Suspension de l’Aid Al-Adha : décryptage d’un effet domino

L’annonce de la suspension du rite du sacrifice cette année va inévitablement impacter tout l’écosystème économique autour des ovins et caprins. Des industries du cuir aux recettes fiscales générées par les différents souks de bétail, sans oublier le commerce, le transport ou les diverses activités de boucherie, de vente de charbon et de paille, le manque à gagner est estimé à quelque 20 milliards de dirhams.
Le Maroc n’accomplira pas, cette année, le rituel du sacrifice prévu dans moins de quatre mois, et ce, pour la quatrième fois depuis l’indépendance du Royaume. Si la suspension de ce rite a été accueillie par un ouf de soulagement , notamment des populations aux faibles revenus, elle pourrait, cependant, se répercuter négativement sur certaines filières de l’économie nationale.
C’est ce que révèle une étude récente menée par le Centre de prospection économique et sociale. Des industries du cuir aux recettes fiscales générées par les différents souks de bétail, en passant par le commerce, le transport, les diverses activités exercées par la filière de boucherie ou la vente de charbon et de paille, le rituel du sacrifice est profondément ancré dans la chaîne économique marocaine formelle et informelle.
Selon l’étude en question, l’impact quantifié est estimé à 20 milliards de dirhams (MMDH) dans l’hypothèse où cinq millions de familles marocaines auraient décidé de procéder au sacrifice de l’Aïd Al-Adha.
14 millions de têtes
Pour la question de la préservation du cheptel et sa reconstitution dans les meilleures conditions, la bonne nouvelle, c’est qu’il devrait se maintenir à 14 millions de têtes d’ovins et caprins, soit une production de viande de l’ordre de 250.000 tonnes/an, avec une stabilisation des prix à moins de 100 dirhams par kilogramme. Il va sans dire que dans le scénario de l’accomplissement de ce rituel, la vente de 4,7 millions de têtes de bétail dans les différents points de vente aurait été synonyme de mobilisation de 18,8 MMDH, réduisant par ailleurs le cheptel à moins de neuf millions de têtes, selon la même étude.
La production du cheptel générera aussi un gain substantiel oscillant entre 10 et 12 MMDH en faveur des consommateurs grâce à la stabilité des prix. Last but not least, la suspension du rite du sacrifice permettra d’éviter l’importation de têtes de bétail et la sortie de 5,1 milliards de dirhams en devises.
Réaction en chaîne
Cependant, l’annulation du rituel n’est pas sans conséquence sur plusieurs activités à commencer par le secteur de l’élevage qui peut perdre directement entre 12 et 14 MMDH, en plus des activités annexes. Sont également concernées les activités de valorisation et d’exploitation des peaux de moutons dans les industries du cuir. En chiffres, l’Aïd produit quatre à cinq millions de peaux par an, pour une valeur de 2 à 3 MMDH. Et une chose est sûre, l’annulation réduira la productivité de ce secteur, ce qui pourrait affecter 50.000 travailleurs du secteur selon les auteurs de l’étude.
En ce qui concerne l’augmentation des prix des aliments et fourrages de bétail, marquée par une hausse conséquente dernièrement, les prix pourraient baisser de 20% à 30%, ramenant la botte de foin à moins de 25 dirhams, contre 30 à 45 DH actuellement. Autres activités impactées par cette situation, le transport et le commerce. En effet, le transport saisonnier par différents moyens génèrerait environ 200 MDH.
Selon le rapport, l’annulation mettra fin à cette activité, ce qui peut affecter l’activité de 20.000 à 30.000 travailleurs saisonniers.
À noter également l’impact notable sur les recettes fiscales, le rituel du sacrifice étant susceptible de générer des taxes indirectes (TVA) de l’ordre de 1 à 1,5 MMDH. À cela s’ajoute le manque à gagner pour les communes qui collectent les taxes relatives à l’installation des souks d’ovins et caprins. Signalons également que d’autres activités ne sont pas non plus épargnées, notamment la filière de la boucherie (avant et après le sacrifice), avec l’abattage rituel et les activités de découpe des carcasses. Plusieurs métiers saisonniers sont également affectés tels que le commerce des équipements liés à ce rituel, l’électroménager, la vente de charbon et d’aliments pour bétail…
Les mesures préconisées
Le rapport propose l’adoption d’une série de mesures par le gouvernement en faveur des activités touchées. Il s’agit essentiellement de l’indemnisation des éleveurs pour atténuer les pertes immédiates et de la mobilisation d’aides financières directes pour soutenir les petits éleveurs.
L’objectif est de leur permettre de surmonter cette situation et de s’impliquer dans l’effort de reproduction. Il est question aussi de soutenir les secteurs connexes tels que l’industrie du cuir et d’explorer les moyens de compenser les pertes et d’assurer la poursuite de l’activité industrielle. Autre recommandation formulée : la réduction de 20% des prix subventionnés des aliments et fourrages afin de réduire les coûts de production et d’encourager les éleveurs à poursuivre leurs activités.
Par ailleurs, le rapport estime souhaitable d’orienter la politique agricole vers l’amélioration de la production nationale, et ne pas se focaliser sur les importations qui peuvent aggraver la situation.
Yassine Saber / Les Inspirations ÉCO