Établissements et entreprises publics : nouvelles règles de jeu pour renforcer la gouvernance

Le décret n°2-24-249, publié le 28 avril 2025, entérine un Code inédit de gouvernance applicable à l’ensemble des Établissements et entreprises publics (EEP). Adopté en remplacement de la circulaire de 2012, ce texte impose de nouveaux standards en matière de transparence, d’éthique, de parité et de performance. Il place les EEP au cœur de la réforme de l’État et les projette dans une logique de création de valeur durable, en réponse aux exigences du Nouveau modèle de développement. Détails…
Le 28 avril 2025, le Maroc a officialisé un tournant majeur dans la gestion de son secteur public. Par décret n°2-24-249 publié au Bulletin officiel n°7399, le gouvernement a approuvé le nouveau Code des bonnes pratiques de gouvernance des établissements et entreprises publics (EEP).
Ce texte, élaboré dans le cadre de la mise en œuvre de la loi-cadre n°50.21 relative à la réforme des EEP, remplace l’ancienne charte adoptée en 2012 par une circulaire du Chef du gouvernement. L’adoption par décret confère ainsi à ce nouveau cadre une force juridique sans précédent, érigeant la gouvernance des EEP en priorité stratégique de l’État.
Une refondation normative
Ce nouveau Code s’inscrit dans la continuité des grandes orientations définies par le Roi Mohammed VI, notamment dans ses discours de juillet et octobre 2020, appelant à une refonte structurelle du secteur public. Il répond également aux recommandations du rapport sur le Nouveau modèle de développement de 2021, qui identifie les EEP comme leviers essentiels de souveraineté économique, d’innovation et de réduction des inégalités territoriales.
Le Code de 2025 repose sur une architecture claire et normée. Il est structuré autour de dix piliers de gouvernance : le leadership stratégique, l’organisation et les compétences des organes de gouvernance, les comités spécialisés, la direction exécutive, la politique de rémunération, l’éthique, la gestion des risques, la transparence, les droits des actionnaires et les relations avec les parties prenantes.
Des innovations marquantes pour redéfinir les responsabilités
Parmi les dispositions les plus notables, le nouveau Code impose pour la première fois une représentation féminine minimale de 40% dans les conseils d’administration, consacrant le principe de parité comme critère de performance.
Il renforce également le rôle des administrateurs indépendants, dont le nombre devra atteindre au moins un tiers des membres de chaque conseil, avec une définition stricte de leur indépendance fondée sur l’absence de conflits d’intérêts, de relations d’affaires ou de liens familiaux.
Également, le conseil d’administration, ou organe équivalent, voit ses compétences renforcées. Il est désormais chargé non seulement de valider les grandes orientations stratégiques, mais aussi de suivre les performances, d’évaluer les risques, de promouvoir une culture éthique, et d’assurer la transparence des décisions.
Les pratiques de gestion des risques sont élargies pour couvrir, au-delà des risques financiers, les risques environnementaux, sociaux, cybernétiques et réputationnels. Ce n’est pas tout, car les mécanismes de prévention de la corruption sont approfondis.
Chaque entité devra mettre en place un système d’alerte interne, un code d’éthique obligatoire et des outils de suivi des conflits d’intérêts. Le principe de «comply or explain» est introduit : toute entité ne pouvant appliquer une recommandation devra en expliquer les raisons dans son rapport annuel.
Une exigence de transparence et de reddition de comptes accrue
Le Code introduit l’obligation pour chaque EEP de publier annuellement un rapport de gouvernance, comportant notamment une évaluation des organes de direction, un suivi des objectifs de performance, un état des risques et une analyse de la conformité aux dispositions du Code.
L’évaluation du conseil lui-même devient une exigence structurelle. Une nouveauté institutionnelle d’importance concerne le rôle accru de l’Agence nationale de gestion stratégique des participations de l’État (ANGSPE), créée par la loi n°82.20, qui devient un acteur central du suivi de la mise en œuvre du Code, en particulier pour les entreprises entrant dans le périmètre stratégique de l’État actionnaire.
Une application différenciée mais obligatoire
Soulignons que les EEP, dans leur ensemble, sont concernés, indépendamment de leurs statut juridique, taille ou mission.
Le texte prévoit toutefois une certaine souplesse dans l’application des recommandations, en particulier pour les petites structures ou celles exerçant des missions très spécifiques. Le recours au principe «appliquer ou expliquer» garantit une adaptation pragmatique sans remise en cause de l’obligation de conformité.
Administrateurs indépendants, pilier de la nouvelle gouvernance
Le nouveau Code des bonnes pratiques de gouvernance consacre un rôle clé aux administrateurs indépendants, désormais au cœur du dispositif de contrôle stratégique. Il impose qu’au moins un tiers des membres du conseil d’administration soit composé de profils indépendants, définis de manière rigoureuse : absence de liens capitalistiques, professionnels ou familiaux avec l’entreprise ou ses partenaires, et interdiction d’exercer des fonctions exécutives.
Leur mandat est limité à 12 années consécutives, avec une exigence de rotation. Le texte prévoit aussi l’intervention préalable de l’Agence nationale de gestion stratégique des participations de l’État (ANGSPE) pour approuver leur nomination dans les entreprises stratégiques.
Cette orientation vise à renforcer la neutralité, la transparence et la qualité du débat stratégique au sein des EEP, en assurant une représentation équilibrée entre gestionnaires, tutelle et voix indépendantes. À terme, cela pourrait rehausser la crédibilité et la performance des établissements publics marocains aux yeux des bailleurs, partenaires internationaux et citoyens.
H.K. / Les Inspirations ÉCO