Gestion du trafic aérien : vers un ciel plus fluide et plus connecté

Dans son dernier rapport LSSIP, Eurocontrol dresse un état d’avancement encourageant de la modernisation de la navigation aérienne au Maroc. Le pays renforce ses capacités techniques, anticipe la hausse du trafic et prépare une ouverture progressive vers le Free Route Airspace.
La reprise du trafic aérien au Maroc s’est accélérée en 2024, franchissant un cap symbolique. Selon Eurocontrol, le Royaume a enregistré une hausse de 11% par rapport à 2023, avec un niveau d’activité équivalent à 120% de celui de 2019. Cette dynamique, alimentée par la croissance des flux touristiques et le repositionnement du Maroc comme hub aérien régional, impose des exigences accrues en matière de capacité et de gestion du trafic.
Pour accompagner cette montée en charge, les autorités marocaines misent sur une transformation en profondeur de l’écosystème de la navigation aérienne.
« Le Maroc affiche une progression solide en matière de modernisation du contrôle du trafic aérien », souligne Eurocontrol dans son rapport LSSIP 2024.
Cet exercice de suivi, élaboré en concertation avec la Direction de l’Aviation Civile (DAC), l’ONDA et les partenaires institutionnels européens, s’inscrit dans une logique d’alignement avec le Plan de mise en œuvre d’Eurocontrol (EIPAR) et le programme européen SESAR, qui vise à moderniser la gestion du trafic aérien.
Les centres de contrôle sous surveillance
Casablanca et Agadir, les deux principaux centres de contrôle en route (ACC), se retrouvent en première ligne. À Casablanca, le trafic a bondi de 15% en un an, avec un retour à 123% du niveau de 2019 durant la saison estivale. Malgré cette pression, le délai moyen par vol reste contenu à 0,04 minute, contre une valeur de référence de 0,07 minute.
Les retards sont essentiellement dus à des limitations de capacité du contrôle aérien, représentant 94% des cas, selon le rapport. Agadir connaît une tendance similaire, avec une augmentation de 11% du trafic en 2024. Le centre affiche un temps de retard moyen par vol de 0,01 minute durant l’été, exclusivement attribué aux capacités ATC (Air Traffic Control, le service chargé d’assurer la sécurité et la fluidité du trafic aérien).
Ces performances sont jugées satisfaisantes, mais elles reposent sur un équilibre fragile. «Le nombre de secteurs ouverts en 2024 est suffisant pour couvrir la croissance attendue d’ici 2029, à condition d’optimiser leur disponibilité, notamment en soirée », avertit Eurocontrol.
Des avancées concrètes
L’année 2024 a vu l’achèvement de plusieurs jalons technologiques importants. Le Maroc a notamment finalisé la migration vers le réseau sécurisé NewPENS pour le centre de Casablanca, complétant ainsi l’objectif COM12 (migration vers un réseau de communication européen plus sécurisé). Ce réseau assure une interconnexion fiable avec les partenaires européens.
Par ailleurs, la mise en œuvre complète du protocole FMTP a permis de standardiser les échanges de données de vol entre unités ATS (Air Traffic Services, services qui assurent le suivi, l’information et la séparation des avions en vol), améliorant l’interopérabilité et la sécurité.
Parmi les innovations notables figure la réduction des minima de séparation radar horizontale, passés de 10 à 7 milles nautiques dans les espaces contrôlés de Casablanca et Agadir. Cette mesure permet d’augmenter la densité du trafic sans compromettre la sécurité, tout en optimisant les trajectoires.
En parallèle, le Maroc a lancé les premières étapes de la restructuration de son espace aérien en vue de l’introduction du Free Route Airspace (FRA), un système qui permettra aux aéronefs de voler sur des routes plus directes. Le déploiement à Casablanca s’effectuera en deux phases, avec une première mise en service en avril 2025 pour les survols, suivie d’une extension en novembre aux vols domestiques. À Agadir, le passage en FRA 24h/24 est programmé pour 2026.
Un effort soutenu sur les ressources humaines et l’infrastructure
Pour soutenir l’augmentation du trafic, les besoins en contrôleurs aériens sont revus à la hausse. D’ici 2029, Casablanca prévoit d’augmenter ses effectifs de +37%, passant de 83 à 110 contrôleurs. À Agadir, la montée en puissance portera les équipes de 84 à 97 contrôleurs sur la même période.
En 2025, 23 nouveaux contrôleurs sont attendus sur les deux centres. Côté infrastructure, le CAPAN study – une évaluation des capacités sectorielles – sera achevée en 2025, en amont d’une re-sectorisation progressive de l’espace aérien.
L’implémentation de nouveaux radars secondaires est prévue dès mars 2025, tout comme l’introduction du système CPDLC (Controller Pilot Data Link Communication), un outil de liaison numérique entre les pilotes et les contrôleurs, qui devrait alléger les charges vocales en fréquence.
Des progrès encore timides
En revanche, les avancées au sol restent limitées. Les objectifs de déploiement d’outils collaboratifs dans les aéroports de Casablanca (GMMN) et Marrakech (GMMX) affichent des taux de mise en œuvre très faibles. Le système A-CDM (Airport Collaborative Decision Making), qui favorise une gestion concertée des flux entre compagnies, prestataires et contrôle aérien, n’en est qu’à 4% de réalisation à Casablanca, et 3% à Marrakech. D’autres outils essentiels comme l’A-SMGCS ou l’AOP/NOP sharing sont encore au stade de planification ou inapplicables.
Un partenariat structurant avec Eurocontrol
L’intégration du Maroc dans les dispositifs européens de planification ATM est désormais institutionnalisée. Depuis la signature d’un accord complet avec Eurocontrol en 2016, le Royaume participe pleinement aux mécanismes de suivi du réseau ciel unique (SES).
« Avec l’accord global entré en vigueur le 29 avril 2016, le Maroc est devenu le premier pays non européen à signer un tel partenariat, consolidant une coopération mutuellement bénéfique », souligne le rapport.
Ce rapprochement stratégique permet au Maroc de bénéficier des outils et méthodes de supervision d’Eurocontrol, mais aussi d’assurer la compatibilité de ses systèmes avec les standards européens.
Cette convergence se matérialise également dans la participation aux initiatives multinationales de réorganisation de l’espace aérien entre l’Afrique du Nord, l’Europe du Sud et l’Atlantique. Elle devrait faciliter, à terme, une meilleure fluidité du trafic entre les FIR de Casablanca, Lisbonne, Séville, Canaries et Dakar.
Faiza Rhoul / Les Inspirations ÉCO