Soft power : l’art, un levier de rayonnement international

Dans un contexte où l’influence ne se limite plus aux seules sphères politique et économique, le Maroc mise sur la culture, les arts et le patrimoine comme leviers majeurs de sa diplomatie. De la restauration des ksour et médinas aux grands festivals internationaux, en passant par la modernisation des musées et la vitalité du cinéma, le Royaume déploie une stratégie ambitieuse pour faire de sa richesse culturelle un puissant moteur d’attractivité et d’influence.
Depuis le début du règne du Roi Mohammed VI, le Maroc s’est engagé dans une politique culturelle ambitieuse, qui s’affirme aujourd’hui comme l’un des piliers majeurs de son soft power et de sa diplomatie d’influence. Loin d’être cantonnés à la seule préservation patrimoniale ou à une valorisation touristique classique, les arts, la culture, le patrimoine matériel et immatériel ainsi que les musées marocains forment désormais un levier stratégique permettant d’inscrire le Royaume dans une dynamique d’ouverture, de rayonnement et de coopération internationale.
L’une des expressions les plus visibles de cette ambition réside dans l’immense chantier de réhabilitation du patrimoine historique marocain. Un budget de huit milliards de dirhams a été engagé pour la période 2024-2028 afin de restaurer les ksour, les kasbahs et les anciennes médinas qui jalonnent le territoire.
Ce plan d’envergure répond à une urgence bien réelle. En 2012 déjà, un recensement avait révélé que plus de 43.000 habitations et monuments risquaient de s’effondrer. La volonté est donc de sauver un patrimoine architectural précieux, témoin d’une histoire millénaire tout en redonnant vie à des quartiers entiers pour qu’ils ne soient pas de simples décors figés mais bien des espaces vivants, intégrés à la cité moderne.
Patrimoine, le bien le plus précieux
Parallèlement, le Maroc a pris soin d’adapter son arsenal législatif aux normes internationales en matière de protection patrimoniale. La récente adoption du projet de loi sur la protection du patrimoine culturel marque une étape décisive à cet égard en alignant la réglementation nationale sur les engagements internationaux ratifiés par le Royaume, notamment auprès de l’Unesco.
L’introduction d’un registre national du patrimoine, la définition élargie du patrimoine culturel, naturel et géologique, la prise en compte du patrimoine submergé et la préservation des savoir-faire traditionnels sont autant de mesures qui témoignent d’un profond souci de sauvegarder la diversité culturelle et historique du pays.
La loi encadre par ailleurs l’exportation d’œuvres artistiques de valeur patrimoniale. Elle durcit les sanctions pour toute infraction à la conservation du patrimoine tout en exigeant une évaluation d’impact pour tout grand projet de travaux publics susceptible de menacer des biens patrimoniaux.
Cette vision stratégique trouve un prolongement naturel dans la transformation du secteur muséal. Depuis la création de la Fondation nationale des musées (FNM) en 2011, le Maroc s’est doté d’un réseau de musées modernes, rénovés ou nouvellement construits, qui participent à la fois à la diffusion du patrimoine et au rayonnement international. Sous l’impulsion royale, le Musée Mohammed VI d’art moderne et contemporain (MMVI), inauguré à Rabat en 2014, est devenu un symbole de cette renaissance culturelle.
Ce réseau s’étend désormais aux musées régionaux de Tétouan, Tanger, Meknès, Marrakech ou encore Agadir, tous modernisés pour offrir aux visiteurs des espaces de qualité, des collections enrichies et une programmation exigeante.
Cette dynamique n’est pas isolée. Elle s’inscrit dans une logique de coopération active avec de grandes institutions internationales. La signature de neuf accords culturels entre le Maroc et la France, lors de la visite de Rachida Dati en février dernier, illustre l’ampleur de cette diplomatie culturelle.
Ces conventions visent notamment à recenser et restituer les archives cinématographiques marocaines conservées en France, à former les équipes nationales grâce au concours de l’Institut national de l’audiovisuel (INA) et de la Bibliothèque nationale de France (BNF) et à promouvoir le cinéma du Royaume à l’étranger à travers la Cinémathèque marocaine. Cette dernière, institution phare, joue le rôle de gardienne de la mémoire cinématographique du pays et contribue à son rayonnement par des projections, des ateliers de coproduction et des partenariats structurants.
Le Maroc sur grand écran
Le cinéma est d’ailleurs un autre visage du soft power national. En 2024, les salles de cinéma marocaines ont généré 127 millions de dirhams de recettes, contre 77 millions en 2022, grâce notamment à l’ouverture de nouveaux multiplexes comme le Cinéma Pathé Californie à Casablanca. La fréquentation suit la même courbe ascendante, passant de 1,7 million de spectateurs en 2023 à 2,2 millions en 2024.
L’industrie du tournage étranger, quant à elle, a rapporté environ 1,5 milliard de dirhams en 2024, consolidant la position du Maroc comme 10e pays le plus prisé pour les productions cinématographiques internationales, grâce à des sites mythiques comme Ouarzazate, immortalisée par «Gladiator», de Ridley Scott. Cette dynamique culturelle et artistique s’exprime également à travers les grands festivals qui jalonnent l’agenda national.
Du Festival Gnawa d’Essaouira, inscrit au patrimoine immatériel de l’Unesco, au Festival des Musiques sacrées de Fès, en passant par Mawazine à Rabat, Jazzablanca à Casablanca ou Tanjazz à Tanger, ces événements attirent chaque année des centaines de milliers de spectateurs. Ils incarnent un espace de dialogue entre traditions locales et cultures du monde, offrant au Maroc l’image d’un pays où se rencontrent spiritualité, musique universelle et créativité contemporaine. La vitalité culturelle du Royaume se mesure aussi à son engagement pour la promotion du livre et de la lecture.
Le Salon international de l’édition et du livre (SIEL) a attiré, en avril 2025, plus de 403.000 visiteurs. Avec plus de 1,1 million de livres vendus, cet événement confirme l’ancrage du pays comme carrefour intellectuel et plateforme de la francophonie. Là encore, le Maroc voit grand.
L’inauguration du Grand Théâtre de Rabat, chef-d’œuvre architectural conçu par Zaha Hadid, parachève cette stratégie de rayonnement culturel. Sa gouvernance, confiée à un conseil d’administration prestigieux composé de figures internationales comme Cheikha Al Mayassa Bint Hamad Al-Thani, Brigitte Macron ou encore Gad Elmaleh, traduit la volonté du Maroc de se positionner comme un acteur culturel influent, capable de fédérer des réseaux au-delà des frontières.
À travers une vision qui articule sauvegarde du patrimoine, infrastructures modernes, festivals, cinéma, livre et musées, le Maroc donne à sa diplomatie culturelle une assise solide. Il fait de la culture un vecteur d’attractivité, un moteur de développement et un instrument puissant pour renforcer son image d’État stable, ouvert et ancré dans la modernité tout en restant fidèle à ses racines. C’est là, sans doute, l’une des expressions les plus abouties du soft power marocain au XXIe siècle.
Ilyas Bellarbi / Les Inspirations ÉCO