Maroc

Cobalt : l’intégration industrielle en ligne de mire

La montée en puissance de la demande en batteries a placé le cobalt au rang de minerai stratégique. S’il reste en retrait des grands producteurs, le Maroc ne se limite pas à l’extraction et cherche à remonter la chaîne de valeur. Un cadre de gouvernance stable et la singularité du gisement de Bou-Azzer plaident en faveur d’une intégration renforcée dans les chaînes mondiales.

Dans son œuvre engagée intitulée
«Le capitalisme expliqué à ma petite-fille», Jean Ziegler, ancien rapporteur spécial auprès de l’ONU, décrit à sa petite fille, Zohra, la sinistre réalité des conditions de travail des enfants, au sein des bastions miniers privés qui exploitent le coltan, dans l’est du Congo.

«L’accès à ce minerai est particulièrement difficile, les puits sont parfois si étroits que seuls peuvent y descendre des enfants au corps frêle. Les veines de coltan sont situées à 10 ou 20 mètres sous la terre. La roche est friable, les éboulements, nombreux. Les enfants sont alors enterrés vivants, étouffés dans les puits», rapporte-t-il.

Ziegler explique que l’accès aux gisements de coltan est tellement difficile que seuls des enfants peuvent s’y aventurer. Une réalité similaire est de mise dans les bassins miniers du cobalt notamment au Katanga, au sud-est de la RDC, d’où proviennent ce minerai indispensable, entre autres, à l’industrie des batteries et de la mobilité, et dont la production est fortement concentrée en République démocratique du Congo (RDC), qui assure 74% de la production mondiale en 2023 (soit près de 187.000 tonnes).

Confrontés à ces dérives, les sociétés d’exploration se montrent désormais plus vigilantes quant aux conditions d’extraction, sous la pression constante des ONG et des médias, qui dénoncent depuis des années les abus propres à l’exploitation minière artisanale.

Gisement de qualité
Mais là où la RDC peine encore à poser les jalons d’une exploitation responsable, le Maroc, qui n’a certes pas fait l’objet d’un examen aussi poussé par des organismes extérieurs, s’appuie néanmoins sur une gouvernance qui confère à son secteur minier un degré de légitimité plus élevé. Selon les estimations de l’U.S.

Geological Survey (USGS) en 2022, la production nationale de cobalt s’élevait à environ 2.500 tonnes, tandis que les réserves prouvées atteignaient 14.000 tonnes. Malgré ce niveau d’activité, le Maroc ne figure pas encore parmi les principaux producteurs recensés sur le marché mondial du cobalt.

Pourtant, contrairement à la plupart des gisements de cobalt — généralement extraits comme sous-produits du cuivre ou du nickel —, la mine de Bou-Azzer, située à 120 kilomètres au sud de la ville d’Ouarzazate, compte parmi les seules mines au monde où le cobalt est présent à l’état principal, sans être associé à d’autres métaux ou minerais. Une particularité documentée, retrouvée par ailleurs dans les publications géologiques datant de l’époque coloniale des années 1940-1950, qui décrivent Bou-Azzer comme un «gisement cobaltifère de premier ordre, indépendant des métaux associés».

Sécuriser l’amont
Le Maroc ne se limite pas à l’extraction et cherche à remonter la chaîne de valeur. D’après IndexBox, le spécialiste dans la collecte, d’analyse et prévision de données sectorielles, le Royaume s’impose en 2024 comme premier importateur de cobalt de la région MENA, avec 1.200 tonnes, soit 86% des volumes, pour une valeur estimée à 4,4 millions de dollars.

En dix ans, les volumes importés dépasse les 28%, signe d’une demande intérieure en expansion, voire d’une orientation centrée sur la sécurisation des approvisionnements. Chose que les volumes anémiques à l’export (201 kg en 2024) semblent confirmer.

Ce repositionnement prend une dimension concrète avec l’installation à Jorf Lasfar d’une première unité consacrée aux matériaux pour batteries lithium-ion. Ces batteries combinent, pour rappel, une anode en graphite et une cathode de métaux divers, où le cobalt joue un rôle décisif pour assurer la stabilité thermique et éviter, du coup, les emballements de chaleur prolongeant ainsi leur durée de vie.

Cette place se mesure aussi à l’échelle d’un marché mondial des batteries dont la croissance annuelle est estimée entre 12% et 16% sur la période 2024-2035, pour atteindre entre 450 et 680 milliards de dollars à l’horizon 2032-2035.

Certes, les batteries LFP (lithium-fer-phosphate) n’intègrent pas de cobalt, mais leur densité énergétique plus faible les cantonne surtout aux véhicules d’entrée de gamme et au stockage stationnaire. En parallèle, les investissements dans les infrastructures de recharge ont avoisiné, d’après l’IEA, 50 milliards de dollars en 2023, accélérant la diffusion des usages et, par ricochet, la demande en matériaux de cathode.

Dans ce paysage en pleine recomposition, la stratégie nationale gagne à maintenir une double posture. D’un côté, sécuriser l’amont par des importations afin d’alimenter les segments où le cobalt conserve un rôle structurant au sein des cathodes NMC. De l’autre, en développant, à Jorf Lasfar notamment, une base industrielle suffisamment agile pour accompagner les trajectoires technologiques à venir.

Le cobalt, maillon critique des batteries NMC

En 2020, les batteries, dites NMC (nickel-manganèse-cobalt), représentaient près de trois quarts du marché mondial. Mais l’évolution du marché tend à réduire la part de cobalt, remplacé progressivement par davantage de nickel. La génération la plus récente, NMC 811 (10% de cobalt), illustre cette évolution avec moins de cobalt et une capacité énergétique accrue.

Face à ces ajustements, d’autres technologies se développent, comme les batteries LFP (lithium-fer-phosphate), qui n’utilisent ni nickel ni cobalt. Malgré ces évolutions, le cobalt demeure un maillon essentiel de la chimie dominante des batteries, et sa demande reste intimement liée à l’essor du véhicule électrique.

C’est à ce tournant que se joue l’avenir du Maroc. Son gisement de Bou-Azzer, reconnu pour sa pureté, et les premières unités de transformation installées à Jorf Lasfar lui confèrent une position singulière dans un marché où la ressource conserve un caractère stratégique, même en proportion réduite.

Ayoub Ibnoulfassih / Les Inspirations ÉCO



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