Réduction des inégalités. Zéro pointé pour le Maroc

Dans sa configuration actuelle, la politique budgétaire au Maroc s’est avérée beaucoup plus un instrument de réduction de la pauvreté et de la vulnérabilité qu’un levier d’atténuation des inégalités. Ce constat, dressé par une étude réalisée conjointement par le ministère de l’Économie et des finances, l’ONDH et l’AFD, doit interpeller les pouvoirs publics.
Pourquoi le Maroc n’a pas avancé sur la question de la réduction des inégalités alors que depuis des décennies les rapports tant nationaux qu’internationaux dressent des constats alarmants sur ce sujet ? Une question posée lors de la rencontre organisée hier à Rabat sur l’étude ayant porté sur les effets de la politique budgétaire sur la pauvreté et les inégalités au Maroc. «On a fait beaucoup d’efforts, mais aussi beaucoup de ratages», souligne le secrétaire général de l’Observatoire national pour le développement humain, El Hassan El Mansouri, qui a émis une remarque on ne peut plus pertinente : le rapport du cinquantenaire sur le développement humain au Maroc reste toujours d’actualité.
Le rythme des réalisations est long. Le royaume peut mieux faire. La baisse des inégalités au Maroc reste limitée par rapport à nombre d’autres pays en ce qui concerne l’impact de la politique budgétaire. Des pays comme l’Argentine, l’Afrique du Sud, le Mexique ou encore la Tunisie et le Chili ont mieux fait que le Maroc, «reflétant ainsi l’efficacité de leurs politiques notamment de ciblage des dépenses budgétaires. Ils ont réussi à maximiser les retombées socio-économiques de leurs politiques budgétaires dans des proportions significatives».Les progrès enregistrés, jusque-là, par le Maroc demeurent encore insuffisants pour faire face à l’acuité des défis sociaux encore persistants. La politique budgétaire au Maroc s’est avérée beaucoup plus un instrument de réduction de la pauvreté et de la vulnérabilité qu’un levier d’atténuation des inégalités. Cette situation est expliquée par le fait que les instruments budgétaires qui sous-tendent l’action sociale de l’État n’agissent pas de la même ampleur et avec la même efficacité pour susciter autant la réduction de la pauvreté que le repli significatif des inégalités.
En matière de politique fiscale, certains instruments, en l’occurrence les prélèvements obligatoires directs, de par leur progressivité, agissent en faveur de la baisse des inégalités, mais ne suscitent guère une inflexion de la pauvreté, selon l’étude. S’agissant des impôts indirects, certains d’entre eux, comme la TVA, affichent un caractère neutre vis-à-vis des inégalités, tout en ayant un impact négatif sur la pauvreté. En ce qui concerne les transferts monétaires et quasi-monétaires, leur contribution est certes favorable en matière de réduction des inégalités et de la pauvreté. Mais l’ampleur de cette contribution est impactée par le volume réduit des budgets alloués aux programmes sociaux y afférents. Quant aux subventions, leur impact est réduit à cause de l’absence d’une politique de ciblage appropriée. Sur le volet des dépenses budgétaires ayant trait aux services publics de base, notamment en matière d’éducation et de santé, leur contribution à la réduction de la pauvreté et des inégalités est «de loin la plus significative» en raison de l’importance des budgets qui leur sont dédiés. Néanmoins, de nombreux défis restent posés. Il s’agit, entre autres, de la progressivité des dépenses d’éducation qui baissent significativement au fur et à mesure que le niveau de scolarité s’accroît. À cela s’ajoute le problème relatif aux erreurs de ciblage relevées au niveau du programme RAMED.
Les recommandations clés
Pour corriger les dysfonctionnements qui limitent l’impact des politiques budgétaires sur la réduction des inégalités et de la pauvreté, le gouvernement est appelé à agir sur plusieurs leviers, dont la nécessité d’optimiser les dispositifs budgétaires et d’accroître significativement leur rendement. La concrétisation de cet objectif passe, en premier lieu, par le rehaussement de l’efficience des dépenses consacrées aux services publics stratégiques, à commencer par l’éducation et la santé. L’amélioration de la gouvernance est un élément clé qui permettra d’apporter des réponses de fond aux inégalités d’accès aux soins et aux problèmes qui minent le secteur de l’enseignement. Il faut également relever de manière substantielle la cohérence des filets sociaux en vue d’assurer la convergence souhaitée entre toutes les politiques sociales et optimiser l’impact des moyens financiers qui leur sont dédiés.
L’amélioration du ciblage doit également être érigée en priorité. C’est d’ailleurs dans ce cadre que s’inscrit le projet de registre social unifié. Il est recommandé, à cet égard, de mettre l’accent sur les transferts monétaires ciblés en vue d’agir directement sur les poches de vulnérabilité et de précarité, surtout en milieu rural. En outre, le développement de mécanismes rigoureux de suivi et d’évaluation s’impose. À ce titre, on plaide pour l’élaboration d’un rapport annuel sur les inégalités sociales et territoriales qui pourrait accompagner le projet de loi de finances.
Par ailleurs, le gouvernement est appelé à prendre en considération un autre axe de la plus haute importance : l’opportunité d’inscrire les exigences de l’inclusion sociale au cœur des politiques publiques devant forger l’ossature du nouveau modèle de développement. Pour ce faire, il faut agir sur plusieurs fronts dont l’instauration des bases d’un régime de croissance inclusive pour apporter des réponses adéquates à des problématiques de taille comme celle de l’employabilité des jeunes. S’ajoute à cela l’impératif de la territorialisation des politiques publiques de lutte contre les inégalités pour corriger les disparités spatiales qui ne cessent de se creuser. Aussi, est-il proposé de créer des observatoires sur les inégalités au niveau des régions en vue de suivre de près la mise en œuvre des politiques publiques et leur impact sur les conditions de vie des citoyens. Enfin, il est recommandé d’insérer la lutte contre la pauvreté et les inégalités dans le cadre d’un chantier sociétal. La démarche doit être participative en impliquant tous les acteurs concernés dont la population, la société civile et le secteur privé.