Industrie pharmaceutique : le Maroc s’affirme sur la scène africaine
![](https://leseco.ma/wp-content/uploads/2025/02/Vaccin-Marbio.jpg)
Grâce à des investissements ciblés et au lancement imminent du premier vaccin «Made in Morocco», le Royaume entend consolider sa souveraineté sanitaire et inspirer l’ensemble du continent. Un pari audacieux en ligne avec les aspirations des acteurs africains, en quête d’une industrie plus autonome et résiliente.
L’accès universel et gratuit aux soins de santé est un principe non négociable, mais qui ne tient pas qu’aux avancées médicales. Prétendre à la souveraineté sanitaire suppose la capacité, pour un pays, de maîtriser l’essentiel de la chaîne de valeur du médicament.
Au Maroc, l’élargissement de l’assurance maladie obligatoire et le cumul des investissements ciblés, menés au fil des ans, ont permis en ce sens de tendre vers cette ambition. C’est ce qui ressort d’une rencontre tenue en marge de l’Officine Expo 2025 à Marrakech, qui réunit plus de 4.500 pharmaciens et professionnels de la santé, une quinzaine de délégations internationales, en provenance, entre autres, d’Afrique.
Premier indicateur : les retombées sur le marché local, qui a enregistré un taux de croissance annuel moyen de près de 8% entre 2020 et 2024, atteignant 1,5 milliard de dollars. Une expansion manifeste, mais qui ne doit pas occulter une dépendance élevée aux importations, puisque 64% des médicaments en circulation sont importés.
Le recours croissant aux génériques, qui représentent désormais 43% du marché en valeur, témoigne toutefois d’une évolution majeure. Mais à en croire les spécialistes, cette trajectoire s’inscrit dans une dynamique plus vaste.
«Nous assistons à un renforcement progressif des capacités locales, mais le chemin à parcourir reste considérable», souligne Dr Amine Mansouri, directeur consulting et technologie Afrique auprès de IQVIA, fournisseur de données, d’analytique et de solutions technologiques pour l’industrie pharmaceutique.
Le marché se concentre autour de grands laboratoires internationaux, un avantage en termes de savoir-faire, mais qui entretient une forme de dépendance structurelle. Un expert du secteur constate, en ce sens, que la production locale peine encore à couvrir une demande de plus en plus forte, encouragée par l’évolution des besoins de santé.
Enjeux sanitaires
Tout comme le Maroc, l’ensemble du continent africain fait face à de nouveaux enjeux sanitaires. Longtemps marqué par les maladies infectieuses, il doit désormais composer avec la progression des pathologies chroniques.
«L’Afrique du Nord se rapproche du modèle occidental, tandis que l’Afrique subsaharienne amorce sa propre transition», constate Dr Amine Mansouri.
L’urbanisation rapide et l’évolution des modes de vie accélèrent la prévalence des maladies cardiovasculaires, du diabète et des cancers. Le défi demeure immense et met en lumière un écart frappant entre la dynamique démographique et l’industrie pharmaceutique.
L’Afrique, qui concentre près de 28% de la population mondiale, ne pèse que 2% du marché global du médicament. Un déséquilibre auquel l’Agence africaine du médicament entend remédier, tandis que des initiatives visant à harmoniser la réglementation s’emploient à renforcer l’attractivité du continent pour les investisseurs.
Le numérique, levier stratégique
Le digital, désormais considéré comme un levier stratégique, offre des pistes pour améliorer l’accès aux soins. Télémédecine, suivi des patients à distance ou encore systèmes d’authentification des médicaments permettent de contourner certains obstacles structurels.
«Sans infrastructures adaptées ni main-d’œuvre qualifiée, les meilleures initiatives resteront lettre morte», avertit Dr Mansouri.
Malgré ces limites, le marché pharmaceutique africain recèle un potentiel considérable. Évalué à 25 milliards de dollars, il devrait atteindre 34 milliards d’ici 2027. Le Maroc y joue un rôle de premier plan, aux côtés d’autres économies comme l’Égypte et l’Afrique du Sud.
La création d’un véritable marché continental du médicament implique
cependant un équilibre délicat entre production locale, transferts de technologie et accessibilité financière. Les ambitions sont affichées, reste à mobiliser les efforts politiques et à composer avec les réalités économiques. Au-delà des enjeux de production, c’est la question de l’accès équitable aux soins qui se pose à l’échelle de tout le continent.
Dans ce chantier de longue haleine, le Maroc, précurseur sur certaines réformes, pourrait inspirer d’autres pays. Le lancement imminent de Marbio, premier vaccin «Made in Morocco», confirme d’ailleurs la volonté du Royaume de bâtir un écosystème intégré, de la recherche jusqu’à la distribution, afin de répondre aux besoins sanitaires locaux et de renforcer son rôle sur la scène africaine.
«La souveraineté pharmaceutique ne peut être envisagée sans un engagement fort de l’ensemble des acteurs, qu’ils soient publics ou privés», rappelle Dr Layla Laassel Sentissi, directrice exécutive de la Fédération marocaine de l’industrie et de l’innovation pharmaceutiques (FMIIP), en insistant sur la nécessité d’une approche concertée pour asseoir une coopération panafricaine afin de stimuler l’innovation et appuyer la croissance du secteur.
«L’harmonisation réglementaire et le partage des ressources humaines qualifiées sont au cœur de la stratégie africaine pour un développement durable de l’industrie pharmaceutique», ajoute-t-elle. Le cap défini, la mise en oeuvre reste à relever.
Ayoub Ibnoulfassih / Les Inspirations ÉCO