Maroc

Exclu. Ce que demande le patronat de Melilia au Maroc

Entretien exclusif avec Enrique Alcoba Ruiz, Président de la Confédération des entrepreneurs de Melilia (CEME)

Dans cet entretien, le patron des patrons de Melilia énumère les avantages de l’établissement d’une ligne maritime entre le préside et le port de Béni Ansar, à la fois une réponse à la fermeture des frontières terrestres et une solution durable à la question de la congestion des passages frontaliers. Mais tout en courtisant le Maroc, le patronat de Melilia admet œuvrer pour la mise en service d’une desserte avec l’Algérie. Un projet qui sera abandonné si le Maroc accède à la requête de réouverture de la douane commerciale, soutient le patron de la confédération.

L’organisation entrepreneuriale que vous présidez se mobilise activement pour la mise en place d’une ligne maritime entre le port de Melilia et Béni Ansar. Quels seront les avantages de cette connexion maritime, selon vous ?
Depuis la fermeture de la douane marocaine, et après la fermeture de la frontière du fait de la crise sanitaire, nous nous sommes penchés sur les alternatives qui pourraient donner un nouveau souffle aux échanges commerciaux entre les deux régions. Le projet de connexion maritime semble être l’option la plus efficace pour contourner cette paralysie de l’activité commerciale qui nous affecte au plus haut degré. Je tiens à préciser que notre économie est intrinsèquement liée à celle de la région orientale du Maroc, notre ami, voisin et partenaire de choix. Or, quand les opportunités ont été réduites à néant, il était urgent de trouver une solution et d’explorer de nouvelles niches. D’où notre volonté de mettre en place une ligne avec le port de Béni Ansar. Nous sommes convaincus qu’il s’agit là de la meilleure solution pour contourner les tracas de la frontière terrestre. Des années durant, ce passage terrestre était source de désagréments, tensions et frictions à cause de sa congestion, ce qui rendait tout déplacement entre les deux zones déplaisant, voire pénible, et affectait le transit des marchandises et personnes. C’est ainsi que nous avons compris qu’une ligne maritime entre les deux ports voisins serait une réponse efficace aux bouchons qui altèrent le transit à la frontière.

Comment se présente ce projet ?
L’idée est de lancer une connexion maritime entre les deux établissements portuaires de Melilia et de Béni Ansar. Elle permettra de rétablir les échanges commerciaux entre les deux zones dans des conditions favorables, et de réactiver les échanges dans les deux directions. D’une part, le Maroc exportera ses fruits et légumes, son poisson… des produits qui passaient avant par la frontière terrestre ; de l’autre, les entrepreneurs de Melilia vont pouvoir exporter des biens via cette plateforme. La connexion maritime sera plus rapide, vu que la durée ne dépasse guère les 15 minutes. Et c’est aussi plus sécurisé et surtout respectueux des consignes sanitaires et hygiéniques, étant donné les conditions favorables du transport de marchandises. Nous estimons, au sein de la CEME, que cette solution serait la réponse idéale au problème de fermeture des frontières ; de plus, elle bénéficie aux deux parties. Outre les biens et marchandises, cette connexion pourrait servir au transport des passagers. En effet, nombre d’entrepreneurs de Melilia ont des résidences dans la région de Nador, de la famille ; grâce à cette desserte, ils pourront se déplacer entre les deux régions. Nous considérons que, de manière générale, cette option revêt plusieurs avantages des deux côtés. En ce qui concerne la ligne maritime avec Béni Ansar, celle-ci répondra à la demande de soulager et de décongestionner le trafic au niveau de la frontière terrestre ; ainsi, le poste frontalier sera dédié, en grande partie, au tourisme et aux visiteurs dans les deux sens. Cela devrait «fluidifier» la frontière et éviter les longues et pénibles heures d’attente pour la traversée. En revanche, le volet commercial et économique sera traité via la ligne maritime commerciale, ce qui représente un immense gain de temps et d’efficacité.

Vous louez le Maroc dans vos déclarations mais, en même temps, vous menez des négociations pour la mise en place d’une ligne avec l’Algérie ? N’est-ce pas là un double jeu de votre part ?
Nous nous penchons sur ce projet depuis août 2018, date de fermeture de la douane commerciale marocaine. La mise à l’arrêt de cette dépendance douanière nous a sérieusement affectés et nous ne comprenons toujours pas comment, du jour au lendemain, une douane a été condamnée à la fermeture. Il ne s’agit pas d’un double jeu mais d’une question d’intérêts. À ce propos, je tiens à souligner que les négociations sont sur la bonne voie avec les autorités algériennes pour le lancement de cette ligne. Nous avons établi des discussions avec les autorités portuaires d’Algérie, sous l’égide de l’ambassadeur espagnol dans ce pays. Nous avons reçu un bon feed-back de la part du ministère des Affaires étrangères espagnol. De même, la personne chargée de ce portefeuille est favorable à la mise en place de cette ligne, comme l’a souligné le président du gouvernement de Melilia, Eduardo de Castro, durant la session plénière de l’assemblée. Nous comprenons que le Maroc s’oppose aux activités liées au transport des fardeaux, car cette activité nuit aux intérêts économiques du pays. Le royaume chérifien est un pays souverain, et il est légitime qu’il veille sur ses intérêts. En revanche, nous avons du mal à comprendre la mise à l’arrêt, sans préavis, d’une douane commerciale opérationnelle depuis des années entre deux pays amis et voisins, régie par un document paraphé en l’an 2000. Dans ces circonstances, il était impératif de nous retrousser les manches et d’aller à la recherche de nouveaux relais de croissance, vu que rien n’a été fait malgré les démarches que nous avons entamées et les requêtes formulées en faveur de la reprise des activités de cette douane. D’où les négociations pour la mise en place d’une connexion maritime avec l’Algérie. Bien évidemment, si la douane commerciale reprend du service et l’activité rétablie via ce poste douanier, il est évident que nous abandonnerons ce projet de liaison avec l’Algérie car, pour nous, le plus important, c’est notre voisin. Nous tenons à cette coopération et nous espérons l’améliorer encore.

Cela a tout l’air d’un chantage à l’adresse des autorités marocaines…
Nous devons être pragmatiques. Nous sommes des entrepreneurs et non des politiciens. Ce que nous voulons, c’est créer de la richesse, des postes de travail, des bénéfices pour tous.

N’est-ce pas aussi là un moyen, pour le Maroc, de protéger les intérêts de son économie et de ses opérateurs ?
Nous l’aurions bien compris s’il s’agissait des fardeaux portés ou de ce que l’on appelle le commerce “atypique”, mais dans ce cas de figure, il s’agit de produits et biens légalement importés, déclarés et soumis à une taxation. La douane est opérationnelle depuis plus de 70 ans, et elle est régie par les lois internationales. D’ailleurs, les deux pays y trouvaient leur compte car elle n’offrait aucun avantage à une partie au détriment de l’autre… Nous ne voulons en aucun cas exercer de pression sur les autorités marocaines, nous souhaitons seulement aller à la découverte de nouveaux marchés, que ce soit en Algérie ou ailleurs, car nous ne pouvons plus rester les bras croisés. Et nous ne comprenons pas pourquoi le Maroc s’opposerait ou exprimerait un malaise lié à l’établissement de cette connexion. Et je réitère mes propos : si la douane commerciale est relancée, nous n’aurons, en tant qu’opérateurs économiques, aucun intérêt à aller voir ailleurs. J’insiste sur le fait que nous nos motivations sont purement commerciales et économiques. Notre démarche n’est animée que par la création de la richesse et le win-win.

Pourquoi chaque lancement de projet de grande envergure par le Maroc est-il vu d’un mauvais œil à Melilia ?
C’est une fausse impression, du moins de la part des opérateurs économiques de la ville. Il est dans notre intérêt que le Maroc soit un pays fort car la misère attire la misère, et la prospérité est toujours porteuse de richesse et de développement. Nous estimons qu’avoir un voisin riche est important est bénéfique pour toute la région. Si le Maroc se lance dans la construction d’un port ou d’une zone industrielle comme c’est le cas dans la région de Nador, il s’agira d’une bonne nouvelle car, d’une manière ou d’une autre, nous tirerons aussi profit de cette richesse.

De même, Melilia semble indécise dans ses choix et ne sait plus quel modèle économique adopter : intégrer la douane commerciale européenne ou chercher à fortifier ses relations avec le Maroc. Vous convenez que Melilia a un problème de positionnement…
En ce qui nous concerne, et je parle des hommes d’affaires et opérateurs, nous voulons fortifier nos relations commerciales et nos échanges avec le Maroc. C’est notre grande priorité. Le reste est constitué de propos d’hommes politiques qui changent de discours comme ils changent de chaussettes. À l’avènement de chaque nouveau gouvernement, celui-ci entreprend une démarche aux antipodes de son prédécesseur, pour marquer la différence. Malheureusement, cela finit par créer la confusion. Nous nous sommes habitués à cette situation en Espagne, où les orientations stratégiques changent selon le parti aux commandes. À propos de la sempiternelle question de l’adhésion à la douane communautaire, nous estimons que cette entrée n’est pas avantageuse dans notre cas. Les politiques ne connaissaient pas réellement nos problèmes. Le citoyen lambda dont je fais partie ne veut que «gagner sa croûte» et subvenir aux besoins de sa famille. C’est la grande préoccupation du commun des mortels, que ce soit à Melilia, à Tétouan ou ailleurs. Que ce soit à Sebta ou à Melilia, nous voulons continuer à vivre ensemble en harmonie, travailler main dans la main et œuvrer pour une économie saine et créatrice de richesse pour l’ensemble des habitants de cette zone, sans heurts ni frictions. Pour cela, nous espérons vraiment que le sommet bilatéral sera porteur de solutions pérennes à toutes nos préoccupations. Nous sommes amis et voisins, et nous espérons travailler ensemble pour mettre au point des solutions équitables pour les deux parties.

Amal Baba Ali / Les Inspirations Éco


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