Déficit commercial : 308 milliards de dirhams, la rupture historique de 2022
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Le déficit des échanges commerciaux du Maroc avec le reste du monde a franchi, pour la première fois, un seuil symbolique en 2022, en s’établissant à 308,8 milliards de dirhams. L’année dernière s’est inscrite sur le même tempo avec un «trou» de 306,5 milliards. Pour l’instant, ce déficit est financé par les transferts des MRE et les recettes du tourisme international. Mais, à terme, ces deux amortisseurs pourraient ne plus tenir.
La balance commerciale affiche un déficit chronique qui s’est encore creusé en 2024, à 306,47 milliards de dirhams (MMDH). Depuis plus de quarante ans, les échanges commerciaux du Maroc avec le reste du monde sont structurellement dans le rouge vif.
Ce «déficit éternel» a été multiplié par plus de trois ces deux dernières décennies. Fait nouveau, pour la deuxième fois en trois ans, ce trou dépasse le seuil symbolique de 300 MMDH après le record historique de 2022, à 308,8 milliards.
Cette année-là, la facture des importations avait explosé, entraînée par la flambée des prix pétroliers et des céréales suite à l’invasion de l’Ukraine par la Russie. Si 2022 aura marqué une rupture, la première est cependant intervenue en 2007, lorsque le déficit commercial dépassa la barre symbolique de 100 MMDH, 135,7 milliards plus précisément.
Déficit structurel
Malgré la diversification et la montée en valeur de son offre à l’export, notamment pour l’industrie des phosphates & dérivés et l’automobile, la balance commerciale reste le grand corps malade des échanges extérieurs du Royaume. Elle n’a jamais été en équilibre depuis quarante ans. Les importations incompressibles de produits pétroliers, du charbon, et des céréales pour compenser la chute des récoltes due aux sécheresses récurrentes (ndlr : le Maroc en est à sa sixième année consécutive de stress hydrique) font flamber la facture à l’import.
Selon les données de l’Office des changes, le pays a acheté pour 17,83 MMDH de blé sur le marché international contre 19,36 milliards en 2023 et 26 en 2022. On comprend pourquoi il est courtisé par le cercle très fermé des exportateurs mondiaux de blé (Canada, France, Russie, Australie, Roumanie, Argentine et États-Unis). Le déficit structurel de la balance commerciale est pour l’instant financé, en partie, par les recettes du tourisme international et les envois de fonds des MRE. Ces deux amortisseurs permettent d’éloigner une crise des paiements extérieurs comme cela s’était produit dans les années quatre-vingt.
En dehors de la maîtrise de l’inflation, le Maroc ne rentrerait pas dans le clou du fameux «carré magique» de Nicholas Kaldor, l’économiste britannique qui avait théorisé les quatre objectifs de la politique économique (croissance, plein emploi, stabilité des prix et équilibre-excédent des comptes extérieurs). L’année 2023 s’est achevée avec une réelle embellie du compte courant en affichant un déficit de 0,6% du PIB, en partie grâce à la détente des prix pétroliers : une baisse de plus de 1.800 dirhams du cours moyen de la tonne du fuel et, surtout, 3.460 dirhams de baisse moyenne sur les cours du gaz.
Dans la géographie des échanges extérieurs du Maroc, le fait le plus marquant de ces 20 dernières années est la montée en puissance de la Chine. Les échanges avec l’empire du Milieu, jadis centrés sur les importations massives de thé par le Royaume et l’exportation d’engrais et de phosphates par le groupe OCP, ont enregistré une mutation et un coup d’accélérateur depuis la mise en service de Tanger Med. La boulimie de biens de consommation des classes moyennes urbaines a fait le reste.
De moins en moins usine du monde pour les marques de prêt-à-porter ou les équipementiers électroménagers, la Chine exporte vers le Maroc des smartphones, des équipements pour les réseaux télécoms, des véhicules automobiles, des PC portables, etc.
La percée du Royaume sur les marchés asiatiques tient essentiellement à la stratégie de montée sur la chaîne de valeur, déclinée avec succès par le groupe OCP qui apparaît comme le fer de lance de la diversification des débouchés extérieurs du pays. Les ventes de phosphates et dérivés ont littéralement explosé de 43,9% en 2022, à 115,5 MMDH.
Les plus gros déficits bilatéraux
Les échanges commerciaux avec la Chine dégagent un déficit commercial en aggravation depuis 2011.
70,6 MMDH en 2021 contre 21,7 milliards dix ans plus tôt. Le déficit commercial vis-à-vis des États Unis se creuse également passant à 40,4 milliards en 2022.
Vis-à-vis de l’Arabie Saoudite, la balance commerciale demeure également déficitaire, avec un «trou» se chiffrant à 46,7 milliards. La balance des échanges est également déficitaire vis-à-vis du premier partenaire commercial, l’Espagne.
Certes, le voisin ibérique est aujourd’hui le plus gros débouché du textile-habillement du Royaume, loin devant la France et le Royaume-Uni. Cependant, le déficit commercial avec l’Espagne se creuse, atteignant 19,9 milliards en 2022.
Abashi Shamamba / Les Inspirations ÉCO