Maroc

Contrôles douaniers : les coulisses de la saisie record de devises en 2024

Face à la menace des flux financiers illicites, le Maroc intensifie sa riposte douanière avec une saisie record de 167,4 millions de dirhams aux frontières, marquant un tournant dans la sécurisation économique nationale. +24% de déclarations, +59% de saisies : les chiffres clés de l’Administration des douanes pour 2024 révèlent un contrôle renforcé des devises aux frontières. Décryptage.

En 2024, les douanes marocaines ont eu la main «très» lourde sur les valises suspectes. Le chapitre du rapport d’activité 2024 de l’Administration des douanes et impôts indirects (ADII) concernant la lutte contre le trafic de devises et le blanchiment d’argent offre un instantané quantitatif et stratégique révélateur. Loin d’être une simple compilation de chiffres, il dévoile une dynamique opérationnelle renforcée et des répercussions immédiates sur l’écosystème économique national.

Ces chiffres ne constituent pas qu’un palmarès répressif. Ils sont le thermomètre d’une stratégie intégrée de sécurisation financière : formation ciblée, renseignement partagé, technologie déployée. Cette intensification douanière aux frontières est un maillon essentiel dans la chaîne de protection de l’intégrité économique du Maroc face aux flux illicites. Pour les acteurs légitimes, le message est clair : la transparence et la déclaration scrupuleuse ne sont plus des options, mais les piliers d’un passage frontalier sécurisé dans ce nouveau contexte de vigilance renforcée.

Des chiffres très parlants
Le rapport met en lumière trois indicateurs clés affichant une progression notable en 2024. Le nombre de déclarations de devises effectuées par les voyageurs a augmenté de 24%, passant de 12.515 en 2023 à 15.572 en 2024. Une croissance quantitative qui s’accompagne d’une hausse parallèle de 25% du montant global déclaré, qui est passé de 2 à 2,5 milliards de dirhams (MMDH). Une double progression qui reflète à la fois un volume accru de transactions transfrontalières et, potentiellement, une meilleure sensibilisation des voyageurs ou un respect renforcé de l’obligation légale de déclaration au-delà des seuils établis. Ceci souligne l’ampleur des flux légaux désormais surveillés.

Toutefois, c’est dans le domaine des saisies que l’intensification des efforts se révèle particulièrement spectaculaire. Les montants saisis lors du contrôle des voyageurs ont bondi de 59%, s’élevant à 167,4 millions de dirhams (MDH) en 2024 contre 105 MDH en 2023.

Cette progression exponentielle, nettement supérieure à celle observée pour les déclarations, constitue l’indicateur le plus tangible et direct de l’efficacité renforcée des dispositifs de contrôle mis en œuvre par l’ADII.

Quels sont les leviers de cette efficacité ?
L’ADII attribue explicitement ces résultats positifs à la mise en place d’une stratégie multidimensionnelle intégrant plusieurs leviers d’action interdépendants. Le renforcement des capacités des brigades douanières constitue la base opérationnelle, impliquant vraisemblablement un accroissement des moyens humains, technologiques (tels que scanners, détecteurs de métaux/valeur, logiciels d’analyse) et logistiques déployés sur le terrain.

Par ailleurs, l’organisation de formations spécialisées représente un investissement crucial dans le capital humain, visant à perfectionner les compétences des agents dans des domaines critiques comme la détection des signaux d’alerte, le profilage des voyageurs à risque et les techniques d’enquête spécifiques au blanchiment et au trafic de devises.

L’amélioration de la coordination avec les autres services de sécurité, notamment mentionnés comme les «services de renseignement» – incluant probablement la police, la gendarmerie royale et les autorités financières (telles que l’Unité de Traitement du Renseignement Financier – UTRF) -, est fondamentale ; une synergie accrue qui permet un ciblage beaucoup plus précis et une réponse intégrée face aux menaces. La surveillance renforcée aux points de passage frontaliers découle directement de l’application concrète de ces moyens supplémentaires et des compétences acquises en formation.

Enfin, la mise en œuvre d’un meilleur ciblage des profils à risque est le résultat combiné des formations dispensées, du renseignement partagé entre services et de l’analyse approfondie des données historiques, optimisant ainsi les contrôles pour maximiser leur efficacité sans entraver indûment les flux légitimes.

Volonté politique et implications stratégiques
L’initiative renforcée de l’ADII en 2024 s’inscrit dans un cadre stratégique national plus vaste, révélant des orientations politiques et sécuritaires fondamentales. L’ampleur des moyens déployés et la progression spectaculaire des saisies (+59%) démontrent que la lutte contre le trafic de devises et le blanchiment constitue désormais une priorité de sécurité économique et nationale.

Ce qui confirme que ces flux illicites alimentent l’économie souterraine, compromettent la stabilité financière et qu’ils sont de nature à financer des activités criminelles menaçant la souveraineté du pays. Une intensification qui répond simultanément aux impératifs des instances internationales de lutte anti-blanchiment (notamment le GAFI), témoignant de la volonté du Royaume d’éviter tout classement parmi les juridictions non coopératives – un enjeu déterminant pour son intégration financière mondiale et sa notation en risque-pays.

Le contrôle accru des flux transfrontaliers affirme en outre la souveraineté financière du Maroc, préservant tant la stabilité du dirham que les équilibres économiques nationaux, les saisies record représentant des capitaux détournés des circuits légaux ou destinés à des opérations illicites.

Enfin, la modernisation méthodologique est manifeste. Le recours systématique à la formation spécialisée, la coordination inter-agences et le ciblage intelligence-based marquent une transition vers l’approche basée sur les risques (Risk-based approach), pivot des normes AML/CFT internationales, signalant une professionnalisation accrue de l’appareil sécuritaire marocain.

Vigilance et adaptation
En définitive, l’offensive douanière de 2024 génère des implications pour les divers maillons de l’écosystème économique. Pour les voyageurs (particuliers et professionnels), le bond des saisies (+59%) et des déclarations (+24%) matérialise un durcissement tangible des contrôles, imposant le strict respect de l’obligation légale de déclaration dès 100.000 DH sous peine de confiscations, amendes lourdes et poursuites pénales.

Le profilage renforcé des risques exige désormais une transparence absolue sur l’origine des fonds et leur destination, documentation probante à l’appui. Face à cela, les institutions financières (banques, bureaux de change…) gagneraient à anticiper un report partiel des flux illicites vers leurs canaux, la pression accrue sur le transport physique de devises pouvant déplacer les risques vers les virements ou produits structurés, nécessitant de ce fait un renforcement corrélatif des dispositifs de conformité AML/CFT (KYC approfondi, surveillance transactionnelle, reporting à l’UTRF).

L’efficacité du ciblage douanier valide parallèlement l’impératif pour ces acteurs d’optimiser leurs propres modèles RBA (Risk-based approach). Les opérateurs du commerce international et de la logistique bénéficient d’une sécurisation accrue des circuits légitimes contre les activités parasitaires, mais sont simultanément contraints à une rigueur documentaire renforcée pour les transactions transfrontalières, notamment sur les flux financiers associés.

Au plan macroéconomique, ces efforts concourent à la protection des réserves de change via la réduction des fuites illicites de devises. Elles érodent de surcroît l’économie souterraine en perturbant ses circuits financiers (souvent liés au narcotrafic ou à la contrebande), et améliorent significativement la perception du risque-pays, renforçant l’attractivité du Royaume auprès des investisseurs internationaux sensibles à la gouvernance financière.

Renforcement opérationnel, intelligence et coopération inter-agences

Le rapport 2024 de l’ADII dessine clairement une administration douanière marocaine en offensive sur le front de la lutte contre le trafic de devises et le blanchiment. La hausse spectaculaire des saisies (+59%) est le résultat direct d’une stratégie basée sur le renforcement opérationnel, l’intelligence et la coopération inter-agences. Cela révèle une priorité nationale affirmée de sécurisation des frontières financières et de conformité aux standards internationaux.

Les impacts pour les acteurs économiques vont du renforcement impératif de la compliance pour les voyageurs et institutions financières à la contribution plus large à la stabilité économique et à l’amélioration de l’image du Maroc en matière de lutte contre les flux financiers illicites.

Cette dynamique place la transparence et la déclaration comme des impératifs incontournables dans le paysage économique national actuel.

Bilal Cherraji / Les Inspirations ÉCO



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