans l’hôtellerie de plein air et l’hébergement résidentiel destiné aux familles.
Yassine Saber / Les Inspirations ÉCO