Tarification des médicaments : la réforme de la discorde

Alors que le ministère de la Santé lance une réforme ambitieuse du système de tarification des médicaments, les tensions montent dans le secteur pharmaceutique. Si les laboratoires ont été associés aux premières discussions, les officines dénoncent leur mise à l’écart et alertent sur les risques d’une réforme menée sans concertation. Entre rationalisation budgétaire, accès aux traitements innovants et fragilité du tissu officinal, le chantier s’annonce aussi délicat que stratégique.
L’annonce faite par le ministère de la Santé de revoir en profondeur le système de fixation des prix des médicaments a provoqué une onde de choc dans le secteur pharmaceutique marocain. Si le gouvernement parle d’une concertation élargie, les pharmaciens s’empressent de dénoncer une décision unilatérale, prise sans les associer à la réflexion.
Une concertation contestée
Lors de la séance des questions orales à la Chambre des représentants, le ministre de la Santé, Amine Tahraoui, a présenté les contours d’une réforme ambitieuse ayant pour objectif de bâtir un nouveau modèle «équitable et transparent» de tarification, en phase avec les standards internationaux mais adapté aux réalités marocaines. Ce chantier s’inscrit dans un cadre plus large de la politique nationale du médicament, pilier de la refonte du système de santé.
Dans le même sillage, le ministre a rappelé le rôle stratégique de la nouvelle Agence marocaine des médicaments et des produits de santé, récemment mise en place. Cette instance est appelée à être un catalyseur dans la régulation du secteur, en améliorant les procédures de mise sur le marché, en consolidant l’innovation industrielle nationale et en favorisant la souveraineté pharmaceutique. Mais la réforme, présentée comme inclusive, peine à convaincre l’ensemble des acteurs concernés. La Confédération des syndicats des pharmaciens du Maroc (CSPM) a vivement réagi, affirmant ne jamais avoir été conviée à une quelconque concertation.
Dans un communiqué, elle fustige une «approche unilatérale» et déplore l’absence de dialogue direct avec le ministère depuis l’arrivée du nouveau titulaire du portefeuille.
«Nous rejetons toute réforme menée sans une réelle concertation», insiste la Confédération, qui réclame la suspension immédiate du projet de révision du décret n°2.13.852 et de la loi 17.04 sur le médicament et la pharmacie, tant qu’un dialogue «sérieux et responsable» n’est pas établi.
Dans les coulisses, certains évoquent déjà la possibilité d’un mouvement de contestation nationale. Si aucune action n’est encore officiellement annoncée, la tension monte, et le risque d’une confrontation ouverte entre le ministère et les représentants du secteur ne peut être exclue.
Une industrie locale à soutenir
Un industriel confirme, sous le sceau de l’anonymat, que des échanges ont bien été engagés entre le ministère et les laboratoires pharmaceutiques, principaux acteurs de la chaîne de valeur. Ces derniers ont d’ailleurs transmis une série de recommandations formelles au département de tutelle. Toutefois, les discussions achoppent sur plusieurs points sensibles, notamment sur la tarification des médicaments innovants importés, dont les prix peuvent dépasser les 10.000 dirhams.
«Ce sont ces produits qui grèvent lourdement les comptes des régimes d’assurance maladie», explique notre interlocuteur.
Le chiffre est parlant : les remboursements versés par la CNSS ont doublé en une seule année, passant de 1,8 milliard de dirhams à approximativement 3,8 MMDH en 2024. À l’opposé, les médicaments génériques et biosimilaires fabriqués localement, en particulier ceux dont le prix est inférieur à 1.000 dirhams, restent perçus comme économiquement viables et adaptés au contexte marocain.
En donnant la préséance aux industriels, qui détiennent le levier initial de la formation des prix, le ministère de la Santé semble avoir fait le choix de la cohérence. Mais il est évident que le tour des pharmaciens, maillons essentiels de l’écosystème, viendra. Leur adhésion sera incontournable pour garantir l’efficacité et la légitimité de la réforme en cours.
En matière de production locale, pour certains professionnels, le salut du système passe ainsi par un soutien accru à l’industrie nationale, notamment en matière de recherche et développement, aujourd’hui peu stimulée. D’autres insistent sur la nécessité d’accélérer l’introduction des médicaments génériques sur le marché, en assouplissant les procédures d’homologation et de brevets. L’un des points majeurs de divergence demeure la crainte d’une baisse généralisée des prix, sans effet sur les volumes ni sur l’accès réel aux soins.
«L’expérience de 2013 n’a pas obtenu l’effet escompté, celui de propulser le volume des ventes de médicaments. Le vrai problème, c’est le pouvoir d’achat», résume un acteur du secteur.
Le débat autour de la réforme de la tarification des médicaments ne fait donc que commencer. Entre impératifs budgétaires, pression des multinationales, attentes des citoyens et fragilité du tissu officinal, l’équation s’annonce complexe. Et toute tentative de réforme sans consensus risque d’ouvrir une nouvelle crise dans un secteur déjà
fragilisé.
Maryem Ouazzani / Les Inspirations ÉCO