Maroc

Détaxe : mode D’emploi

Alors que le tourisme au Maroc atteint des sommets historiques, la complexité de la restitution de la TVA pour les visiteurs non-résidents nécessite une clarification urgente. Maîtriser le triptyque conditions-achat-export est crucial pour en bénéficier.

Alors que le Maroc enregistre une performance touristique historique avec 7,2 millions d’arrivées à fin mai 2025 (+22% vs 2024), la question de la détaxe (restitution de la TVA) pour les visiteurs non-résidents revient avec acuité. Raison pour laquelle nous en précisons les contours stricts et les conditions souvent méconnues.

«Les personnes physiques non-résidentes en court séjour au Maroc peuvent bénéficier de la restitution de la TVA (détaxe) sur les biens achetés localement», rappelle Reda Latrach, expert-comptable et commissaire aux comptes. Mais ce droit est encadré par des règles précises dont la méconnaissance peut priver les acheteurs de son bénéfice.

Le triptyque des conditions indispensables
Il est fondamental de souligner les trois piliers cumulatifs pour accéder à la restitution de la TVA.

Premièrement, la transaction doit impérativement être réalisée au détail, sans caractère commercial, et uniquement chez un même vendeur le même jour, pour un montant minimal de 2.000 dirhams TTC. Une condition qui exclut toute stratégie d’achats fragmentés sur plusieurs jours (exemple : acheter un sac à main à 1.300 DH le lundi et une paire de chaussures à 900 DH le mercredi chez le même commerçant) ou auprès de commerçants multiples pour atteindre le seuil. La condition cible explicitement les biens d’usage personnel. À titre de contre-exemple, l’on pourrait parler d’un grossiste achetant 10 lanternes pour les revendre à l’étranger.

Deuxièmement, les biens acquis doivent être physiquement exportés dans les bagages de l’acheteur sous un délai maximal de trois mois post-achat, imposant une preuve tangible de leur sortie du territoire. Par exemple, une touriste française achetant une céramique de Fès à 2.500 DH le 1er juillet doit la placer dans sa valise et la présenter à la douane de Casablanca avant son vol du 25 septembre. À l’inverse, un MRE expédiant un tapis par colis postal perd son droit à la détaxe, faute de transport personnel.

Troisièmement, le vendeur doit être assujetti à la TVA et accepter de remplir les formalités légales, notamment en émettant un «bordereau de vente à l’exportation» en quatre exemplaires (original + trois copies). À titre d’illustration, une bijouterie agréée de Marrakech est à même de délivrer le bordereau pour un collier en argent à 3.000 DH, tandis qu’un artisan non enregistré à la TVA ne peut le fournir.

Ce document, pierre angulaire de la procédure, engage le commerçant à certifier la destination extra-nationale des marchandises, condition sine qua non pour activer le mécanisme de remboursement. Concrètement, le vendeur doit conserver une copie du bordereau comme preuve de l’exportation.

Ainsi, si un touriste allemand achète un plateau en cuivre à 2.200 DH chez un vendeur agréé de la médina de Fès le 10 août, place l’objet dans ses bagages et présente le bordereau original avec la marchandise à l’aéroport de Rabat le 5 octobre, il valide les trois piliers. En revanche, s’il omet le bordereau ou transporte le bien dans un colis séparé, la restitution devient impossible, malgré le respect des autres conditions.

Exclusions et formalités douanières : les pièges à éviter
Reda Latrach délimite avec précision les produits exclus du dispositif : denrées alimentaires (dattes de Deglet Nour, huile d’argan…), tabacs (cigarettes marocaines), médicaments (produits de pharmacie), pierres précieuses brutes (saphir non taillé), armes (poignards traditionnels), véhicules privés (et leurs équipements type GPS), ainsi que les biens culturels (manuscrits anciens, artefacts archéologiques). Une restriction qui interdit ainsi la détaxe sur des achats symboliques comme un coffret de dattes premium ou une émeraude brute (bijou non monté), tandis qu’elle autorise des articles artisanaux comme un tapis berbère ou des céramiques de Safi.

Le véritable écueil réside dans l’étape douanière finale : l’acheteur doit présenter en personne les marchandises, la copie originale du bordereau, les deux exemplaires fournis par le vendeur ainsi que les factures, et ce, avant l’enregistrement de son vol et dans un délai maximal de trois mois. Une obligation de présentation physique simultanée des biens et documents qui constitue un point de rupture fréquent, transformant cette formalité en filtre opérationnel exigeant une rigueur absolue.

Ainsi, si un MRE canadien achète une table en thuya sculptée à Essaouira le 1er août, se présente au bureau de détaxe de l’aéroport de Casablanca le 20 octobre avant l’enregistrement, montre la table dans sa valise, et présente le bordereau original, les deux copies et la facture, la restitution de TVA lui sera accordée.

À l’inverse, s’il dépose sa valise en soute avant le contrôle douanier, il sera dans l’impossibilité de présenter physiquement la marchandise, ce qui signifie que la restitution de TVA lui sera refusée. Autres cas de rejet de la détaxe : s’il présente uniquement la copie du bordereau (sans l’original perdu par exemple), il y a rejet de la détaxe malgré la facture et la présence de la table. Ou encore, s’il tente de faire détaxer un kilo de safran acheté pendant son séjour au Maroc, le rejet de la détaxe est immédiat, puisqu’il s’agit d’un produit alimentaire exclu.

«Toute omission ou anticipation logistique invalide irrémédiablement le droit à restitution», soulignent une source. Un mécanisme qui fragilise notamment les achats encombrants (meubles, grandes poteries) exigeant un enregistrement anticipé des bagages.

Entre attractivité touristique et complexité opérationnelle
Ce qui précède révèle un dispositif de détaxe aux ambitions économiques stratégiques – notamment stimuler les achats des touristes et MRE en réduisant leur coût final – mais grevé par des lourdeurs procédurales qui en limitent l’efficacité.

Sur le plan commercial et touristique, dans un contexte de croissance record (7,2 millions d’arrivées à fin mai 2025) mais sous la menace de tensions géopolitiques, la restitution de la TVA pourrait renforcer la compétitivité du «shopping marocain», notamment dans l’artisanat, le luxe ou le textile.

Le seuil de 2.000 DH TTC (environ 180€) cible judicieusement les achats de moyenne et moyenne-haute gamme, mais les exclusions de produits phares comme les denrées alimentaires (dattes, huile d’argan) ou les biens culturels amputent son potentiel sur des segments clés du patrimoine local. Pour l’acheteur, l’obligation de présenter physiquement les biens et documents à la douane avant l’enregistrement du vol constitue un frein opérationnel majeur.

En effet, cette étape rallonge démesurément le temps de transit aéroportuaire, exigeant une anticipation rigoureuse. Pour ce qui est de la contrainte des trois mois, elle pénalise les achats réalisés en début de séjour. À cela s’ajoute le fait que la réussite du système dépend aussi de la coopération des commerçants assujettis à la TVA, dont la réticence à émettre le bordereau – en raison de lourdeurs administratives, de risques d’erreur ou de délais de remboursement par l’administration – peut décourager les demandes.

Enfin, si les références légales (Art. 92-I-39° CGI, Art. 26 décret n°2.06.574) offrent une base juridique solide, la méconnaissance persistante des règles par les touristes, MRE, commerçants et agents douaniers génère des refus frustrants aux points de sortie, sapant la crédibilité du dispositif. Une tension entre attractivité théorique et complexité pratique qui souligne la nécessité d’une réforme opérationnelle pour aligner le mécanisme sur les objectifs économiques du Maroc.

Un levier à optimiser

Comme on peut le constater, le mécanisme de détaxe est un droit réel pour les visiteurs non-résidents, offrant un avantage économique non négligeable. Cependant, sa complexité procédurale (seuil cumulatif chez un seul vendeur, présentation physique impérative à la douane, exclusions) en limite l’accessibilité et l’attractivité immédiate.

Dans une stratégie de valorisation du tourisme et de la consommation locale, une simplification des démarches – notamment via une digitalisation des bordereaux et un contrôle a posteriori moins contraignant à la douane – avec une meilleure information de toutes les parties prenantes apparaissent comme des leviers essentiels pour transformer ce dispositif fiscal en un véritable atout concurrentiel pour la destination Maroc. La balle est désormais dans le camp des pouvoirs publics et des acteurs économiques pour en maximiser le potentiel au service d’une saison estivale 2025 à la fois prometteuse et incertaine.

Bilal Cherraji / Les Inspirations ÉCO



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