Conjoncture : l’économie se relève malgré les turbulences
Fragilisée par les aléas climatiques, l’économie affiche des signes de reprise, mais la prudence reste de mise.
L’année 2024 s’achève sur une économie tiraillée entre performances sectorielles et fragilités structurelles. La croissance, estimée à 2,8%, marque un signe d’essoufflement après les 3,4% enregistrés une année auparavant. Si le secteur manufacturier et le tourisme ont pu tirer leur épingle du jeu, l’agriculture a subi le contrecoup d’une pluviométrie irrégulière.
L’année a débuté pourtant sous de bons auspices, avec un premier trimestre marqué par une reprise du tourisme, renforcée par des flux importants de visiteurs européens. Le dynamisme des industries automobile et aéronautique, porté par des exportations soutenues, a confirmé leur poids croissant dans l’économie. Mais dès le printemps, des signaux d’alerte sont apparus, avec notamment une hausse continue des coûts des intrants agricoles et une demande intérieure limitée par la stagnation des revenus.
Le ralentissement agricole, avec une contraction estimée à 4,6%, a conduit à une prévision de croissance globale de 2,8% pour 2024, contre 3,4% l’année précédente. L’essentiel de cette décélération est dû aux pertes dans le secteur agricole, gravement affecté par des conditions climatiques difficiles.
Toutefois, la croissance dans les secteurs manufacturier, extractif et des services offre une lueur d’espoir. En particulier, l’industrie manufacturière et le tourisme continuent de progresser, avec des prévisions de croissance de 3,9% pour 2024, tirées par une demande extérieure encore soutenue.
Marge de manœuvre limitée
Les débats budgétaires du milieu d’année ont remis au centre des préoccupations la question de l’endettement. Avec une dette publique dépassant les 70% du PIB, les marges de manœuvre restent restreintes, malgré une légère réduction du déficit budgétaire, à 4,3%. Le gouvernement a tenté de compenser ces contraintes par une augmentation des partenariats public-privé, notamment dans les infrastructures et l’énergie, mais les retombées économiques immédiates restent timides.
Sur le front social, le chômage, particulièrement chez les jeunes, s’est aggravé, se stabilisant autour de 21% selon le dernier recensement du Haut-commissariat au plan (HCP). Malgré des initiatives ciblées, comme le développement de zones industrielles et les programmes de formation professionnelle, les attentes demeurent élevées.
En ce sens, le gouverneur de Bank Al-Maghrib, Abdellatif Jouahri, a mis en avant l’importance des réformes structurelles nécessaires pour renforcer la flexibilité du marché du travail, notamment face à la question du chômage des jeunes.
Dans un contexte de chômage persistant et d’une population active qui a diminué de 0,7% l’an passé, l’institution monétaire appelle à un investissement massif dans le capital humain, en particulier les jeunes «ni-ni», non scolarisés et non employés. Le gouverneur a souligné que l’éducation et la formation, notamment dans les domaines technologiques et entrepreneuriaux, doivent être les piliers d’une réforme économique à long terme.
Cette situation trouve écho dans les recommandations de Bank Al-Maghrib pour un soutien accru aux petites et moyennes entreprises (TPME), qui, malgré une participation importante à l’emploi, continuent de souffrir d’un manque d’accès au financement. Les données récentes montrent que les crédits alloués aux TPME restent insuffisants, bien que représentant près de 43% de l’encours total des crédits. La Banque centrale insiste sur la nécessité d’orienter davantage les liquidités vers des projets créateurs d’emplois et de croissance durable.
L’énergie, secteur stratégique
L’énergie a été un des thèmes dominants de 2024. Si des avancées ont été réalisées dans les énergies renouvelables, notamment avec la mise en service de nouveaux parcs éoliens, la dépendance aux importations énergétiques pèse sur la balance commerciale. Les annonces de partenariats avec des institutions internationales pour développer l’hydrogène vert laissent entrevoir des opportunités, mais leur impact demeure prospectif.
À l’échelle internationale, le Maroc a maintenu sa position d’acteur régional, notamment grâce à la solidité de ses exportations vers l’Europe et à ses investissements en Afrique subsaharienne. Pourtant, cette ouverture économique reste vulnérable aux fluctuations des marchés mondiaux, en particulier dans un contexte d’instabilité des prix de l’énergie et des matières premières.
Dans le domaine monétaire, la politique de taux d’intérêt reste la clé dans la stratégie de maintien de la stabilité économique. Bank Al-Maghrib a choisi de le baisser de 25 points de base, à 2,5%, consciente de l’impact des tensions inflationnistes globales sur l’économie nationale. Le taux d’inflation, après avoir atteint 6,1% en 2023, devrait se stabiliser autour de 1,3% en 2024, grâce à la baisse des prix des denrées alimentaires et à une accalmie sur les marchés mondiaux.
Cette modération, bien que bienvenue, reste fragile, d’autant que l’inflation sous-jacente, excluant les produits volatils, se maintient à 2%, ce qui reflète une certaine stabilité mais aussi des risques persistants.
Sur le front des investissements, le Maroc table sur la Charte de l’investissement pour attirer davantage de capitaux privés, visant à réduire la dépendance de l’État dans la conduite des grands projets. L’objectif est de faire passer la part des investissements privés à deux tiers du total d’ici 2035. Cette réorientation stratégique devrait permettre de stimuler la compétitivité du pays et d’assurer une croissance économique plus inclusive, qui s’appuie sur le secteur privé pour soutenir les réformes nécessaires à la modernisation de l’économie.
Dans ce contexte, la Banque centrale met en garde contre les incertitudes extérieures qui pèsent sur l’économie nationale, en particulier les tensions géopolitiques persistantes, les conflits en Ukraine et au Moyen-Orient, et les répercussions qui en découlent sur les chaînes d’approvisionnement mondiales. Autant de facteurs susceptibles de perturber davantage les prix de l’énergie et des matières premières.
Bad bank
Si quelques secteurs industriels affichent une reprise timide, l’économie reste prise dans des déséquilibres structurels qui freinent son élan. Assurer une croissance durable exige des réformes aussi bien sur le marché du travail que dans la gouvernance des investissements, et ce, pour poser les bases d’un modèle économique résilient.
Parmi les avancées marquantes de l’année, la création d’un marché secondaire des créances en souffrance se distingue. Ce chantier, porté par Bank Al-Maghrib après trois années de préparation, se veut une réponse stratégique aux défis structurels du secteur bancaire.
Avec un encours de 94,8 milliards de dirhams à fin 2023, ces actifs compromis, qui représentent 8,7% des crédits bancaires, pèsent lourdement sur la rentabilité des établissements. L’ouverture de ce marché, si elle s’avère efficace, pourrait soulager les bilans bancaires, restaurer la confiance dans le crédit et redynamiser l’économie réelle. Si l’idée d’une «bad bank» reste en suspens, ce projet amorce d’ores et déjà une refonte des perspectives financières du pays.
Le Maroc pose les jalons d’une société cashless
Le Maroc amorce la modernisation de son cadre monétaire. Lors des deux derniers conseils de Bank Al-Maghrib, Abdellatif Jouahri a esquissé les contours d’une économie numérique en devenir.
Le dirham digital se profile comme un levier clé pour moderniser les échanges et atténuer l’impact de l’informel qui pèse près de 30% du PIB.
Toutefois, le wali de BAM prévient que ce projet ne pourra aboutir sans un renforcement de la bancarisation et une adoption accrue des outils numériques.
En parallèle, un cadre réglementaire pour les cryptomonnaies se prépare. La Banque centrale, en collaboration avec des partenaires internationaux, élabore une législation visant à garantir un usage sécurisé des actifs numériques.
Cette initiative ambitionne de concilier innovation et lutte contre des pratiques telles que le blanchiment d’argent et le financement illicite. Une double trajectoire à même de propulser le Royaume vers une ère monétaire dématérialisée.
Ayoub Ibnoulfassih / Les Inspirations ÉCO