Maroc

Gestion de l’eau : un engagement fort et concerté s’impose

Michael Haney
Practice Manager à la Banque mondiale

Entre sécheresse persistante et pression accrue sur les ressources hydriques, le Maroc voit son développement économique et social directement menacé. Alors que les prévisions alertent sur une baisse de la disponibilité en eau pouvant impacter le PIB, les solutions se dessinent à travers des investissements massifs et des stratégies intégrées. Michael Haney, Practice Manager à la Banque mondiale, insiste sur la réutilisation des eaux usées, l’optimisation des réseaux de distribution et le renforcement de la gouvernance locale. Autant de leviers que le Maroc doit activer pour préserver cette ressource vitale et assurer une gestion durable de son avenir hydrique.

Quel regard portez-vous sur la gestion du stress hydrique au Maroc ?
Malgré les récentes précipitations, la situation de rareté de l’eau demeure une problématique majeure pour le Maroc. En effet, à l’instar de nombreux pays du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord, le Maroc est confronté à un stress hydrique important, exacerbé par le changement climatique. Cette pression croissante représente un défi majeur pour le développement économique et social du Royaume. Au cours des dernières décennies, nous avons observé une augmentation significative de la demande en eau dans plusieurs secteurs clés de l’économie, tels que l’agriculture, l’industrie et le tourisme.

Par ailleurs, les sécheresses plus fréquentes et plus longues observées ces dernières années sont devenues une source majeure de volatilité macroéconomique, avec notamment un impact fortement négatif sur la production agricole. Dans son rapport intitulé «Climat et développement» au Maroc, paru en 2022, la Banque mondiale évalue que l’impact d’une baisse de 25% de la disponibilité de l’eau peut générer une réduction du produit intérieur brut (PIB) pouvant atteindre 6,5% et jusqu’à une baisse de 6% de la demande en main-d’œuvre dans l’ensemble de l’économie.

Cette situation requiert des réponses à la fois urgentes et durables. Ces dernières années, à travers des programmes ambitieux tels que le Plan national de l’eau et le Programme national d’approvisionnement en eau potable et irrigation 2020-2027, le Maroc a déjà investi de manière substantielle dans les infrastructures de mobilisation de l’eau, tant conventionnelles que non conventionnelles (dessalement de l’eau de mer et réutilisation des eaux usées).

Le pays a également amorcé la mise en place de politiques de rationalisation de la demande en eau. L’avenir de la gestion de l’eau au Maroc dépendra, en grande partie, de l’adaptation aux défis liés au changement climatique et à la mise en œuvre d’une stratégie intégrée garantissant une allocation et une utilisation efficientes de la ressource, ainsi qu’un accès équitable et durable. Pour ce faire, un engagement fort et concerté sera nécessaire à tous les niveaux : public, privé et citoyen.

Comment la Banque mondiale évalue-t-elle le potentiel de la réutilisation des eaux usées dans le pays, notamment pour l’arrosage des espaces verts et les usages industriels ?
La réutilisation des eaux usées au Maroc est une solution très prometteuse pour atténuer la pénurie d’eau et renforcer la résilience au changement climatique. En effet, la réutilisation à des fins de verdissement des villes permet de réduire de manière substantielle la pression sur les eaux conventionnelles; elle permet également de contribuer à la réduction de la pollution à travers un traitement plus poussé des eaux usées.

La Banque mondiale salue l’ambition que le Maroc affiche en matière de réutilisation des eaux, et notamment à travers le Programme national d’assainissement mutualisé (PNAM), lancé en 2019, et qui vise à atteindre 100 millions de m³ d’eaux usées réutilisées par an d’ici 2027.

La réalisation de cette ambition passe aussi bien par des solutions techniques qu’institutionnelles. Elle nécessite la mise à niveau et la réhabilitation de stations existantes d’épuration des eaux usées, permettant de pousser le traitement des eaux usées du niveau primaire ou secondaire au niveau tertiaire, les rendant ainsi réutilisables. Un cadre réglementaire et institutionnel approprié sont également requis.

Cela englobe tant les mesures relatives aux aspects environnementaux, sanitaires et sociaux (normes, gestion des boues) que celles concernant la pérennisation du financement de ce sous-secteur à travers des partenariats mutuellement bénéfiques pour les producteurs et les utilisateurs des eaux usées traitées. La Banque mondiale appuie les efforts du gouvernement dans ce sens, dans le cadre du Programme sécurité et résilience du secteur eau au Maroc.

A terme, le renforcement du rôle du secteur privé dans ce sous-secteur est également fortement encouragé pour apporter des solutions technologiques et managériales innovantes. Les succès des expériences menées par Singapour et par la ville de São Paulo, au Brésil, illustrent l’importance du recyclage de l’eau pour répondre aux besoins industriels et ainsi renforcer la résilience face aux pénuries.

Singapour a mis en place des obligations en matière de recyclage pour les secteurs à forte consommation, tandis que le projet Aqua polo, au Brésil, a sécurisé l’approvisionnement industriel grâce à des contrats d’achat à long terme. Ces expériences constituent une source d’apprentissage importante qui peuvent bénéficier aux autres régions afin de les aider à développer des stratégies efficaces pour gérer leurs ressources en eau et assurer une croissance durable.

Le rendement des réseaux de distribution reste un défi majeur dans plusieurs villes. Quels leviers permettraient, selon vous, de réduire ces pertes et d’améliorer l’efficacité des infrastructures ?
Le mix hydrique, sur lequel repose actuellement l’approvisionnement en eau des villes marocaines, intègre des solutions de plus en plus coûteuses telles que le dessalement, la réutilisation des eaux usées, les ouvrages d’interconnexion, etc. Dans un tel contexte, la réduction des pertes et l’amélioration des performances des réseaux de distribution devient un enjeu capital.

Pour ce faire, les principaux leviers suivants peuvent être activés. Sur le plan technique, l’optimisation des pratiques de maintenance (correctives et préventives) et l’intégration de technologies avancées, telles que les systèmes SCADA (Supervisory control and data acquisition), offrent des opportunités significatives pour améliorer la performance des réseaux et mieux éclairer la prise de décision.

Sur le plan économique et financier, un modèle financier aligné sur le coût réel de la distribution, tout en offrant une protection ciblée aux ménages vulnérables, serait déterminant pour assurer la viabilité financière des réseaux et ainsi catalyser les investissements indispensables à leur modernisation.

Enfin, sur le plan réglementaire, le renforcement du cadre normatif, en particulier en matière de standards de qualité du service de distribution, constitue également un levier important. Dans cette perspective, le Maroc a récemment introduit de nouvelles réglementations visant à mieux structurer ces aspects.

En matière de gouvernance, le Maroc a mis en place des agences de bassins hydrauliques pour la gestion des ressources en eau, comment renforcer davantage leur rôle ?
Au Maroc, le système de gouvernance des ressources en eau, fondé sur l’unité autonome des bassins hydrauliques, représente un levier stratégique pour une gestion intégrée et décentralisée, tout en promouvant des principes de solidarité inter-régionale.

Dans ce contexte, les Agences du bassin hydraulique (ABH) jouent un rôle essentiel pour assurer une gestion efficace et décentralisée des ressources en eau. Ces institutions régionales sont confrontées à plusieurs défis majeurs dans leurs missions essentielles, notamment en matière de gestion, de planification, de protection des ressources en eau, de systèmes d’information sur l’eau, d’exploitation et d’entretien des infrastructures publiques, ainsi que de gestion du domaine public hydraulique. Renforcer les capacités et la performance des ABH constitue un enjeu majeur.

Dans ce sens, le cadre de performance récemment adopté par le ministère de l’Équipement et de l’Eau pour chacune des ABH, avec l’accompagnement de la Banque mondiale, représente un levier crucial pour renforcer leur rôle dans la gestion des ressources en eau au Maroc.

Ce cadre, qui couvre toutes les fonctions clés des ABH, y compris les capacités techniques et opérationnelles, la viabilité financière et la coordination intersectorielle, vise à améliorer la transparence et la responsabilité partagée dans la gestion de l’eau. Les prochaines étapes consistent en la mise en œuvre effective de cet outil.

Quelles politiques incitatives pourraient encourager les agriculteurs et les industriels à adopter des pratiques plus durables pour préserver les eaux souterraines ?
Les eaux souterraines sont un pilier fondamental pour garantir la sécurité alimentaire, réduire la pauvreté et stimuler une croissance économique résiliente. Elles jouent un rôle crucial en amortissant les impacts des chocs climatiques, contribuant à atténuer les pertes de rendement agricole dans un contexte de sécheresse prolongée, et en protégeant les villes contre des crises de type «jour zéro» . Leur gestion doit donc être une priorité, reposant sur une approche intégrée, afin qu’elles bénéficient à la société, à l’économie et à l’environnement, aujourd’hui, mais aussi aux générations futures.

Encourager l’adoption de pratiques durables par les agriculteurs et les industriels pour préserver les eaux souterraines nécessite la mise en place de mécanismes incitatifs, visant à promouvoir une irrigation optimisée («goutte à goutte»), et l’adoption de cultures et pratiques moins consommatrices en eau. Un exemple efficace de cette approche est observé dans l’État de Haryana, en Inde, où les producteurs de riz reçoivent des subventions pour suspendre les cultures fortement consommatrices d’eau pendant les années de sécheresse.

De même, le Programme national d’économie d’eau en irrigation (PNEEI) du Maroc, soutenu par la Banque mondiale depuis 2008, encourage les agriculteurs à adopter des techniques d’irrigation localisée, dans une logique de «faire plus avec moins».

Cependant, cette transition vers une irrigation plus efficace peut paradoxalement engendrer des pressions accrues sur les eaux souterraines, car, en augmentant la productivité agricole, elle peut inciter les agriculteurs à intensifier les cultures ou à étendre les périmètres agricoles comme cela a été observé dans d’autres pays. La modernisation de l’irrigation doit donc être accompagnée de programmes de conseil agricole et de campagnes de sensibilisation, de contrôle de l’utilisation de la ressource, ainsi que de mesures qui insistent sur la vraie valeur de l’eau afin d’assurer une gestion plus optimale et rationnelle de cette ressource.

Au-delà des incitations économiques, quels leviers peuvent être actionnés ?
Pour maintenir les prélèvements d’eau à un niveau durable, des politiques complémentaires de conservation de l’eau doivent être mises en œuvre. Parmi celles-ci, la définition de quotas d’eau annuels, ajustés en fonction de la disponibilité de la ressource, pourrait permettre une gestion plus équilibrée.

Par ailleurs, il est crucial de renforcer l’application de la réglementation de l’eau, en particulier pour garantir la gestion durable des eaux souterraines. Le contrat de gestion participative des nappes d’eau constitue également une solution innovante pour assurer l’adhésion des différents usagers et favoriser une exploitation concertée et rationnelle de la ressource.

Cette approche est facilitée par la disponibilité d’alternatives pour l’approvisionnement en eau. Le cas de la nappe de Chtouka, à Agadir, illustre bien une approche intégrée de gestion de l’eau, avec l’adoption d’un décret définissant des zones de protection, des périmètres de sauvegarde, des limites sur l’extraction des eaux souterraines et l’application de sanctions en cas de non-conformité, tout en garantissant l’accès à une alternative viable, à savoir l’eau dessalée.

Ainsi, pour garantir la pérennité des eaux souterraines au Maroc, il est nécessaire de concilier réglementation efficace, incitations économiques et solutions alternatives et innovantes, tout en favorisant l’adhésion des usagers de la ressource à une gestion responsable et durable des ressources en eau.

Comment la Banque mondiale mesure-t-elle l’impact de ses projets sur le développement socioéconomique du pays ?
La Banque mondiale évalue l’impact de ses projets sur le développement socioéconomique à travers plusieurs niveaux d’analyse. En effet, cela est réalisé au niveau de chacun des projets, en faisant des analyses approfondies (du point de vue technique, financier, économique, environnemental et social) au moment de la préparation du projet et en suivant régulièrement les résultats spécifiques et l’atteinte des objectifs fixés tout au long de leur exécution.

La Banque mondiale analyse également ses projets à l’échelle mondiale pour évaluer leur contribution aux objectifs fondamentaux de l’institution, à savoir réduire la pauvreté et promouvoir une prospérité durable sur une planète vivable.

Cette approche plurielle permet ainsi d’optimiser l’efficacité des interventions et d’ajuster les stratégies afin de maximiser leur impact. L’évaluation de l’impact est d’autant plus cruciale dans des contextes changeants, et la Banque mondiale reste déterminée à focaliser ses efforts sur les bénéficiaires pour assurer que ses interventions répondent aux besoins réels des populations.

Maryem Ouazzani / Les Inspirations ÉCO



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