Maroc

Maroc-France : vers un alignement des planètes ?

La visite au Maroc du président de la République française, qui intervient au lendemain de la reconnaissance par la France du plan d’autonomie du Royaume sur ses provinces du Sud, s’inscrit dans une dynamique réaliste où les enjeux économiques et géopolitiques se révèlent indissociables, sur fond de recomposition du paysage géopolitique africain.

En écartant toute «diplomatie parallèle», les liens entre le Maroc et la France n’ont jamais cessé de s’amplifier depuis la fin du protectorat. Au fil des présidences françaises, la relation entre les deux États s’est constamment inscrite dans le prolongement d’une longue histoire partagée entre le Royaume, l’un des plus anciens au monde (dont les origines remontent au septième siècle) et la France.

Synergies opérationnelles
Cet alignement stratégique repose d’abord sur les intérêts économiques. Le développement, entre autres, du négoce, de l’industrie et les synergies opérationnelles qui en découlent sont le corollaire logique de l’intensification des échanges commerciaux, qui se sont considérablement renforcés depuis la décennie 2010, avec l’arrivée de Renault, désormais vaisseau amiral de l’écosystème automobile local.

En s’installant sur le sol marocain, la marque au losange a drainé tout un écosystème d’équipementiers et de fournisseurs, contribuant à la formation d’un cluster automobile autour de Tanger. Ce pôle industriel, dont la capacité de production annuelle excède les 450.000 véhicules, conforte la position du Maroc en tant que hub incontournable de l’automobile en Afrique. Une décennie plus tard, Stellantis, dans une logique similaire, choisit de s’implanter à Kénitra, avec pour finalité d’atteindre une production de 450.000 véhicules par an, auxquels s’ajouteront 50.000 unités de mobilité électrique.

Cette configuration économique faite d’interdépendances, notamment dans les filières de l’automobile et de l’aéronautique, confortée par la présence de mastodontes  du CAC 40 dans d’autres domaines d’activité, porte aujourd’hui, selon les données de l’Office des changes, le stock d’investissements français à plus de 204 milliards de dirhams, soit 30,8% de l’encours total d’IDE au Maroc.

Au terme de l’exercice 2023, sur les 14 milliards d’euros de biens et services échangés de part et d’autre, le Maroc a exporté pour environ 7,7 milliards d’euros de produits vers la France, tandis que la France a expédié pour près de 7 milliards d’euros vers le Maroc. «Aujourd’hui, le déficit commercial est du côté français. Ce déséquilibre est amorcé en 2012 avec l’essor de l’industrie, notamment des filières automobile et aéronautique», fait valoir Jean-Charles Damblin, directeur général de la Chambre française de commerce et d’industrie du Maroc (CFCIM).

«Diplomatie secrète»
Au-delà des chiffres «bruts» des échanges et des investissements, force est de constater que cette alliance a traversé les épreuves diplomatiques avec une constance rare. Avant d’en arriver à cette phase d’apaisement, Paris et Rabat ont connu une période mouvementée sous l’ère Macron.

En novembre 2021, la France avait restreint la délivrance de visas pour les Marocains, un geste perçu comme une atteinte aux relations de confiance entre les deux pays. Abstraction faite de ces épisodes qui ont fragilisé la coopération entre le Royaume et la République, les relations se caractérisaient par des périodes de tensions diplomatiques ponctuées d’efforts de rapprochement, sans pour autant rétablir une dynamique d’échanges fluide.

Le dossier du Sahara marocain restait cependant une épine dans le pied de la relation bilatérale. La reconnaissance de la souveraineté marocaine sur le Sahara, matérialisée par la lettre adressée par Emmanuel Macron au Roi Mohammed VI à l’occasion du 25e anniversaire de son accession au trône, marque une étape importante. Cette visite présidentielle constitue ainsi un tournant dans la relance des discussions.

Pour Paris, le rapprochement avec Rabat est justifié par les «avancées majeures réalisées par le Maroc, notamment au Sahel», note un expert bien informé des pourparlers engagés.

Cette situation s’inscrit dans un contexte où la France a dû repenser ses stratégies économiques au Maghreb. En effet, depuis que l’Espagne est devenue le premier partenaire commercial du Maroc, et face à la montée en puissance de la Chine, de plus en plus présente dans les grands projets d’infrastructures, Paris a été contrainte d’ajuster sa position.

«La relation entre la France et le Maroc se distingue par une approche qualitative», relativise Jean-Charles Damblin.

Sur le terrain, cette coopération bénéficie d’un fort ancrage local. Plus de 1.000 entreprises françaises sont bien établies au Maroc, générant des milliers d’emplois pour les citoyens marocains et les expatriés français. Plusieurs de ces entreprises voient le Royaume comme une porte d’entrée vers le reste du continent africain.

«Le Maroc est perçu comme un hub pour les entreprises françaises désireuses de s’implanter en Afrique», confie le directeur général de la CFCIM.

Cette position stratégique, renforcée par les nombreuses connexions culturelles et économiques que le Maroc entretient avec l’Afrique subsaharienne, fait de lui un acteur incontournable pour les entreprises cherchant à conquérir le marché africain.

Africa first!
Cela dit, les considérations économiques et géopolitiques s’avèrent, en l’occurrence, indissociables. Longtemps puissance tutélaire sur le continent, Paris amorce un retrait patent, comme en témoigne la fin de ses interventions militaires au Mali, au Burkina Faso et au Niger. Ce désengagement reflète, en parallèle, la montée en puissance d’acteurs extérieurs tels que la Russie et la Chine qui modifient les rapports de force traditionnels. Dans cette recomposition géopolitique, le Maroc émerge comme un pivot régional, qui pourrait, selon de nombreux observateurs, s’imposer comme un interlocuteur clé dans les nouvelles dynamiques qui structurent le continent.

Car, comme le note Alain Juillet, expert en intelligence économique, le positionnement du Maroc en Afrique subsaharienne n’est plus à démontrer : «Le Maroc s’est substitué à la France en Afrique subsaharienne».

Cette affirmation fait écho à la montée en puissance du Royaume dans des secteurs stratégiques comme la banque et les télécommunications, ainsi que l’immobilier où des entreprises ont pu acquérir un savoir faire local, notamment au Sénégal ou encore en Côte d’Ivoire. Fort de ses ambitions panafricaines, le Maroc propose une alternative crédible aux grandes puissances économiques.

L’Initiative Atlantique, projet phare porté par Rabat, vise à créer un corridor reliant les économies du Sahel à l’océan Atlantique, ouvrant ainsi de nouvelles perspectives de développement. En collaboration avec ses partenaires européens et africains, le Maroc entend jouer un rôle majeur dans la distribution des ressources énergétiques, notamment grâce à ses projets dans l’hydrogène vert et les énergies renouvelables.

«L’avenir économique du Maroc passe par son rôle en tant que fournisseur d’énergie pour l’Afrique», confie un acteur clé du secteur. Le Royaume ambitionne de devenir, en ce sens, un exportateur majeur d’énergie, tout en assurant la sécurité énergétique de la région.

Alain Juillet
Expert en intelligence économique

«Au fil des années, le Maroc s’est substitué à la France en Afrique subsaharienne»

Sécurité, énergie, diplomatie…, les axes prioritaires

Le test crucial des relations entre le Maroc et la France, après une période de tension, se jouera sur le terrain de la lutte contre le terrorisme. Le Royaume s’impose comme un acteur clé dans la stabilité régionale. Mais ce n’est pas le seul défi. Le partenariat énergétique, qui s’affirme comme un levier stratégique, semble être également un socle solide pour bâtir de fortes relations économiques entre les deux pays.

Accompagné d’une délégation d’affaires importante, Emmanuel Macron aura pour mission de consolider ces engagements, tout en renouvelant le soutien de la France à la marocanité du Sahara. Une visite placée sous le signe de la coopération, avec, en toile de fond des échanges, des enjeux sécuritaires et économiques.

Ayoub Ibnoulfassih / Les Inspirations ÉCO



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