Stress hydrique. Fouad Amraoui : “L’eau restera un défi au-delà de 2030”
Face au constat alarmant dressé par la Cour des comptes sur la gestion des ressources hydriques au Maroc, la question de l’eau se révèle plus que jamais cruciale. Entre sécheresses récurrentes, surexploitation des ressources souterraines et retard dans la mise en œuvre de projets stratégiques, la situation appelle à une mobilisation urgente et coordonnée. Dans ce contexte, Fouad Amraoui, professeur-chercheur en hydrologie à l’Université Hassan II, aborde avec nous les enjeux et les solutions possibles pour relever les défis liés au stress hydrique. Entre innovations technologiques, réformes structurelles et gestion intégrée, son expertise propose des pistes pour garantir la sécurité hydrique du Royaume.
Le rapport de la Cour des comptes souligne que près de 50% de la superficie irriguée au Maroc bénéficie désormais de systèmes d’irrigation localisée. Cependant, la demande en eau reste élevée, et la surexploitation des eaux souterraines persiste. Quelles mesures concrètes, selon vous, pourraient être mises en œuvre pour stabiliser cette demande tout en préservant les ressources hydriques souterraines ?
Selon le rapport de la Cour des comptes, après pratiquement deux décennies d’efforts de l’État, nous sommes parvenus à reconvertir à peu près 50% de la superficie irriguée au Maroc en système de goutte-à-goutte, et ceci à travers des subventions étatiques. Quand nous avons plus de cinq hectares, l’État peut rembourser jusqu’à 80% du coût de la mise en place du goutte-à-goutte, et quand nous avons moins de cinq hectares, c’est à 100%. Alors pourquoi n’est-ce pas allé au-delà ? C’est d’abord parce qu’il n’y a pas d’obligation de mettre en place ces systèmes d’irrigation localisée.
Deuxièmement, les procédures peuvent être parfois contraignantes. Donc si nous voulons aller vers plus de mise en place de cette irrigation localisée, il faut simplifier les procédures et rendre la mise en place de cette irrigation obligatoire. Parce que quand nous avons une grande propriété agricole, nous sommes obligés de mettre le goutte-à-goutte si nous voulons satisfaire tous les besoins de la parcelle.
Par contre, si nous avons un petit terrain de moins de cinq hectares, à la limite, nous ne voyons pas l’obligation de le mettre et donc nous gaspillons beaucoup d’eau. Ainsi ce sont souvent les propriétés des petites parcelles qui consomment de très grandes quantités d’eau. D’où l’intérêt de simplifier les procédures et de rendre le goutte-à-goutte obligatoire pour tout le monde.
La réutilisation des eaux usées traitées reste marginale en agriculture, notamment en raison de l’absence de cadre juridique et de normes de qualité adaptées. Quels seraient, selon vous, les principaux leviers pour encourager et réglementer efficacement l’usage des eaux usées dans l’agriculture au Maroc ?
L’assainissement au Maroc ne date que d’une vingtaine d’années, c’est-à-dire qu’avant 2004, nous avions très peu de stations de traitement des eaux usées. Depuis 2004, il y a eu le plan national de l’assainissement liquide, et ce plan a permis d’avoir aujourd’hui à peu près 175 stations de traitement des eaux usées. Cela signifie que dans toutes les villes marocaines, pratiquement, nous avons aujourd’hui des stations de traitement. Il y a eu également une généralisation du réseau de collecte des eaux usées. Et donc, grâce à ces stations de traitement, nous avons une eau aujourd’hui traitée qui peut être réutilisée. Les réutilisations jusque-là, c’était au niveau industriel, c’était également au niveau de l’arrosage des espaces verts, mais au niveau de l’agriculture, très, très peu d’expériences sont faites.
D’abord, comme l’a indiqué le rapport de la Cour des comptes, parce qu’au niveau de la législation, nous n’avons pas de normes bien claires, bien précises. Nous avons également mis un peu la barre très haut. Et il y a aussi une autre problématique, c’est que souvent les eaux usées qui arrivent dans l’espace de traitement sont des eaux usées mélangées entre les eaux domestiques et les eaux industrielles. Et quand nous avons ce mélange, même si nous traitons l’eau, il y a toujours un risque sanitaire.
Donc, il faut essayer, si nous voulons réutiliser complètement les eaux usées, de séparer la filière industrielle de la filière domestique et puis encourager beaucoup de cultures telles que l’arboriculture et des cultures aussi pour l’alimentation du bétail. Nous pourrions les irriguer à partir de ces eaux et surtout éviter d’irriguer pour des fruits que nous mangeons crus. Donc c’est plus de l’arboriculture et des cultures pour l’élevage.
Certains projets de barrages et de dessalement connaissent des retards importants en raison de résiliations de marchés ou de contraintes financières. Quels mécanismes, selon vous, pourraient être mis en place pour accélérer leur réalisation et éviter de tels retards à l’avenir ?
La construction des barrages, mais aussi la mise en place des usines de dessalement d’eau de mer, peuvent prendre plus de temps que ce qui est prévu au niveau des études parce qu’il y a des contraintes de terrains. Au niveau par exemple de l’appropriation des terrains, des histoires d’héritage, il y a aussi des sociétés défaillantes qu’il faut des fois changer. Et donc tout ça fait que nous avons souvent des retards sur la réalisation des ouvrages.
Pour le dessalement, l’État a opté pour des contrats publics privés et donc pour trouver l’entreprise qui va venir réaliser le projet, le financer, etc. Les négociations pour fixer un prix au mètre cube produit, les contrats aussi sur l’alimentation à partir des énergies renouvelables, tout cela peut prendre beaucoup de temps, et c’est ce qui fait que certains projets peuvent prendre plus de temps que prévu.
Donc si nous voulons raccourcir ces durées, il faudrait que l’État prenne ses engagements, parce que quand nous mettons en place des contrats publics privés, chaque partenaire a des obligations. L’État doit également se diriger vers des partenaires qui sont fiables, qui ont la technicité, le savoir-faire requis. Bien évidemment, il faudrait aussi préparer les projets en amont.
Face à l’accentuation des effets du changement climatique et des sécheresses récurrentes, pensez-vous que les mesures actuelles, telles que l’interconnexion des bassins hydrauliques et le dessalement, sont suffisantes ? Quelles pistes supplémentaires la recherche scientifique pourrait-elle proposer pour renforcer la résilience du Maroc face au stress hydrique ?
Aujourd’hui, le Plan national d’alimentation en eau potable et d’irrigation 2020-2027 contient une panoplie de mesures capables de répondre à la demande future à l’horizon 2030 et même un peu au-delà. Il y a beaucoup de programmes qui sont lancés, il y en a certains qui sont réalisés, à travers la construction d’encore plus de barrages, l’amélioration des réseaux de distribution des eaux et d’irrigation, le recours au dessalement d’eau de mer, l’interconnexion entre les bassins hydrauliques, puisque dans certains bassins nous avons de l’excès, et donc nous pouvons ramener l’eau de ces bassins-là vers des bassins où on a du déficit.
La réutilisation des eaux usées également, puisque les eaux usées traitées peuvent devenir une ressource pour un certain nombre d’usages. Donc tout ça, ce sont des solutions qui sont mises en place, qu’il faudrait bien entendu suivre et évaluer.
Par ailleurs, la recherche scientifique est très importante. Nous avons des chercheurs dans toutes les universités marocaines. Certains d’entre eux sont à la pointe de la technologie et du savoir. Il faudrait donc donner beaucoup plus de moyens à la recherche scientifique pour qu’elle puisse travailler. La problématique de l’eau persistera même après 2030 ou 2040, ce qui impose de développer une recherche scientifique capable d’apporter des solutions, de garantir une desserte adaptée à nos besoins actuels, tout en proposant des options économiquement viables pour répondre à la demande des générations futures.
Faiza Rhoul / Les Inspirations ÉCO