Maroc

Pétrole. Afaf Zarkik : “Le Maroc, le pays le moins exploré d’Afrique”

Afaf Zarkik
Économiste-Experte Énergie et changement climatique au sein du Policy Center for the New South

L’existence d’un potentiel favorable à l’accumulation d’hydrocarbures dans certains bassins offshore et onshore au Maroc ne fait pas de doute. D’autant plus que la géologie du Maroc serait également comparable à celle de certains pays producteurs d’hydrocarbures. Cela dit, le Maroc reste un pays relativement peu exploré, si ce n’est le pays le moins exploré d’Afrique, comme le suggère Afaf Zarkik, Économiste-Experte Énergie et changement climatique au sein du Policy Center for the New South dans cet entretien. 

Le Maroc a-t-il un véritable potentiel pétrolier ?
Le potentiel pétrolier du Maroc, c’est-à-dire ses réserves à la fois prouvées et récupérables (techniquement et économiquement), est peu connu, car le Maroc reste un pays relativement peu exploré, si ce n’est le pays le moins exploré d’Afrique. Des données sur la production nationale des hydrocarbures publiés par le ministère de la Transition énergétique et du développement durable indiquent qu’on aurait produit environ 4.100 tonnes de condensat en 2020, soit l’équivalent de presque 73.000 barils de pétrole équivalent, contre une demande qui dépassait les 290.000 barils par jour en 2019. Par ailleurs, plusieurs communiqués de l’Office National des Hydrocarbures et des Mines (ONHYM) traduisent l’existence d’un potentiel favorable à l’accumulation d’hydrocarbures dans certains bassins offshore et onshore. Selon les mêmes communiqués, la géologie du Maroc serait également comparable à celle de certains pays producteurs d’hydrocarbures. En effet, dans l’Oriental, la géologie du Maroc constitue le prolongement des prolifiques bassins algériens. À l’ouest, le Maroc est bordé par la marge passive atlantique, où des découvertes ont été réalisées, notamment dans le bassin MSGBC (Mauritanie – Sénégal – Gambie – Guinée Bissau et Guinée Conakry). Ces bassins ont mis à jour le potentiel de cette nouvelle province pétrolière en eaux profondes..

Concrètement, y-a-t-il des conditions qui permettent d’encourager l’investissement dans les activités d’exploration et production (E&P) au Maroc ?
La présence de grandes compagnies pétrolières et leur partenariat avec l’ONHYM en exploration d’hydrocarbures, notamment ENI, Chariot, Repsol, Schlumberger, Shell, etc., témoigne de conditions encourageantes pour mener les activités d’E&P au Maroc. Pour commencer, l’ONHYM consacre des efforts considérables pour définir et quantifier les ressources pétrolières du Maroc. L’Office vise notamment à associer les opérateurs nationaux et étrangers dans la recherche et le développement de projets pétroliers et mène de nombreuses actions de promotion des potentialités et opportunités d’investissement au Maroc. Ensuite, on distingue, notamment, un cadre légal très attrayant pour les activités E&P dans le cadre du code des hydrocarbures marocain, qui prévoit trois types de permis, offrant de réels avantages pendant toute la durée de vie d’un projet E&P en commençant par:

1 Le permis de reconnaissance, celui-ci est accordé pour une durée initiale d’une année, et peut être renouvelé plusieurs fois pendant huit ans, à défaut d’une découverte d’hydrocarbures;

2 Le permis de recherche et d’exploration, celui-ci dure huit ans avec possibilité de prorogation exceptionnelle de deux années en cas de découverte durant les deux dernières années de validité des permis;

3 La concession d’exploitation, car le titulaire d’un permis de recherche qui a rempli ses obligations légales et contractuelles a le droit, en cas de découverte d’un gisement d’hydrocarbures commercialement exploitable, d’obtenir une concession d’exploitation de 25 années pour ce gisement. Dans le cas d’une découverte, les parts d’intérêts prévus dans le cadre de l’accord pétrolier entre l’ONHYM et ses partenaires sont de 25% pour l’ONHYM et 75% pour la société d’exploitation. De plus, sur les royalties versées sur les productions annuelles, les groupes explorateurs bénéficient de 10% de réduction sur les premiers 300 000 tonnes de pétrole produits en onshore et offshore. Une réduction similaire de 7% leur est octroyée sur les 500 000 tonnes produits dans ce qu’on appelle l’offshore profond.

Pour ce qui est du gaz, les investisseurs ont droit à une réduction de 5%, sur les premiers 300 millions de m3 produits en onshore et offshore, et de 3,5% produits dans l’offshore profond. Par ailleurs, les conditions fiscales sont tout aussi attirantes. A titre d’exemple, diverses exonérations sont de mise et concernent à la fois l’impôt sur les sociétés, la patente, l’impôt sur les revenus des capitaux et les droits douaniers dont sont exemptées les compagnies E&P durant les dix premières années de production. Ensuite, une réduction de 17,5% leur est offerte sur la production exportée. Pour les besoins d’exploitation, les équipements, les matériaux et les produits nécessaires pour la reconnaissance, l’exploration et l’exploitation sont exonérés de tous les droits et taxes douaniers à l’importation et de la TVA.

Comment peut-on interpréter les annonces de «découvertes pétrolières» de la société britannique Europa Oil & Gas dans le bassin d’Inzegane ?
Le 13 avril 2022, l’entreprise britannique «Europa Oil & Gas» a publié ses résultats intermédiaires du processus d’exploration pour la période de six mois se terminant le 31 janvier 2022. «Une évaluation récente a identifié un volume important de ressources récupérables sans risque, dépassant 1 milliard de barils (équivalent pétrole), dans les cinq principaux prospects classés uniquement», lit-on sur le document. Soit l’équivalent de plus de 100 milliards de dollars (USD) de richesse pétrolière (estimation sur 100 USD par baril pétrole), ce qui représente presque le PIB du Maroc, qui était de 119,7 milliards USD en 2019.

Pour mieux comprendre, Europa Oil & Gas détient une participation de 75 % dans le grand permis d’Inzegane, situé au large du Maroc, avec l’ONHYM bien évidemment comme partenaire. Son permis d’exploration couvre une superficie de 11 228 km2 dans le bassin d’Agadir, dans des profondeurs allant de 600 m à 2000 m. Le plan d’Europa Oil & Gas pour le bassin d’Inzegane était centré autour d’un programme d’exploration à faible coût, qui visait le retraitement et l’interprétation de données sismiques 3D en utilisant des technologies de pointe. Cette étape permet généralement de sortir avec une modélisation du bassin, qui permet ensuite de livrer une analyse de risques géologiques et économiques en vue d’amener ces structures potentiellement importantes à un statut dit «forable», si les résultats sont prometteurs.

L’achèvement des travaux techniques d’Europa ont effectivement permis d’identifier un volume important de ressources sans risque, plus d’un milliard de barils équivalent pétrole. Il est également important de signaler qu’Europa dispose d’une expertise d’exploration dans des réservoirs similaires, notamment au large de l’Irlande, ce qui rend Inezgane un excellent complément technique et stratégique. Suite à cette découverte, Europa affirme ensuite être en discussion avec des partenaires externes disposant de moyens plus importants afin de passer au forage d’exploration, selon un dispositif commun dans le monde du pétrole que l’on appelle «Farm out initiative». Le forage d’exploration étant un processus très onéreux, qui coûte plusieurs millions de dollars à terre et jusqu’à des dizaines de millions en mer. Le forage d’exploration permet de faire remonter des débris de roches et des échantillons d’hydrocarbures, qui confirmeront ou non la découverte du gisement et fourniront des indications supplémentaires sur la possible exploitation des réservoirs.

Durant le forage, on affine l’étude des réservoirs par une série de mesures sur la porosité des roches, les fluides souterrains… Tant qu’un puits n’est pas foré, il est difficile de confirmer la présence d’une accumulation d’hydrocarbures. A ce stade, seule la présence d’une structure susceptible d’en renfermer peut être confirmée.

Concrètement, dans combien de temps les perspectives du bassin d’Inzegane se matérialiseront-elles en barils de pétrole ?
L’exploration pétrolière est un processus risqué, hautement capitalistique et très long. L’étape de forage d’exploration peut durer entre 2 à 4 ans, sans compter le processus d’appel d’offres. Des questions ensuite peuvent subsister quant à sa rentabilité, la taille et la forme du réservoir. Cette étape est donc suivie d’un forage d’appréciation et de développement dans le cas d’une potentielle découverte. Ceci consiste à creuser davantage de puits selon la nature et la taille du gisement, afin de délimiter le gisement et évaluer les réserves récupérables en place, et par conséquent déterminer la rentabilité du champ. Cette étape peut durer entre 2 et 5 ans. Les opérations d’appréciation nécessaires avant de passer à l’étape de l’exploitation peuvent atteindre entre 4 et 9 ans. Pour que les perspectives d’Inzegane se concrétisent en barils de pétrole, il sera nécessaire d’attendre au moins jusqu’à la fin de la décennie. Il faudra donc s’armer, à l’instar des investisseurs, d’une grande patience mais également afficher un grand degré d’optimisme.

Quid du drilling offshore au Maroc ?
Avec seulement 10 puits en eau profonde forés à ce jour, l’offshore marocain demeure une région relativement sous-explorée. Un forage d’exploration dans une telle région est très risqué, ce qu’on appelle dans le jargon pétrolier un «wildcat drilling». Toutefois, il faut noter que la conjoncture est extrêmement favorable à l’exploration. L’appétit pour les paris risqués monte avec des prix du baril qui dépassent les 100 USD/baril. On est également dans un contexte où l’Union européenne s’efforce de trouver des sources alternatives de combustibles fossiles, compte tenu de la récente escalade géopolitique, et encourage activement les sociétés européennes à participer aux appels de prospection internationaux. C’est dans cette perspective que le Maroc et ses partenaires prévoient la cartographie de 1150 km et 650 km2 de sismique 2D et 3D et le forage de 27 puits, dont 4 en mer entre la période de 2022 à 2024.

Sami Nemli / Les Inspirations ÉCO


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