Groupements sanitaires territoriaux : remède miracle ou casse-tête de gouvernance ?

Alors que les ménages marocains financent encore 38% de leurs dépenses de santé, la nouvelle réforme est attendue au tournant. Si les Groupements sanitaires territoriaux sont censés inverser la tendance, à Fès, des experts alertent sur les risques financiers et les défis de gouvernance qui pourraient gripper la machine.
Au cœur de la réforme du système de santé marocain, une nouvelle structure, les Groupement sanitaires territoriaux (GST), cristallisent à la fois les espoirs d’une transformation profonde et les craintes de nouveaux défis organisationnels.
Cette dualité était au centre des débats du colloque national sur la gouvernance en santé, organisé jeudi à Fès. Ces structures régionales seront-elles le remède attendu aux maux du système de santé ou un nouveau casse-tête de gouvernance ? La réponse, selon les experts, dépendra de la capacité à trancher une série de dilemmes fondamentaux.
Entre opportunités et défis
Jalal Dahmani, secrétaire général du CHU Hassan II de Fès, a posé le cadre de cette complexité. Selon lui, la réussite de la réforme exige de faire des choix clairs face à des questions cruciales, notamment celle de savoir s’il faut simplement «immatriculer» la population ou l’«assurer» réellement ? Le système doit-il privilégier le public ou le privé, le préventif ou le curatif, une obligation de moyens ou de résultat ? Ces arbitrages sont d’autant plus délicats que la situation de départ est tendue.
Dahmani a rappelé que le financement de la santé repose encore lourdement sur les ménages, dont le paiement direct représente 38% des dépenses totales, un chiffre bien supérieur au seuil de 25% recommandé par l’OMS. Cette pression financière illustre l’urgence d’une refonte qui doit naviguer entre des objectifs ambitieux et une réalité de terrain complexe.
Un casse-tête financier et concurrentiel
Les défis identifiés par le secrétaire général du CHU Hassan II de Fès dressent le portrait d’un «casse-tête» à multiples facettes. Sur le plan financier, «immatriculer n’est pas assurer». Il a révélé que si 86% de la population est désormais immatriculée, 11% des bénéficiaires ont leurs droits à la couverture qui sont suspendus.
Le chiffre est encore plus alarmant pour le régime des travailleurs non-salariés (TNS), où les deux tiers des 3,5 millions d’inscrits sont en situation de «fermeture de droit», loin de l’objectif initial de 11 millions de cotisants. Ce manque à gagner fragilise l’équilibre financier du système.
Parallèlement, la réforme a engendré un développement rapide du secteur privé, avec 76 nouvelles cliniques créées entre septembre 2022 et décembre 2024.
Ce secteur capte désormais la majorité des dépenses de l’Assurance maladie obligatoire (AMO), posant un défi concurrentiel direct aux GST publics, dont l’attractivité doit être renforcée, tant en matière de qualité d’accueil que d’investissement technologique.
Le GST, une «méga-structure» à l’épreuve de la gestion
Ces défis de gouvernance externe trouvent un écho dans les complexités internes de la nouvelle structure, comme l’a détaillé Tarik Jellouli, économiste et spécialiste en économie de la Santé. Il a qualifié le GST de «méga-structure» dont la gestion est un challenge en soi.
«La taille du GST est un atout, mais si les bases sont faibles, le système s’écroulera», a-t-il souligné.
Ce défi de gestion interne est accentué par la lourdeur de certains organes, comme le conseil d’administration et ses 23 membres, et par des attributions qui placent le GST en position de «juge et partie», puisqu’il doit autoriser les activités de ses concurrents privés.
À cela s’ajoute le défi des ressources humaines, avec une réticence des professionnels face à un nouveau statut dont les contours doivent encore être précisés, ainsi que celui de l’hétérogénéité des systèmes d’information à intégrer, un enjeu pour la digitalisation et la protection des données des patients.
Transformer les défis en levier de réduction des inégalités
Face à ce tableau complexe, la réforme offre-t-elle la voie du «remède» ? Pour El Mahi Toufik, enseignant-chercheur à la FSJES Fès, la réponse réside dans la finalité même du projet qui est la réduction des inégalités. Il a rappelé que la refonte s’articule autour de quatre piliers stratégiques.
Le premier, une nouvelle gouvernance, incarnée par la Haute autorité de santé (HAS) et les GST, doit permettre de passer d’un système cloisonné à une gestion intégrée et territoriale.
Le deuxième, la valorisation des ressources humaines, vise à rendre le secteur public plus attractif.
Le troisième, la mise à niveau de l’offre, passe par des investissements dans les infrastructures et la création d’un CHU par région.
Enfin, la digitalisation doit fluidifier le parcours de soins. Ces piliers constituent les opportunités pour surmonter les défis. En effet, la HAS agira comme régulateur, le nouveau statut des RH comme levier de rétention, et la mise à niveau des infrastructures comme outil de compétitivité.
Les intervenants ont conclu que le GST n’est ni un remède miracle, ni une fatalité de gouvernance. Son succès dépendra d’une mise en œuvre pragmatique et d’une capacité à transformer les choix difficiles en décisions stratégiques au service d’un accès équitable et universel à la santé.
Mehdi Idrissi / Les Inspirations ÉCO