Maroc

Journée mondiale de l’alimentation : Une Marocaine raconte : «Ce que je retiens de mon expérience humanitaire au Mali»

De nature rêveuse et convaincue que rien n’est impossible, j’imaginais que l’aide alimentaire fournie par l’ONG pour laquelle je travaillais, allait rendre le sourire aux enfants et apporter un peu de joie dans les familles. Mais la réalité m’a rattrapée.

Avec un air nostalgique, je me rappelle de la première fois où j’ai intégré les bureaux d’une organisation non-gouvernementale, après quelques séjours au Togo, au Sénégal et au Rwanda. Je saute dans le premier avion reliant ma ville natale à Bamako.

Je pouvais enfin fournir tous les efforts possibles pour être à mon tour à l’initiative de projets en soutien aux populations nécessiteuses. Mais cela, c’est ce que je croyais !

Le Mali est l’un des pays les plus touchés par la pauvreté. Depuis le coup d’État de 2012, le pays est marqué par un conflit armé intercommunautaire de haute intensité et par la présence de divers groupes armés étatiques et non-étatiques. L’indice de développement humain, établi par les Nations Unies, classe le Mali au 182e rang sur 188 pays.

Totalement paralysés par l’absence de l’État, les foyers en zones de conflit se retrouvent repliés sur eux-mêmes et subissent, de plein fouet, les conséquences du conflit. Exacerbées par la sécheresse et la guerre, les populations pauvres se concentrent à 90% dans les zones rurales du sud du pays, où la densité démographique est la plus forte. Les cercles de Koro, de Bankas, de Douentza et du sud de Bandiagara sont les plus touchés par la guerre civile avec des indicateurs clairs de tactiques de nettoyage ethnique.

Dimanche 23 mars 2019, alors que je visitais le Musée national de Bamako, un ami m’informe des événements survenus la veille à Ogossagou. La violence avait atteint son paroxysme : près de 160 civils, enfants, femmes enceintes et personnes âgées ont été exécutés. Ce jour-là, peut-être pour me rassurer, je n’ai cessé de me répéter que grâce à l’organisme humanitaire auquel j’étais rattachée, je pourrais moi aussi soutenir les populations qui n’ont pas choisi de vivre au milieu de la guerre.

Au Mali, tous les facteurs traditionnels de fragilisation sociale et politique sont réunis : crises agricoles, pauvreté endémique, revendications régionales, injustices sociales, État en faillite, élites corrompues, tensions ethniques qui ralentissent la reconstruction nationale.

Par conséquent, la seule réponse pour les travailleurs humanitaires est de fournir aux familles une aide alimentaire urgente. À cet effet, j’étais enthousiaste à l’idée «d’offrir» aux foyers différents condiments alimentaires. J’étais convaincue que l’aide alimentaire prendra en compte les spécificités et les désirs de chaque famille. On pourrait fournir aux enfants des sucreries, les mères de famille pourront enfin cuisiner leurs meilleurs plats, les pères pourront enfin savourer les saveurs du café ou du thé.

J’étais loin de savoir que dans la politique d’intervention de l’ONG à laquelle j’appartenais, comme des centaines d’ONG présentes au Mali, les réponses les plus appropriées aux crises alimentaires et nutritionnelles résident dans la création de conditions d’une auto-prise en charge par les ménages de leur résilience. L’on ne procède donc pas en fournissant les denrées alimentaires, les Maliens ne sont pas seulement bénéficiaires, mais ils sont les premiers acteurs de changement.

En réalité, l’aide fournie est déterminée en fonction des spécificités des zones. Par exemple, les familles qui vivent dans les zones à fort élevage reçoivent du bétail. En revanche, dans les zones propices à l’agriculture, l’ONG mettait à la disposition de la population tout le matériel et lui proposait de nouvelles techniques pour assurer le développement de la culture.

Ce «mécanisme de soutien», tel que j’ai pu le vivre au Mali, me revient donc vivement en mémoire en cette Journée mondiale de l’alimentation. Alors que la FAO a annoncé que 14% de la nourriture mondiale est perdue après la récolte et avant d’atteindre l’étape de la vente, le Mali est amputé et rongé par la pauvreté.

Sur place, je garde aussi le souvenir de cette jeune fille qui m’avait accostée dans la rue pour me demander : «Dis, pourquoi au Mali, on est pauvres ? Qu’a-t-on fait ?».

J’avoue que des semaines, des mois après mon retour – et plusieurs recherches menées entre-temps- je n’ai toujours pas trouvé de réponse qui puisse me convaincre moi-même. En matière de géopolitique, c’est une règle : Quand les riches se font la guerre, ce sont souvent les pauvres qui encaissent.

J’ai compris que le cœur du problème ne se limite pas au brouhaha politique mais à l’absence d’opportunités et de stratégie ciblée pour remédier aux maux socio-économiques. La mise en place d’un système équitable de gouvernance décentralisé est l’une des voies à même de redresser la barre.

Depuis plus de huit ans, la situation n’a pas changé dans ce pays, elle s’est corsée. Et si la communauté internationale ne se mobilise pas sérieusement, les messages d’urgence formulés à toutes les futures journées mondiales de l’alimentation (et autres dates clés du genre) ne seront qu’un écho qui se répétera chaque année, sans que rien ne change dans des pays comme le Mali.



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