Investissement: comment la France attire les IDE marocains
Le contexte de crise économique et sanitaire impose aux États de diversifier leurs partenaires. En matière d’attractivité des IDE, les pays se livrent une rude concurrence. Certains innovent avec des stratégies qui méritent d’être suivies de près. Depuis le transfert de l’activité de Business France de Paris à Casablanca, l’on note une accélération des résultats de l’activité Invest de l’agence. De plus en plus d’entreprises marocaines envisagent d’investir en France dans le cadre de leur projet de développement, brisant au passage plusieurs idées reçues.
Les entreprises marocaines, quelle que soit leur taille, font l’objet d’une attention particulière de la part de la France. Le pays européen leur fait de plus en plus les yeux doux afin de les inciter à y investir, dans le cadre de leur développement à l’international. La structure Business France a été créée pour faciliter la concrétisation de ces projets. Forte de 1.500 collaborateurs couvrant 124 pays à travers le monde, elle a pour mission d’aider au développement international des entreprises et de leurs exportations. Ainsi, elle informe et accompagne les investisseurs étrangers en France, prépare les entreprises et les met en relation avec des partenaires commerciaux sur les marchés cibles afin de favoriser la création de courants d’affaires et de pérenniser les exportations. Business France facilite donc la prise de décision des investisseurs étrangers tout au long du projet d’entreprise en mobilisant ses conseillers et son réseau de partenaires en région. L’agence propose et met en œuvre une stratégie de promotion de la France, de ses territoires, ses entreprises et ses talents, et anime des réseaux d’influence sur le plan économique à l’international. Business France a démarré ses activités en 2015, et les premiers projets aboutis ont démarré en 2016. Selon le représentant de la structure de coopération internationale, une accélération des résultats a commencé à être constatée depuis le transfert de l’activité de Paris à Casablanca. La capitale économique du Maroc est aujourd’hui la tête de pont de l’activité Invest de Business France sur le continent africain. Au Maroc, plus de 66 projets ont été accompagnés entre mi-2015 et fin 2020, ce qui correspond à une moyenne d’une douzaine de projets par an. Depuis 2018, la structure a accéléré sa dynamique pour atteindre une tendance de 18 à 20 projets par an. Au cours du seul 1er trimestre 2021, six nouveaux projets ont été encadrés. En somme, sur la période 2016-2020, plus de 20 projets d’origine marocaine ont abouti en France, ce qui correspond à une moyenne de 4 projets par an.
«Depuis l’accélération de notre dynamique locale, nous sommes sur une moyenne de 6 à 8 projets. On espère arriver à une dizaine de projets aboutis pour 2021, parce que, du fait de la Covid-19, il y a eu un effet de report de certains projets marocains qui étaient en passe d’aboutir en 2020 et qui vont plutôt l’être en 2021», explique Stéphane Lecocq, directeur Invest Africa de Business France.
Pour intéresser les entreprises marocaines, l’agence s’appuie sur les forces de l’économie marocaine. Dans le secteur des services, plusieurs champions marocains sont présents dans l’Hexagone afin de se rapprocher de certains donneurs d’ordres. On y retrouve ainsi Intelcia, dont le centre de décision est basé à Casablanca, Outsourcia et d’autres. Dans les nouvelles technologies, une entreprise comme HPS y développe des activités de service et R&D depuis ses implantations en région parisienne et à Aix-en-Provence. Dans le domaine de l’agro-alimentaire, on peut citer le groupe T-Man Holding qui distribue les thés Sultan auprès de la diaspora nord-africaine depuis sa base en région parisienne.
Faire les yeux doux aux entreprises de la région
Pour atteindre ses objectifs, Business France s’est d’abord focalisé sur les plus grandes économies d’Afrique, notamment au nord et au sud du continent, avant, dans un deuxième temps, de compléter son dispositif pour le reste de l’Afrique subsaharienne. En 2020, 15 projets d’investissement originaires des pays d’Afrique du Nord ont été recensés en France, soit autant qu’en 2019. Dans la répartition des projets par pays d’origine de la région, la Tunisie occupe la première position avec 8 projets générant 194 emplois. Vient ensuite le Maroc avec 6 projets générant 40 emplois, dont 1 qui a été abandonné à cause de la crise de la Covid-19. La crise sanitaire ayant eu un impact sur certaines décisions, l’entreprise marocaine candidate au déploiement sur le territoire français a renoncé à son projet de développement à l’international pour se concentrer sur le marché national. L’Algérie occupe, elle, la 3e place avec 1 projet générant 7 emplois. Ces investissements ont permis la création ou la sauvegarde de 241 emplois. Pour diversifier davantage l’origine des projets d’investissement et, notamment, attirer les projets venant de pays d’Afrique du Nord, l’accompagnement que proposent les services de Business France permet de combattre et corriger une autocensure que s’imposent certains dirigeants d’entreprises, «qui se disent ne pas avoir la capacité de s’implanter sur le marché européen». Des incitations fiscales sont aussi mises en avant pour attirer les IDE marocains, notamment pour les activités de R&D. Rappelons qu’un certain nombre de dispositifs a été mis en œuvre par la France au profit d’entreprises étrangères pour soutenir l’innovation, peu importe leur taille et origine. A ce sujet, Stéphane Lecoq explique : «L’existence d’aides et incitations fiscales n’est pas le premier motif d’attractivité de la France. La première raison du choix d’implantation en France est la taille du marché, la position du marché au sein de l’UE. Il faut savoir que la destination est entourée de sept économies à fort pouvoir d’achat. D’un point de vue logistique, on peut facilement distribuer ces produits en Espagne, en Italie, en Suisse, en Allemagne, au Benelux et dans les pays du Nord de l’Europe».
Le Maroc deuxième investisseur africain en France en 2020
15% des emplois générés sont dans la R&D. En 2020, la France a été la première destination européenne des investissements en provenance des pays d’Afrique du Nord. En 2020, le Maroc est devenu le deuxième investisseur africain en France, représentant 0,5% du total des investissements étrangers du royaume. Elle a accueilli 60% des projets et se positionne devant le Royaume-Uni (20%) et la Roumanie (20 %). Le top 3 des régions d’accueil sont l’Île-de-France (5 projets), les Hauts-de-France (3 projets) et le Grand Est (2 projets). À l’échelle mondiale, soixante pays ont investi en France. Les États-Unis sont à la tête du top 5 des IDE étrangers en France, suivis de l’Allemagne, du Royaume-Uni, de l’Italie et des Pays-Bas. Près des 2/3 des projets étrangers en France proviennent de la zone Euro. La Tunisie, le Maroc et la Côte d’Ivoire figurent dans le top 25. Bien que la région Afrique contribue à seulement 1% des emplois créés par ces projets en France, les représentants de Business France soulignent l’émergence de la zone. «C’est quand même une nouveauté de voir émerger cette zone en termes d’origine de projets d’investissement. Particulièrement la partie Afrique du Nord, qui émet le plus de projets aux côtés de l’Afrique du Sud», soutient la chef des services économiques de l’ambassade de France au Maroc. Il y a eu un maintien de l’activité logistique entre 2019 et 2020 et une relative bonne tenue des projets de recherche et développement, qui ont baissé de 5%. Le nombre de projets dans le domaine de la santé a connu une croissance de 40% entre 2019 et 2020. Ces projets concernent des extensions de site d’un côté et la création d’activités de R&D de l’autre. Le secteur de l’énergie et l’environnement a connu une croissance de 13% du nombre de projets par rapport à 2019, et un doublement du nombre d’emplois créés. Plus de 1.300 entreprises originaires des pays d’Afrique du Nord sont installées en France et emploient environ 7.400 personnes. En 2020, 15 projets issus de ces pays ont permis la création ou le maintien de 241 emplois. Les investissements issus de cette zone privilégient les activités de centre de décision (6 projets), de point de vente (4 projets) et de R&D et ingénierie (3 projets). À noter que la totalité des investissements en centre de décision concerne des primo-implantations d’entreprises en Europe. Les investissements en provenance d’Afrique du Nord ciblent avant tout le secteur du commerce et distribution (5 projets). La reprise de l’enseigne NAF NAF par le groupe turco-tunisien SY International explique en partie l’importance de ce secteur. En outre, 3 projets ont ciblé les prestations informatiques, totalisant 23% des emplois.
Plusieurs voies et étapes d’implantation
Plusieurs opportunités s’offrent aux entreprises marocaines qui désirent s’implanter en France. Elles peuvent procéder par le rachat d’entreprises déjà existantes. «Parfois, une opportunité peut être saisie par une entreprise quel que soit son secteur d’activité, et le rachat permet d’aller un petit peu plus vite dans l’accès au marché. C’est d’ailleurs la voie empruntée par les centres d’appels», fait valoir le directeur de Business France. Le parcours d’évaluation d’une entreprise qui s’implante en France est composé de plusieurs étapes. L’une de ces étapes consiste à évaluer plusieurs localisations en fonction du secteur d’activité, ou encore de ce que les régions peuvent proposer. Ces évaluations passent par des visites sur place pour identifier les avantages comparatifs entre les régions et obtenir les éclairages nécessaires pour le porteur du projet avant d’opérer son choix. Du fait de la contrainte de la Covid-19 et notamment des difficultés à se déplacer, la visite physique a basculé vers la visioconférence pour permettre d’établir des relations avec les différentes régions. La démarche se fait donc progressivement.
Les logiques sous-tendant la démarche française
Aujourd’hui, l’Afrique se développe au niveau industriel et développe ses propres technologies. De ce fait, les industriels du continent aspirent à un développement à l’ international. Les start-up ayant les mêmes problématiques, qu’elles soient en Afrique ou en Californie, ressentent le besoin d’aller rapidement à l’international, le besoin de lever des fonds ou encore de recruter des talents, le tout dans le respect d’un calendrier afin de rester au meilleur niveau vis-à-vis des concurrents. Certaines entreprises désirent se rapprocher des diasporas installées en Europe afin de satisfaire une demande importante et disposant d’un pouvoir d’achat important.
Lycom Consulting a sauté le pas en 2020
Entreprise marocaine opérant dans le secteur du consulting, Lycom Consulting est spécialisée dans les solutions en mode SaaS de gestion RH en termes d’engagement des collaborateurs et de rétention de talents, et a des références importantes tant dans le secteur privé que celui public. Lycom a implanté son bureau européen à Rouen, BTPW Europe, afin de recruter une équipe R&D (thématiques IA et big data), faciliter son développement international, notamment sur le continent africain, mais aussi sur les marchés européen et américain et effectuer une levée de fonds. Ce projet va créer dix emplois en trois ans. «La base de Rouen va être principalement destinée à la R&D. À travers ce développement à l’international, nous voulons constituer une base autour des sujets d’actualité sur lesquels nous travaillons aujourd’hui avec des profils expérimentés dans tout ce qui est intelligence artificielle, big data, machine learning… Des sujets assez techniques. En la matière, la région de Rouen est très riche parce qu’il y a déjà des entreprises qui opèrent dans ce domaine et regorge de compétences disponibles pour accompagner ce type de projets», explique Hamza Idrissi, consultant RH chez Lycom.
Modeste Kouamé / Les Inspirations Éco