Tanger-Tétouan-Al Hoceima : une croissance à deux vitesses où les grandes entreprises creusent l’écart

Le dernier rapport de l’OMTPME sur la région TTA révèle une croissance économique forte qui masque des fractures profondes. L’analyse met en évidence un fossé croissant entre les grandes entreprises qui prospèrent, et la myriade de TPME dont la contribution à la richesse régionale s’effrite.
Le récent rapport de l’Observatoire marocain de la TPME (OMTPME), portant sur la région Tanger-Tétouan-Al Hoceima pour la période 2017-2023, dresse le portrait d’une économie régionale en pleine expansion.
Derrière des indicateurs globaux positifs, l’analyse révèle cependant une dynamique de croissance à deux vitesses, marquée par un fossé qui se creuse entre les grandes entreprises et le vaste tissu des Très petites, petites et moyennes entreprises (TPME).
Cette fracture structurelle pose la question de la répartition équitable des fruits d’une performance économique par ailleurs remarquable.
Une performance globale masquant de profondes disparités
À première vue, les chiffres témoignent d’une vitalité économique indéniable. La région comptait 45.375 entreprises personnes morales actives (EPMA) en 2023, générant un chiffre d’affaires cumulé de près de 245 milliards de dirhams.
Cependant, cette prospérité est géographiquement très concentrée. La préfecture de Tanger-Assilah agit comme l’épicentre quasi-exclusif de cette activité, regroupant 71,3% des entreprises et captant 88,1% du chiffre d’affaires total. Si les secteurs du commerce et de la construction dominent en nombre d’entreprises, c’est l’industrie manufacturière qui constitue le principal moteur de la valeur, illustrant une première ligne de fracture entre la densité entrepreneuriale et la performance économique réelle.
Le fossé grandissant entre grandes entreprises et TPME
La manifestation la plus claire de cette croissance à deux vitesses réside dans la divergence des trajectoires entre les grandes entreprises (GE) et les TPME. Bien que les microentreprises représentent près de 90% du nombre total d’entités, leur poids économique s’érode significativement. Entre 2017 et 2023, la part des TPME dans le chiffre d’affaires global a chuté de 42,7% à 37,6%.
Dans le même temps, celle des grandes entreprises a progressé de 57,3% à 62,4%. L’écart est encore plus flagrant avec la dynamique post-pandémique. Les GE ont enregistré une croissance de leur chiffre d’affaires de 21,6%, contre seulement 6,1% pour les TPME. Cette tendance se confirme sur le plan de la valeur ajoutée, où la part des GE atteint désormais 56,3%, consolidant leur position dominante.
Un marché de l’emploi dynamique mais précaire
Sur le plan social, le modèle de croissance régional montre également ses limites. Si la région a créé un nombre significatif d’emplois pour atteindre 546.310 postes déclarés à la CNSS en 2023, la structure des rémunérations révèle des défis importants.
Selon le rapport, 77,6% des salariés percevaient en 2023 un salaire inférieur à 4.000 dirhams, et plus de la moitié (56,4%) touchaient un revenu n’excédant pas le SMIG.
Cette situation, partiellement liée à la prévalence du travail à temps partiel, reflète la dualité du marché. Celui-ci est en effet marqué par une forte capacité de création d’emplois qui ne se traduit pas encore par une amélioration généralisée des niveaux de revenus pour la majorité des travailleurs.
Les défis persistants de l’inclusion
Ce modèle de développement à deux vitesses se reflète également dans les indicateurs d’inclusion. L’entrepreneuriat féminin, bien que présent, stagne à 14% du total des entreprises, un chiffre inférieur à la moyenne nationale. Plus révélateur encore, les entreprises dirigées par des femmes, qui représentent 14,9% des bénéficiaires de crédits, n’ont eu accès qu’à 10,2% de l’encours total, suggérant un accès à des financements de plus faible montant.
De même, l’accès au financement bancaire reste un privilège des entreprises établies. En effet, celles de plus de 10 ans captent 66,6% de l’encours global des crédits, laissant les jeunes entreprises, pourtant moteurs d’innovation, avec une part réduite des ressources financières.
Mehdi Idrissi / Les Inspirations ÉCO