Pauvreté multidimensionnelle : leçons d’une décennie de transition

La décennie écoulée révèle une dynamique encourageante, mais encore incomplète en termes de réduction des niveaux de pauvreté. Les données extraites de la dernière étude du HCP sur le sujet montrent que l’enjeu pour la prochaine décennie sera de transformer ces avancées quantitatives en gains durables.
Une décennie de transition sociale majeure s’est dessinée au Maroc entre 2014 et 2024. À travers la publication de sa toute dernière étude intitulée «Cartographie de la pauvreté multidimensionnelle : paysage territorial et dynamique», le Haut-Commissariat au Plan (HCP) livre un diagnostic approfondi des transformations vécues par la société marocaine, en particulier en milieu rural.
L’analyse, fondée sur les données des Recensements généraux de la population et de l’habitat (RGPH) de 2014 et 2024, met en lumière une amélioration globale des conditions de vie, malgré la persistance d’inégalités structurelles et territoriales.
UNE DIMENSION MULTIPLE DE LA PAUVRETÉ
La pauvreté multidimensionnelle, au-delà du simple pouvoir d’achat, intègre des privations dans trois domaines fondamentaux : l’éducation, la santé et les conditions de vie. Le seuil retenu pour qu’un ménage soit considéré comme pauvre est fixé à une accumulation de privations représentant au moins 33% des indicateurs mesurés.
Cette approche offre une vision plus complète que la pauvreté monétaire et met en évidence les inégalités souvent invisibles à travers les seuls indicateurs économiques. Selon le HCP, «en dépassant la seule logique monétaire, ce changement de paradigme met en exergue les déficits sociaux qui affectent la qualité de vie».
INDICATEURS NATIONAUX : UNE DÉCENNIE DE PROGRÈS
Entre 2014 et 2024, indique le rapport du HCP, la proportion de la population vivant dans une situation de pauvreté multidimensionnelle est passée de 11,9% à 6,8%, soit une diminution de 5,1 points de pourcentage. Le nombre de personnes concernées a reculé de 4 millions à 2,5 millions. L’intensité moyenne des privations, quant à elle, a légèrement baissé, passant de 38,1% à 36,7%.
L’indice global de pauvreté multidimensionnelle (IPM) a ainsi été réduit de moitié, passant de 4,5% à 2,5% au niveau national. Cette évolution s’explique pour moitié (50,2%) par les progrès enregistrés dans le domaine de l’éducation, suivis de l’amélioration des conditions de vie (31,4%) et de la santé (18,4%).
UNE PAUVRETÉ RURALE PRÉDOMINANTE
Sans surprise, on apprend du document que la pauvreté multidimensionnelle reste avant tout un phénomène rural : 72% des personnes pauvres vivent en milieu rural en 2024 contre 79% en 2014. Le taux de pauvreté y est passé de 23,6% à 13,1%, alors qu’il s’est stabilisé à 3% dans les villes (contre 4,1% dix ans plus tôt). La vulnérabilité, définie comme une exposition à des privations modérées (entre 20% et 33% des indicateurs), touche encore 8,1% de la population. En milieu rural, elle atteint 17,8% contre 2,3% en zone urbaine.
RÉPARTITION RÉGIONALE : DES ÉCARTS SIGNIFICATIFS
Autre constat : toutes les régions du Royaume ont connu un recul de la pauvreté multidimensionnelle, mais à des degrés divers. Les diminutions les plus nettes sont observées à Marrakech-Safi (-7,9 points), Béni Mellal-Khénifra (-7,5 points), Tanger-Tétouan-Al Hoceïma (-6,8 points) et Drâa-Tafilalet (-6,7 points), détaille la même source.
En revanche, les régions déjà mieux loties ont vu des évolutions plus modérées : Laâyoune-Sakia El Hamra (-0,9 point), Dakhla-Oued Eddahab (-2 points), Casablanca-Settat (-2,4 points), Rabat-Salé-Kénitra (-3,4 points). En 2024, les taux de pauvreté les plus faibles sont observés à Laâyoune-Sakia El Hamra (2,4%) et Dakhla-Oued Eddahab (2,5%). À l’inverse, Béni Mellal-Khénifra (9,8%) et Fès-Meknès (9,0%) dépassent largement la moyenne nationale.
CONCENTRATION DES PAUVRES
Cinq régions concentrent près de 70% de l’ensemble des personnes pauvres : Fès-Meknès (16,2%), Marrakech-Safi (15,7%), Casablanca-Settat (13,5%), Rabat-Salé-Kénitra (11,9%) et Tanger-Tétouan-Al Hoceïma (11,5%). Quant à la vulnérabilité, elle est particulièrement élevée dans les régions de Drâa-Tafilalet (11,8%), Marrakech-Safi (11,5%), Fès-Meknès (9,1%), Béni Mellal-Khénifra (9,0%) et Tanger-Tétouan-Al Hoceïma (8,8%).
NIVEAU PROVINCIAL : DES BAISSES SPECTACULAIRES MAIS UNE GÉOGRAPHIE CONTRASTÉE
À l’échelle des 75 provinces et préfectures, les baisses les plus marquées ont été enregistrées à Azilal (-16,7 points), Chichaoua (-14,8), Essaouira (-13,8), Figuig (-12,5), Fahs-Anjra (-12,4), Chefchaouen (-12,4), Youssoufia (-11,8), Midelt (-11,5), Al Haouz (-11,0), Assa-Zag (-10,9) et Guercif (-10,3).
En revanche, dans les grandes villes et provinces du Sud, les taux n’ont quasiment pas évolué. Malgré ces baisses, certaines provinces restent dans une situation critique : Figuig (24,1%) et Taounate (21,1%) dépassent les 20%. D’autres provinces enregistrent encore des taux supérieurs à deux fois la moyenne nationale : Azilal (17%), Chichaoua (15,1%), Essaouira (14,8%), Taza (14,4%) et Ouezzane (13,6%).
VULNÉRABILITÉ : UN TIERS CONCENTRÉ DANS 13 PROVINCES
Les taux de vulnérabilité dépassent les 20% à Taounate (22,9%), Chefchaouen (21,7%), Chichaoua (21,1%), Zagora (20,3%) et Ouezzane (20%). Huit autres provinces dépassent les 15%, dont Essaouira, Moulay Yacoub, Youssoufia et Rhamna. Ces 13 provinces concentrent à elles seules 31,6% de la population vulnérable.
PAUVRETÉ COMMUNALE : UNE DYNAMIQUE POSITIVE
93,8% des communes marocaines ont vu leur taux de pauvreté reculer, avec des progrès plus notables dans les communes rurales (95,5%) que dans les zones urbaines (88,4%). Dans les zones les plus touchées en 2014, les baisses ont été particulièrement fortes : jusqu’à -45% dans les communes rurales dont les taux dépassaient 30%. En 2024, 50,5% des localités présentent un taux de pauvreté inférieur à 10%, contre 16,3% au-dessus de 20%.
L’INDH : UN LEVIER DÉCISIF
L’Initiative nationale pour le développement humain (INDH) a joué un rôle fondamental dans ces progrès. Dans les 702 communes ciblées, le taux de pauvreté est passé de 27,8% à 15,5%, soit une baisse de 12,3 points, contre 8,4 points dans les communes non couvertes.
Une évolution sur 20 ans : ce que révèle la comparaison avec 2004
En 2004, le taux de pauvreté multidimensionnelle était estimé à environ 15,6%, avec des taux particulièrement élevés en milieu rural. Sur 20 ans, le recul est donc de près de 9 points de pourcentage à l’échelle nationale. Cette baisse est attribuable non seulement à la croissance économique mais aussi à des réformes sociales majeures, à l’extension des services de base et à une meilleure planification territoriale.
Quels moteurs pour le recul de la pauvreté ?
Le repli généralisé de la pauvreté multidimensionnelle au Maroc s’explique en grande partie par
des politiques publiques ciblées. Parmi elles :
• L’élargissement de l’accès à l’eau potable et à l’électricité en milieu rural.
• La généralisation de l’enseignement primaire et le développement de l’enseignement préscolaire.
• L’amélioration des infrastructures de santé de proximité.
• Le programme de couverture médicale RAMED et les transferts monétaires aux familles vulnérables.
• L’INDH, en tant que catalyseur d’initiatives locales.
H.K. / Les Inspirations ÉCO