Maroc

Ensemencement des nuages : véritable solution ou technique controversée?

À l’heure du dérèglement climatique, le recours à des pratiques «salvatrices», telles que l’ensemencement des nuages, est davantage prisé. Bien que cette technique stimule les nuages pour faire accélérer de 20% les précipitations, l’impact n’est, en réalité, pas toujours mesurable. Pire, des experts craignent les conséquences imprévisibles sur l’environnement.

L’ensemencement des nuages, le procédé consistant à manipuler les nuages pour stimuler la pluie fait polémique. Très prisée par le Maroc, cette pratique qui est exercée depuis plusieurs années suscite, toutefois les interrogations. Est-elle la solution idéale pour contrer les affres de la sécheresse compte tenu de son coût ? Connu sous le nom d’Al Ghait, ce programme qui a déjà mobilisé la bagatelle de 100 millions de dirhams en 2023, devrait s’élargir à d’autres régions d’ici 2025.

Sauf que l’impact de son action n’est pas encore véritablement visible pour le moment, en dépit de l’important nombre d’opérations réalisées (163 depuis 2020 selon le ministère de l’Equipement). En cause, la pluviométrie qui se situe toujours à un niveau très bas. Toutefois, l’expertise du Maroc en la matière est telle qu’il fait partie des nations les plus à la pointe au point de l’exporter notamment vers l’Afrique.

Sécheresse structurelle
Ceci étant, des experts en climatologie remettent en cause cette méthode qui aurait des effets sur l’environnement. C’est le cas de Said Karrouk, professeur de climatologie à l’Université Hassan II. Pour lui, «l’ensemencement des nuages n’est pas une solution étant donné qu’il a des limites géographiques. Il est plus efficace dans les zones montagneuses». Il estime d’ailleurs que la sécheresse n’est pas un fléau au Maroc. «Elle est due à la structure du climat. Et elle ne touche pas que le Maroc, l’Europe du Sud est également concernée» rappelle-t-il.

Pour l’expert, «il ne faut pas confondre la sécheresse structurelle que nous vivions et les interventions menées dans l’objectif de minimiser ou pallier le problème de la sécheresse, bien qu’elle ne soit pas véritablement un problème. D’ailleurs, la politique des barrages dans les années 1960 ne s’inscrivait pas dans cette optique. Une stratégie qui a d’ailleurs fait ses preuves tout au long de ces années. Mais malheureusement, si nous avons réussi sur le plan technique, sur le plan social et économique, on est toujours à la case départ».

Said Karrouk affirme qu’à l’origine, les barrages ont été construits dans l’objectif de protéger contre les inondations, notamment dans des régions bien précises, mais aussi pour stocker l’eau en cas de pénurie.

«Or, aujourd’hui, les barrages n’appliquent pas cette mission. Une déviation des principales orientations s’est produite au fil du temps», relève-t-il.

De plus, l’annonce officielle de la sécheresse, en 2021, ne reflète en réalité que la pénurie d’eau dans le deuxième plus grand barrage du Maroc, celui d’Al Massira, dont le niveau de remplissage a baissé à 5%. Une situation qui est, selon l’expert,» la conséquente d’une mauvaise gestion et non d’une sécheresse». Justement, le Royaume a lancé le Plan Maroc vert en raison des événements climatiques exceptionnels de 2006, au cours desquels les ressources en eau étaient plus abondantes, mais pas au point de mettre en place un programme de cette envergure. Résultat : le Maroc paie actuellement le prix de cette politique. Le climatologue a insisté sur le fait de prendre en compte les ressources moyennes en eau qui ne dépassent pas 22 milliards de m3, lors d’une année normale, d’où la nécessité de baser les politiques actuelles et futures sur cette donne.

Craintes
Pour ce qui est des conséquences, certains experts avertissent de la pratique, laquelle peut avoir des effets néfastes et imprévisibles à long terme. Les risques potentiels vont de l’augmentation des inondations à l’érosion des sols dans les zones non préparées, en passant par les perturbations des écosystèmes régionaux.

Dans le même sillage, rappelons que le ministère de tutelle a déclaré que les inondations survenues il y a quelques semaines, ne sont pas dues aux opérations d’ensemencement. Ceci dit, à l’échelle internationale, la préoccupation est telle que la coopération est préconisée pour élaborer des études plus approfondies afin de mesurer l’impact de la manipulation des nuages.

Said Karrouk
Professeur en climatologie

«Il ne faut pas confondre la sécheresse structurelle que nous avons et les interventions menées dans l’objectif de minimiser ou pallier le problème de la sécheresse, bien qu’elle ne soit pas véritablement un problème. D’ailleurs, la politique des barrages dans les années 1960 ne s’inscrivait pas dans cette optique. Une stratégie qui a d’ailleurs fait ses preuves tout au long de ces années. Malheureusement, si nous avons réussi sur le plan technique, sur le plan social et économique, nous sommes toujours à la case départ».

Maryem Ouazzani / Les Inspirations ÉCO



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