Connectivité et grands événements au Maroc : comment éviter le syndrome de “l’éléphant blanc”

À l’approche des grands événements sportifs, le Maroc investit massivement dans la connectivité télécoms. Reste un impératif : éviter le syndrome de «l’éléphant blanc», en pensant ces infrastructures pour un usage durable au-delà des compétitions. L’enjeu est de transformer les projets en cours ou à venir en leviers de développement et non en vitrines temporaires.
Alors que le Maroc s’apprête à accueillir une série d’événements sportifs majeurs, à commencer par la Coupe d’Afrique des Nations 2025 et en ligne de mire la Coupe du Monde 2030, les investissements dans les infrastructures télécoms s’intensifient. Mais derrière l’ambition légitime d’offrir une connectivité de classe mondiale, tous les intervenants au débat alertent sur un risque bien connu des grands rendez-vous : celui du syndrome de «l’éléphant blanc»: des infrastructures impressionnantes, mais sous-utilisées ou inadaptées aux besoins réels après l’événement. Le Maroc n’y échappe pas.
Le Royaume multiplie les annonces sur le renforcement de la connectivité dans les villes hôtes. Fibre optique, 5G, data centers, renforcement des réseaux mobiles… Les opérateurs sont mobilisés. Mais pour Mohamed Bennis, directeur B2B chez Orange Maroc, cette dynamique doit s’inscrire dans une vision plus large.
«Ce qui compte, ce n’est pas seulement de déployer la fibre à l’occasion d’un événement, mais de penser à son utilité structurelle dans les années qui suivent. Sinon, on risque de se retrouver avec des infrastructures brillantes mais déconnectées des réalités locales», avertit-il.
La tentation du spectaculaire
De nombreux pays hôtes de compétitions internationales ont souffert de ce syndrome. Au Brésil, en Afrique du Sud ou en Grèce, certains équipements construits pour les Jeux Olympiques ou la Coupe du monde sont aujourd’hui à l’abandon. Le Maroc veut éviter cet écueil, mais la tentation du spectaculaire est forte.
Pour Mehdi Sekkouri Alaoui, président de la Fédération des professionnels du sport et directeur général de Stadia, «le risque est de penser les réseaux uniquement pour l’image internationale, et non pour les usages quotidiens. La connectivité ne doit pas être un décor temporaire, mais un levier de transformation durable, surtout dans les zones moins bien desservies»
Il rappelle que, depuis 2010, le pays a investi massivement dans la construction de stades modernes, tels que ceux de Marrakech, Tanger et Agadir, afin d’accueillir des compétitions internationales de haut niveau.
Cependant, pour qu’une telle infrastructure ne devienne pas un «éléphant blanc», l’un des défis majeurs reste l’optimisation de la connectivité pour faire vivre ces espaces au-delà des événements ponctuels et garantir une expérience optimale à même d’attirer spectateurs, organisateurs d’événements et entreprises partenaires. La question n’est donc pas tant ce qui sera construit, mais comment ces infrastructures serviront après.
Pour Sekkouri Alaoui, il est fondamental de prendre en compte les besoins des futurs utilisateurs dès la phase de conception des infrastructures. «Que ce soit un stade ou un théâtre, il est crucial d’associer dès le départ les organisateurs d’événements, qu’il s’agisse de festivals, de séminaires ou de concerts», affirme-t-il. Cela permettrait d’éviter les erreurs coûteuses d’aménagements non adaptés aux exigences spécifiques des différents types d’événements.
Une fenêtre unique
Et pour cause, la réussite d’un projet d’infrastructure sportive repose aussi sur sa flexibilité et sa capacité à se transformer en un espace polyvalent, capable d’accueillir des événements de taille variée tout au long de l’année. À cet égard, les stades doivent être pensés pour être vivants en dehors des journées de match.
«Les grands événements ne sont que les cerises sur le gâteau sur un grand stade aujourd’hui», affirme le patron de Stadia.
Il souligne l’importance de faire vivre ces infrastructures au quotidien, en les adaptant non seulement aux événements sportifs mais aussi à une variété d’activités extra-sportives, telles que des concerts, des séminaires, ou des événements d’entreprises comme les team buildings. Cette approche permet de maximiser l’utilisation des infrastructures et de générer des revenus tout en contribuant à l’essor des industries du sport et de l’événementiel au Maroc.
Taoufik Radi Benjelloun, fondateur et CEO de Play Management Group, met également en lumière cette évolution en notant que «les stades, qui étaient au départ uniquement des lieux pour des événements sportifs, accueillent désormais de plus en plus d’événements artistiques et culturels». Il évoque l’exemple du complexe Mohammed V à Casablanca, qui a récemment accueilli plusieurs concerts majeurs, un signe de l’ouverture croissante de ces stades à des activités autres que sportives.
Cette transformation des stades en lieux polyvalents répond à une demande croissante d’espaces adaptés à des événements de grande envergure. Les stades doivent ainsi évoluer pour être capables d’accueillir une diversité d’événements, tout en étant adaptés aux besoins spécifiques des organisateurs. Le train est en marche. «Nous assistons à une montée en compétence des organisateurs d’événements marocains, que ce soit sur le plan sportif, culturel ou artistique». Un prérequis important est d’ores et déjà rempli à ce qui s’annonce comme un changement radical de paradigmes.
Mehdi Sekkouri Alaoui
Président de la Fédération marocaine des professionnels du sport
«Les grands événements ne sont que les cerises sur le gâteau sur un grand stade aujourd’hui. Les stades ne doivent pas être uniquement des lieux pour des événements sporadiques, mais doivent être conçus pour vivre au quotidien avec des événements variés».
Taoufik Radi Benjelloun
Fondateur et CEO de Play Management Group
«Ce que l’on voit actuellement, c’est une montée en compétence des organisateurs d’événements marocains, que ce soit sur le plan artistique, culturel ou sportif. Les organisateurs au Maroc deviennent de plus en plus capables de gérer des événements de grande envergure, permettant ainsi une meilleure exploitation des infrastructures».
Mohamed Bennis
B2B Sales Director à Orange Maroc
«La connectivité est l’affaire de tous, que ce soit les antennes ou mettre de la fibre. Il y va de notre capacité, acteurs publics comme privés, d’être au rendez-vous. Sans accès au domaine public, il n’y a pas d’infrastructure».
Des technologies et de l’équité territoriale
Zaki Lahbabi, directeur général de TSM, agence spécialisée en marketing sportif, est catégorique. Au-delà de l’aspect technique, la connectivité soulève également des enjeux sociaux et économiques.
Pour lui, les événements sportifs peuvent servir de catalyseurs pour le développement local, en particulier dans des villes, villages et zones où l’infrastructure numérique est moins développée.
«La connectivité peut devenir un levier pour la transformation numérique de tout un territoire. En facilitant l’accès aux technologies dans ces lieux, on crée un environnement favorable à l’innovation et à l’adoption de nouvelles pratiques numériques».
Mais en dehors des grands centres urbains, le Maroc fait face à un défi majeur : la décentralisation des événements sportifs et la fourniture de connectivité dans les régions éloignées.
Zaki Lahbabi met en lumière un problème récurrent, celui de l’absence de couverture réseau dans nombre de régions, où l’accès à Internet reste limité.
«Quand vous avez des événements de portée internationale, comme le Marathon des Sables, il est parfois nécessaire de recourir à des systèmes non officiels pour assurer la couverture internet et la sécurité des coureurs», explique-t-il.
Ce manque de connectivité dans les zones rurales nuit non seulement à l’organisation d’événements, mais aussi à l’inclusion numérique, un aspect crucial pour un pays qui veut se positionner comme un leader du soft power sportif en Afrique.
Ilyas Bellarb / Les Inspirations ÉCO