Maroc

Compagnies low-cost : l’envers du billet à 169 dirhams

Ils promettent des vols à prix cassés, mais laissent au passager le soin de naviguer sur un parcours, parfois, semé d’embûches. Derrière la démocratisation apparente du transport aérien, le modèle low-cost s’est imposé comme une nouvelle norme, où la simplification des processus se fait, trop souvent, au détriment de l’expérience voyageur.

Une fois satisfait par son billet à prix cassé, le parcours voyageur ne fait que commencer. Ce qui, sur le papier – ou plutôt sur écran – ressemblait à une bonne affaire prend vite les allures d’un parcours semé d’embûches. Sous ses airs de modèle réputé pour sa performance, le low-cost repose sur un principe simple :
faire des économies à chaque étape, quitte à en faire supporter le coût réel au passager.

Celles et ceux qui empruntent souvent ces lignes le savent, le low cost ne se contente pas de rogner les marges, il taille aussi dans l’expérience. Et plus le prix baisse, plus le passager se voit imposer une série de renoncements qui, pris un à un, peuvent paraître insignifiants, mais qui, en s’additionnant, finissent par peser lourd.

À chaque étape du trajet, le voyageur ne bénéficie d’aucune assistance. Dès la réservation, le moindre clic est susceptible d’alourdir le panier d’achats. L’enregistrement, souvent présenté comme une formalité numérique, se transforme dans les faits en un guet-apens potentiel.

À la moindre erreur, l’addition s’allonge, sans recours possible. Même traitement de faveur à l’aéroport. Au départ de Casablanca, la carte d’embarquement imprimée est exigée, là où un simple QR code suffit dans la plupart des escales européennes. Le voyageur s’expose à une pénalité qui dépasse souvent la modique somme du billet. La tension monte d’un cran à l’étape de l’enregistrement.

La valise, scrutée à la loupe, doit s’insérer parfaitement dans un gabarit métallique. Un doigt de trop entraîne un passage direct à la caisse. «L’on se croirait dans une épreuve en permanence», résume en souriant une habituée des vols entre Casablanca et Madrid, rodée à l’exercice.

Rationalisation à l’extrême
Derrière l’argument de la simplification, c’est en réalité un transfert insidieux des responsabilités qui s’opère vers le passager qui est amené à gérer des tâches autrefois dévolues au personnel de la compagnie : suivi rigoureux des procédures d’enregistrement, gestion autonome des bagages, veiller au respect strict des procédures d’enregistrement en ligne. A lui donc d’imprimer sa carte, de mesurer son bagage, de connaître les règles spécifiques de chaque aéroport… Ce que le modèle prétend fluidifier ne fait en réalité que pousser la logique de l’efficience jusqu’à son point de rupture. Tout y est pensé pour minimiser les coûts, rationaliser l’espace et optimiser les flux. À mesure que les marges se resserrent, le contact s’efface, au profit de l’automatisme.

Dans le low-cost, l’acte de se déplacer se voit réduit à sa fonction utilitaire. Et, pourtant, cette austérité revendiquée séduit. Le modèle gagne des parts de marché pour s’étendre au-delà de son noyau initial. Longtemps cantonné aux vols domestiques, le low-cost s’impose désormais dans le ciel international. Les compagnies à bas coûts ne se limitent plus aux dessertes régionales. Elles étendent leur présence sur les liaisons transfrontalières, au point d’en redéfinir, en creux, les standards.

Selon une analyse de l’Official Aviation Guide, spécialiste des données du transport aérien, les transporteurs low-cost ne représentent que 15% des compagnies répertoriées, mais concentrent à eux seuls 33% de l’ensemble des sièges disponibles. Un écart qui illustre leur efficacité opérationnelle et leur capacité à maximiser l’usage de leurs flottes.

Cette expansion est particulièrement marquée en Europe, où leur part de marché a gagné huit points en cinq ans, passant de 35% en 2019 à 43 % en 2023. Des acteurs comme Ryanair, easyJet ou Wizz Air ont largement contribué à cette dynamique, en combinant tarifs compétitifs et ouverture de routes vers des destinations autrefois marginales. C’est notamment le cas du Maroc, dont le secteur touristique reste étroitement lié aux marchés émetteurs européens.

L’essor de liaisons à bas coût entre des villes secondaires d’Europe et des aéroports comme Marrakech, Fès, Oujda ou Essaouira permet d’élargir la base des visiteurs, au-delà des séjours orchestrés par les tour-opérateurs. En multipliant les points d’entrée, ces compagnies contribuent à intensifier le flux, au prix, parfois, d’un tourisme de masse assumé.

La règne du low-cost
Mais à mesure que les voyages se démocratisent, les compagnies à bas coûts imposent leur modèle, quitte à recourir à des stratégies commerciales, un brin offensives. Derrière l’essor du low cost, un nom domine le tarmac : Ryanair. Longtemps perçue comme une enseigne de seconde zone, la compagnie irlandaise règne désormais en maître sur le segment transport aérien de voyageurs.

Avec plus de 240 millions de passagers transportés en 2024, la firme fondée par Michael O’Leary vise les 400 millions d’ici à 2030. Au Maroc, son offensive ne passe pas inaperçue. Présente dans plus d’une dizaine d’aéroports, Ryanair capte une part croissante du trafic, notamment sur les liaisons avec la France, l’Espagne ou l’Italie.

Sur ces différentes destinations, les tarifs affichés défient toute concurrence. Un vol Casablanca–Paris à 29 euros, soit dix fois moins cher qu’un opérateur aérien de renommée. Comment alors Ryanair parvient-elle à rentabiliser ses vols ? La réponse se trouve dans les coûts cachés. Si le billet semble dérisoire, chaque entorse au règlement s’accompagne d’un surcoût immédiat. Il ne s’agit pas seulement d’oublier d’imprimer sa carte d’embarquement.

Chez Ryanair, le moindre écart est tarifé : bagage hors gabarit, enregistrement hors délai, second sac non autorisé, nom mal orthographié… Tout décalage par rapport au protocole déclenche une facturation automatique, sans appel. Une grille de pénalités que peu de passagers consultent, mais que beaucoup finissent par découvrir — à leurs frais — le jour du départ.

«Ils m’ont fait payer plus de 50 euros parce que j’avais oublié d’imprimer mon boarding pass», raconte un passager, encore agacé.

«En 2025, on imprime encore. C’est surréaliste». A ce propos, une fenêtre de 14 heures est ouverte pour effectuer l’enregistrement en ligne avant chaque départ. Chaque retard ou oubli se paie comptant. Les bagages font l’objet d’une attention tout aussi particulière. Le moindre centimètre de dépassement est facturé.

«Une hôtesse m’a demandé de mettre ma valise dans une boîte en métal. Elle dépassait d’un doigt. Je suis passé à la caisse», explique un jeune au départ d’un vol Marseille-Tanger.

Segmenter pour facturer
Ryanair n’est plus seule à mener la charge. Transavia, Volotea, Vueling, easyJet ou encore Jet4You ont emboîté le pas, chacune adaptant la mécanique à sa propre structure de coûts, mais toutes convergeant vers une même philosophie : segmenter pour facturer.

Le principe est simple , proposer un tarif d’appel minimal, puis monétiser chaque service annexe – bagage, siège, embarquement prioritaire, flexibilité du billet. Un modus operandi en vigueur sur l’axe Maroc–Europe, où la demande reste soutenue et relativement prévisible. À mesure que le tourisme et la diaspora s’organisent autour de calendriers fixes — vacances scolaires, fêtes religieuses, congés estivaux —, ces compagnies gagnent du terrain.

« Dès que je réserve, je commence déjà à calculer combien je vais devoir rajouter», confie un retraité basé à Montpellier. «Ce n’est jamais 29 euros. C’est 29 plus 20 pour la valise, plus 10 pour choisir un siège, plus 5 si tu veux embarquer tôt».

Face à cette montée en puissance, les aéroports locales tentent tant bien que mal de suivre. À Marrakech, Rabat, Tanger, les comptoirs des low-cost sont devenus des scènes familières  où voyageurs compressés font plusieurs queues, une première fois pour peser son bagage, puis une seconde pour le déposer.

«On n’est pas encore dans l’avion qu’on est déjà fatigué», soupire une jeune femme venue accompagner ses parents.

Abus social
Et ce n’est pas sans raison que ces compagnies exigent une présence de trois heures avant le départ. L’essentiel de ce temps est absorbé par l’attente devant les comptoirs d’enregistrement, où le traitement des bagages s’effectue à cadence réduite.

En effet, le low-cost repose sur des effectifs réduits, qui se veut, en fait, une composante structurelle du modèle. Cette logique d’économie appliquée aux passagers se prolonge jusqu’à s’appliquer aux conditions de travail du personnel navigants. Sous ses allures de modèle performant, le low cost aérien repose sur une mécanique sociale bien plus abrasive.

En tirant les prix vers le bas, il rogne aussi sur les droits, les protections et les marges de négociation des salariés. Le risque économique, en partie écarté côté client, est déplacé vers les personnels navigants, confrontés à des formes de management hyper-flexible où la précarité devient la norme.

La démocratisation du transport aérien a un prix

En abaissant les tarifs, le low cost a transformé notre rapport à la mobilité. Il a rendu accessibles des destinations qui relevaient autrefois de l’exception, permis à des millions de passagers de franchir des frontières, de rejoindre des proches. Cette ouverture a une portée démocratique indéniable. Mais elle a un coût.

Pour maintenir des prix plancher, les compagnies réduisent les moyens à chaque étape. Moins d’agents au sol, moins de présence humaine, plus de contraintes pour le passager. Le vol devient une opération à exécuter, plus qu’une expérience à vivre. Derrière la promesse de simplicité, les contraintes se sont déplacées.

Le billet se dématérialise, mais le passager s’alourdit de tâches et s’organise pour ne pas se tromper, faute de quoi il se voit contraint de passer à l’addition. C’est sans doute là que se loge, plus que dans le tarif, le vrai coût du low cost.

Ayoub Ibnoulfassih / Les Inspirations ÉCO



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