Maroc

Exclusif. Réformes sociales. Younès Sekkouri : “Chaque dirham investi doit créer de la dignité”

Younès Sekkouri
Ministre de l’Inclusion économique

Younès Sekkouri, ministre de l’Inclusion économique, de la Petite entreprise, de l’Emploi et des Compétences, plaide pour une lecture lucide mais optimiste des signaux du marché du travail. Dans cet entretien exclusif, il insiste sur le caractère structurant des réformes engagées. La refonte du Code du travail, la montée en puissance de l’apprentissage, la facilitation de l’acte d’entreprendre, ou encore la réforme des programmes actifs d’emploi sont autant de leviers que son département souhaite activer pour faire du travail un vecteur d’inclusion, d’équité territoriale et de transformation économique durable. Face à un chômage des jeunes et des non-diplômés encore préoccupant – même si les derniers chiffres du HCP confirment une tendance à la baisse – le ministre défend une méthode nouvelle. Un virage qui, selon lui, marque le passage d’une politique de traitement social de l’emploi à une stratégie nationale d’activation inclusive.

Les derniers chiffres du HCP montrent un recul du taux de chômage. Peut-on parler d’un véritable renversement de tendance ou s’agit-il d’un effet conjoncturel ? Quelles catégories ont le plus bénéficié de cette amélioration ?
Il serait prématuré de parler d’un retournement structurel complet, mais les chiffres publiés par le HCP traduisent une inflexion réelle et encourageante de la dynamique du marché du travail. Le recul du taux de chômage, qui est passé de 13,7% à 13,3% entre les premiers trimestres 2024 et 2025, s’inscrit dans une trajectoire positive confirmée sur trois trimestres successifs. Celle-ci est soutenue par des politiques publiques ciblées et un regain d’investissement dans les secteurs à forte intensité de main-d’œuvre.

Ce sont surtout les secteurs non agricoles qui ont porté cette amélioration, avec plus de 350.000 emplois nets créés, dont 216.000 dans les services, 83.000 dans l’industrie et 52.000 dans le BTP. Ce dernier bénéficie de manière notable de l’impulsion donnée par les grands chantiers liés à la Coupe du monde 2030, laquelle représente une opportunité stratégique majeure. Notre rôle, en tant que gouvernement, est d’anticiper et d’accompagner cette dynamique, en alignant l’offre de formation avec les besoins réels des projets structurants, afin de maximiser leur impact économique et social.

Sur le plan rural, bien que le secteur agricole ait enregistré une perte estimée à 72.000 emplois, cette baisse reste nettement inférieure à celle constatée à la même période de l’an dernier. L’amélioration relative des conditions climatiques y a largement contribué. Par ailleurs, des projets d’infrastructures stratégiques sont en cours, notamment dans le dessalement de l’eau. Ils devraient, à moyen terme, renforcer la résilience du secteur agricole et son potentiel de création d’emplois durables.

Au-delà de ces créations d’emplois, observe-t-on une amélioration de la qualité du travail et de son impact sur l’inclusion sociale ?
Il est important de souligner la qualité de l’emploi généré : 319.000 emplois rémunérés ont été créés, ce qui confirme une tendance vers la formalisation et la professionnalisation du marché. S’ajoutent à cela des signaux encourageants en matière d’inclusion, avec une progression de l’activité féminine en milieu urbain et une baisse du chômage aussi bien chez les diplômés que chez les non diplômés.

Ces évolutions ne sont pas des résultats conjoncturels isolés, elles constituent les premiers effets visibles d’une réforme en profondeur que nous avons engagée. Il s’agit là d’un axe stratégique central de l’action gouvernementale, qui place l’emploi au cœur de la transformation économique de notre pays.

L’enjeu désormais est de consolider cette dynamique dans une vision structurante, qui fait de l’inclusion, de la qualification et de la résilience les fondements d’un marché du travail à la hauteur des aspirations de notre jeunesse et des exigences du développement national.

Le chômage, notamment des jeunes et des non-diplômés, reste toutefois une réalité préoccupante. Quelles sont les nouvelles orientations que vous comptez donner aux politiques publiques pour mieux y remédier ?
Le chômage des jeunes et des non-diplômés reste l’un des défis majeurs de notre marché du travail. Il résulte de déséquilibres structurels profonds, à la fois du côté de l’offre, avec une main-d’œuvre souvent peu qualifiée, et du côté de la demande, avec une capacité encore limitée à créer des emplois productifs, notamment pour les primo-demandeurs. Ce déséquilibre n’est pas inhérent au Maroc, il est lié à des mutations démographiques et économiques à caractère global.

En effet, au Maroc, chaque année, près de 280.000 jeunes quittent le système scolaire sans qualification, ce qui les expose précocement à la précarité. De l’autre côté, l’inadéquation entre les profils formés et les besoins réels des entreprises freine l’insertion des jeunes diplômés. Ce double désajustement alimente un cercle vicieux de vulnérabilité et d’exclusion, que nous avons la ferme volonté de rompre. Face à cela, la feuille de route gouvernementale pour l’emploi repose sur une double approche intégrée que notre pays déploie pour la première fois.

D’un côté, agir en profondeur sur l’offre de travail, et de l’autre, stimuler la demande de travail. Concernant le premier volet, nous renforçons l’orientation territoriale et inclusive de l’investissement, en soutenant la création d’emplois durables dans toutes les régions, notamment via la nouvelle Charte de l’investissement dont le dispositif dédié aux TPME vient d’être arrêté par le gouvernement.

Parallèlement, la nouvelle feuille de route de l’emploi prévoit des ruptures pour les très petites entreprises, qui concentrent une part importante de l’emploi local, en facilitant leur accès aux outils de financement et de renforcement des capacités.

Sur le deuxième volet, nous agissons en amont, avec des mesures ciblées pour réduire le décrochage scolaire et construire des parcours d’accompagnement dès le plus jeune âge. L’objectif est que chaque jeune n’intègre le marché du travail que lorsqu’il est doté des qualifications qui répondent réellement aux besoins du tissu économique. C’est pourquoi nous avons pris la décision d’agir vite sur l’apprentissage en passant de 25.000 à environ 100.000 apprentis. Ceci permettra à beaucoup de jeunes de trouver une voie efficace pour l’insertion.

Enfin, les Programmes actifs de l’emploi (PAE) sont également réformés, pour devenir des parcours individualisés et professionnalisants, avec une attention particulière portée aux non-diplômés qui représentent près des deux tiers de la population en chômage dans notre pays. L’objectif est de construire une offre de services publics plus ciblée, plus équitable et ancrée dans les territoires, en réponse aux attentes légitimes de notre jeunesse et aux exigences du développement inclusif.

Vous avez annoncé l’élaboration d’un nouveau Code du travail d’ici la fin de l’année. Quelles en seront les principales évolutions, notamment en matière de télétravail, de travail partiel et de participation des femmes au marché du travail ?
L’élaboration d’un nouveau Code du travail constitue l’un des chantiers structurants du gouvernement. il s’inscrit dans une dynamique de réforme fondée sur le dialogue social et la concertation élargie avec l’ensemble des partenaires sociaux, conformément aux engagements tripartites scellés dans les accords du 30 avril 2022 et du 29 avril 2024. Il s’agit de doter le Maroc d’un cadre législatif moderne, agile et protecteur, capable d’accompagner les profondes mutations du monde du travail, tout en garantissant un équilibre durable entre performance économique et justice sociale.

Ce projet porte une valeur ajoutée sociale, économique et institutionnelle, qui aspire à positionner notre pays parmi les références régionales en matière de modernisation des relations professionnelles, de compétitivité et de respect des droits humains. Ce projet vise également à répondre aux différentes doléances sociales de la part de certaines catégories qui souffrent de conditions de travail insatisfaisantes en raison, notamment, de l’absence d’un cadre de réglementation adapté.

Justement, quelles sont les nouvelles réalités du travail que vous souhaitez mieux encadrer à travers cette réforme ?
L’esprit de cette réforme est clair : permettre à chaque Marocain d’accéder à un travail décent et pour beaucoup de Marocains, notamment les jeunes, de choisir leur mode de travail, tout en garantissant des conditions dignes, sûres et équitables. Il s’agit également d’adapter notre législation aux attentes d’une nouvelle génération, en quête d’équilibre de vie et de sens dans son parcours professionnel.

Concrètement, le futur Code devra d’abord réparer les injustices que connaît notre société mais également se pencher sur l’avenir en introduisant un cadre juridique clair pour le télétravail et les formes d’emploi issues de la transition numérique. Il devra garantir aux salariés des droits effectifs en matière de conditions de travail, de santé, de sécurité et de couverture sociale. Il visera également à mieux encadrer le travail à temps partiel, en le protégeant contre la précarité et en en faisant un vecteur d’inclusion, notamment pour les femmes et les jeunes.

La participation des femmes au marché du travail est d’ailleurs une priorité transversale de cette réforme. Le nouveau Code doit intégrer des dispositions renforcées contre la discrimination et pour l’égalité salariale, le respect des droits parentaux ainsi que l’accès équitable aux parcours professionnels.

Enfin, ce chantier s’inscrit dans une approche ouverte, participative et alignée avec les engagements internationaux du Royaume, notamment les conventions fondamentales de l’OIT et les Objectifs de développement durable. Notre ambition est de repenser en profondeur le cadre des relations professionnelles, pour construire un marché du travail plus inclusif, plus protecteur et pleinement ancré dans les réalités du XXIe siècle. Vous m’excuserez de ne pas en dire plus à ce stade car le Code du travail doit être l’émanation des négociations avec les partenaires sociaux dans le cadre de l’institution du dialogue social.

Depuis plusieurs mois, le dialogue social est présenté comme un levier central de votre action. Dans quelle mesure peut-il contribuer à apaiser les tensions sociales et améliorer l’employabilité ?
Le dialogue social constitue aujourd’hui l’un des piliers de l’action gouvernementale. Il ne s’agit pas d’un outil ponctuel, mais bien d’un choix stratégique structurant, au service de la consolidation de la démocratie participative et de l’édification d’un État social inclusif, conformément à la vision éclairée de SM le Roi.

Depuis le début de son mandat, le gouvernement a réactivé et institutionnalisé ce mécanisme à tous les niveaux. Deux accords sociaux majeurs ont été conclus, en avril 2022 et en avril 2024, accompagnés de la signature du Pacte national pour l’institutionnalisation du dialogue social, qui ancre désormais ce processus dans un cadre régulier, contractuel et durable, aux échelles nationale et sectorielle. Ces accords traduisent des engagements concrets, à savoir l’amélioration du pouvoir d’achat, la réduction de l’impôt sur le revenu, l’élargissement de la couverture sociale, la promotion des libertés syndicales et de la négociation collective, l’inclusion renforcée des femmes dans le marché du travail et la modernisation du droit social.

Au-delà des textes, cette dynamique de dialogue a un impact direct sur la stabilité sociale, la prévention des conflits et la construction d’un climat de confiance propice à la réforme. Le dialogue social n’est donc pas seulement un espace de concertation, il est devenu un véritable moteur de développement inclusif, un catalyseur de réformes structurelles et un garant de cohésion et de dignité pour l’ensemble des citoyens. Il permet d’anticiper les tensions, de co-construire les politiques publiques et de faire progresser l’employabilité dans un cadre équitable et partagé. J’estime que nous disposons d’un bilan honorable en la matière.

Beaucoup de réalisations sociales voulues par nos partenaires sociaux n’auraient pas pu voir le jour sans ce dialogue social, y compris les hausses des salaires, la révision du SMIG et l’amélioration des conditions de travail, notamment matérielles, dans plusieurs secteurs. Ceci étant, je suis conscient que les attentes non satisfaites qui se sont accumulées depuis des décennies ainsi que les conditions climatiques et géopolitiques nous interpellent pour faire plus afin d’être à la hauteur des besoins de nos concitoyens.

La formation continue est souvent présentée comme un levier stratégique de compétitivité, mais elle reste très peu accessible aux TPE et PME, notamment faute de dispositifs adaptés. Pourquoi ce chantier est-il resté bloqué si longtemps, et surtout, quelles sont les mesures concrètes que vous comptez mettre en œuvre pour le relancer efficacement ?
La formation continue est effectivement l’un des leviers les plus efficaces pour renforcer la compétitivité des entreprises et garantir l’adaptabilité des compétences dans un marché du travail en mutation rapide. Pourtant, les TPE, et dans une moindre mesure les PME, restent largement à l’écart de ce dispositif, faute de structuration, de ressources ou d’outils adaptés.

Conscients de cette carence structurelle, nous avons engagé une feuille de route ambitieuse et pragmatique pour relancer ce chantier autour de trois axes prioritaires : premièrement, un accompagnement de proximité. Les TPE et PME manquent souvent de ressources RH ou de visibilité sur leurs besoins en compétences. Nous avons donc engagé une réorganisation des Groupements interprofessionnels d’aide aux conseils (GIAC), en les recentrant sur un ciblage plus efficace, notamment dans les secteurs stratégiques, avec des contrats-objectifs clairs et mesurables ainsi qu’une simplification des procédures, grâce à un manuel unifié et modernisé.

Deuxièmement, une offre renforcée et un financement simplifié. Nous travaillons à fluidifier les circuits de financement, souvent jugés trop complexes, et à dynamiser l’écosystème des opérateurs de formation pour mieux coller aux besoins concrets des entreprises sur le terrain.

Troisièmement, une gouvernance modernisée et un cadre juridique sécurisé. Nous engageons une refonte de la gouvernance de la structure en charge des fonds de formation continue, pour plus d’efficacité, de transparence et de réactivité. Les textes d’application de la loi 16-17, qui entreront prochainement en vigueur, viendront asseoir cette réforme sur des bases solides et durables.

L’objectif, aujourd’hui, n’est plus seulement de promouvoir la formation continue, mais d’en faire un véritable droit, accessible à toutes les entreprises, en particulier les plus petites. Car investir dans les compétences, c’est renforcer la résilience, la performance et la compétitivité de notre tissu économique. Nous activerons les nouvelles dispositions à partir de cette année.

Dans le cadre de la feuille de route pour l’emploi, vous avez annoncé une réforme majeure visant à remplacer les autorisations administratives par un système de cahiers des charges. En quoi cette mesure constitue-t-elle une rupture ?
Le remplacement des autorisations administratives par des cahiers des charges sectoriels constitue une véritable rupture dans notre manière de soutenir l’initiative économique. Cette proposition est portée avec la CGEM. Ce n’est pas un simple ajustement technique, mais un changement de paradigme qui traduit notre volonté de passer d’une logique de contrôle préalable à une logique de confiance, de responsabilisation et de réactivité.

Concrètement, les porteurs de projets pourront démarrer leur activité dès la déclaration, en s’engageant à respecter un cahier des charges adapté à leur secteur. Le contrôle ne disparaît pas, il devient a posteriori, mieux ciblé et appuyé sur des outils digitalisés et traçables. Un important travail de refonte réglementaire est en cours, inspiré des principes de simplification, de transparence et d’efficience, pour accompagner ce basculement et garantir la clarté des règles du jeu.

Cette réforme vise à lever les obstacles à l’initiative, à accélérer la création d’emplois, et à positionner l’administration comme un partenaire, non comme un frein. Elle s’inscrit dans une vision plus large, celle d’un État stratège, qui crée les conditions d’un environnement économique plus agile, plus attractif et plus inclusif. À cet égard, l’ensemble du gouvernement est mobilisé pour réussir cette transition.

Comment évaluer l’impact de l’activation de l’ensemble de ces mécanismes sur l’emploi et, par ricochet, sur le taux de chômage ?
Évaluer l’impact des mécanismes déployés dans le cadre de la nouvelle feuille de route pour l’emploi revient à mesurer l’efficacité d’un changement profond de méthode, que nous avons voulu structurant, cohérent et porteur de résultats durables.

Pour la première fois, le gouvernement agit simultanément sur l’offre et la demande d’emploi. Nous requalifions la main-d’œuvre, activons les dispositifs d’accompagnement, tout en soutenant directement la création d’emplois à travers l’investissement, l’appui aux TPME, et la relance des secteurs à fort potentiel. C’est une vision intégrée, pensée pour répondre aux réalités du terrain et anticiper les mutations économiques à venir.

L’une des avancées majeures aujourd’hui réside dans l’adoption d’une gouvernance centrale qui fait intervenir tout le gouvernement. Ce choix n’est pas anodin, il traduit une volonté politique forte de faire de l’emploi un pilier de l’État social, et non un simple sous-produit de la croissance. Nous avons identifié, sans détour, les obstacles structurels : sortie précoce du système éducatif, inadéquation formation/emploi, manque d’expérience, désengagement des jeunes…

Et nous avons mis en place des réponses ciblées, pour que chaque citoyen dispose d’un parcours lisible, progressif et durable. Il s’agit avant tout de réconcilier l’action publique avec les attentes des Marocains, de restaurer la confiance, et de faire de la question de l’emploi un enjeu partagé entre l’État, les entreprises et la société. Car l’enjeu n’est pas de stabiliser des indicateurs, mais de transformer des trajectoires de vie.

Enfin, et c’est un point fondamental, l’impact de l’ensemble de ces actions sera évalué selon une méthodologie rigoureuse, fondée sur des indicateurs quantitatifs et qualitatifs. Évolution du taux de chômage, taux d’insertion durable, qualité des emplois créés, effets territoriaux différenciés, autant de critères qui permettront d’ajuster en continu les politiques publiques et de garantir un impact concret sur le terrain. Chaque réforme engagée, chaque dirham investi, doit se traduire en opportunité réelle, en dignité retrouvée et en cohésion sociale renforcée.

Maryem Ouazzani / Les Inspirations ÉCO



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