Maroc

Lait : une filière qui tient bon, malgré tout !

Avec un léger rebond de la production, la filière laitière parvient à maintenir l’autosuffisance et à stabiliser les prix de vente au consommateur. Mais cet équilibre reste précaire. D’où l’urgence d’accélérer les décaissements publics et de déployer des mécanismes de stockage et de lissage des excédents en période de lactation, afin de consolider l’autonomie et la résilience de ce secteur très stratégique.

Le lait, produit de consommation courante et pilier de l’alimentation des ménages, traverse une crise profonde. En cinq ans, le pays a vu son cheptel bovin laitier fondre d’environ 30%, un chiffre qui résume l’ampleur des difficultés auxquelles la filière est confrontée. À l’origine de cette contraction, deux chocs successifs : la pandémie de covid-19 et, surtout, les sécheresses successives qui ont contraint à l’arrêt de l’irrigation dans plusieurs périmètres.

Autosuffisance assurée
En effet, la pandémie a eu des conséquences multiples : effondrement temporaire de la demande, perturbation des circuits logistiques, suspension des campagnes d’insémination artificielle et fragilisation financière des éleveurs. Mais c’est la canicule qui a infligé à la filière les dégâts les plus lourds.

«La raréfaction des ressources en eau a freiné la culture des fourrages, provoquant une envolée de plus de 80% du coût des aliments depuis 2020. L’alimentation représente aujourd’hui 60% à 70% du prix de revient du litre de lait, qui a ainsi doublé en cinq ans», indique Mohamed Raita, directeur général de la Fédération interprofessionnelle de la filière laitière, Maroc Lait.

Malgré cette réduction drastique des effectifs bovins, le marché marocain n’a pas connu de rupture d’approvisionnement. La production nationale couvre encore l’intégralité de la consommation courante en produits laitiers, à l’exception de 4% de produits spéciaux. Ce maintien tient à plusieurs leviers. La productivité a progressé de 10% en 2024, portée par une hausse de 30% du prix payé aux éleveurs par les industriels. «Le litre de lait est désormais acheté aux alentours de cinq dirhams, un niveau supérieur à certains standards européens, ce qui a redonné de l’oxygène à des exploitations fragilisées.

L’État, de son côté, a mis en place des mesures de régulation. Ces instruments ont permis d’éviter des pénuries, même durant le mois de Ramadan, période où la consommation bondit de près de 50%», rassure Raita. Pour autant, la filière n’échappe pas aux tensions. Le marché laitier s’est contracté d’environ 8% en 2024, conséquence d’une baisse du pouvoir d’achat des ménages et de campagnes qualifiées de «sporadiques».

Dans ce contexte, l’équilibre reste fragile. Entre 2019 et 2023, la production nationale a reculé de 30%. La reprise amorcée en 2024, avec une progression de 10%, reste insuffisante pour combler le retard accumulé. Maroc Lait insiste toutefois sur la stabilité des prix à la consommation, garantie par une régulation conjointe entre les industriels et l’État, assurant qu’aucune hausse n’est envisagée à court terme.

Le recours aux importations avait été rendu nécessaire pour combler les manques ponctuels : en 2024, le Maroc a importé environ 18.000 génisses et 30.000 tonnes de poudre de lait. Mais la fédération plaide pour un tournant stratégique. Elle propose de mettre en place un mécanisme de lissage qui consiste à «sécher» le lait excédentaire en période de haute lactation pour le réinjecter dans le circuit lors des périodes creuses.

Une solution qui permettrait de limiter la vente forcée de vaches en période d’abondance, de réduire la dépendance aux importations et d’économiser des devises. Cette proposition, soumise au ministère de tutelle en mai 2025, pourrait constituer un levier décisif pour accélérer la reconstitution du cheptel et stabiliser la production.

Pour une accélération des décaissements
Le gouvernement a, de son côté, mobilisé près de 11 milliards de dirhams pour soutenir le secteur. Les mesures adoptées incluent la subvention partielle de six millions de quintaux d’aliments composés, le soutien direct à l’acquisition de génisses locales ou importées, ainsi que l’exonération de la TVA sur les fourrages et aliments simples.

Néanmoins, l’interprofession souligne la lourdeur administrative, plaidant pour une simplification des procédures et une accélération des décaissements. Certaines décisions suscitent également la controverse. Il s’agit notamment de la suspension des droits de douane et de la TVA sur la poudre de lait importée, décidée pour sécuriser l’approvisionnement en période de basse lactation, laquelle aurait été prise sans concertation avec les professionnels.

Au-delà de l’urgence, c’est la durabilité de la filière qui est en jeu. Maroc Lait défend un plan global, consistant à renforcer l’amélioration génétique grâce à la production annuelle de 400.000 doses de semences au centre d’Aïn Jema et à développer les circuits d’insémination artificielle et le contrôle laitier tout en intensifiant la formation des éleveurs et des étudiants.

À noter que ces derniers sont déjà 2.000 à en bénéficier chaque année. L’étable pédagogique intégrée par la fédération illustre le potentiel de cette montée en gamme. Chaque vache produit jusqu’à 8.000 litres par an, soit le double de la moyenne nationale actuelle. La transition passe aussi par une révision des pratiques agricoles. Les essais menés sur des cultures fourragères économes en eau, comme le sorgho, le panicum ou l’orge hydroponique, ouvrent des perspectives pour réduire la dépendance hydrique. La généralisation des techniques d’irrigation goutte-à-goutte ou la réutilisation des eaux usées issues des usines sont également au programme.

Enfin, la consolidation des unions régionales de la filière, déjà présentes dans neuf régions sur douze, doit permettre un encadrement de proximité plus efficace. Les possibilités d’accès au crédit, à l’assurance sécheresse et à l’Assurance maladie obligatoire (AMO) font également partie des revendications visant à renforcer la résilience des éleveurs.

L’objectif est ambitieux : il s’agit de réduire les importations, de reconstituer durablement le cheptel et de consolider une filière qui, malgré ses fragilités, continue de garantir chaque jour l’autonomie du pays en produits laitiers. À l’horizon 2030, le Maroc espère ainsi avoir transformé une crise conjoncturelle en levier de modernisation et de souveraineté alimentaire.

Mohamed Raita
DG de Maroc Lait

«Le litre de lait est désormais acheté aux alentours de cinq dirhams – un niveau supérieur à certains standards européens -, ce qui a redonné de l’oxygène à des exploitations fragilisées. L’État, de son côté, a mis en place des mesures de régulation. Ces instruments ont permis d’éviter des pénuries, même durant le mois de ramadan, période où la consommation bondit de près de 50%.»

Maryem Ouazzani / Les Inspirations ÉCO



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