Blockchain : la mutation en marche

Loin des effets de mode, la blockchain s’installe discrètement dans l’économie. Du secteur bancaire à la logistique, en passant par la protection sociale, les projets concrets se multiplient, portés par les sphères publique et privée.
Longtemps cantonnée aux cryptomonnaies, la blockchain s’impose désormais comme une infrastructure discrète mais déterminante dans plusieurs secteurs de l’économie. Selon une étude menée par le spécialiste de l’analyse des transactions en blockchain, Chainalysis, le Maroc se classe au 27e rang mondial en valeur reçue via les cryptomonnaies, avec des flux estimés à 12,7 milliards de dollars.
«Cette tendance illustre l’adhésion croissante d’une large partie de la population, notamment les jeunes familiarisés avec la technologie», observe Badr Bellaj, expert en blockchain.
Mais au-delà de l’essor des actifs numériques, c’est une mutation plus profonde qui s’opère. La blockchain dépasse le cadre spéculatif et trouve aujourd’hui des applications stratégiques, soutenues aussi bien par les institutions publiques que par les champions nationaux.
La finance, en premier de cordée
Cette montée en puissance ne se limite pas à quelques initiatives isolées. Entre 2018 et 2024, dix-huit projets ont vu le jour dans des domaines aussi variés que la finance, la logistique et l’e-gouvernance. La finance en concentre plus de la moitié, signe d’une appropriation croissante par les acteurs bancaires et monétaires. Le groupe OCP, géant mondial des phosphates, a quant à lui intégré la blockchain pour fluidifier ses opérations de «trade finance».
Dès 2021, en partenariat avec la Eastern and Southern african trade and Development bank (TDB) et la plateforme technologique dltledgers, la firme aurait sécurisé 400 millions de dollars de transactions, réduisant les délais de plusieurs semaines à moins de deux heures. Mais l’enjeu dépasse le simple gain de temps. Derrière cette mutation, OCP cherche avant tout à gagner en efficacité, notamment pour les expéditions d’engrais vers l’Éthiopie, désormais assorties de garanties financières renforcées.
Dans le secteur de la protection sociale, la Caisse marocaine des retraites (CMR) explore les potentialités de la blockchain comme rempart contre la fraude. Un projet pilote mené avec la Caisse nationale de sécurité sociale (CNSS) vise à détecter les inscriptions multiples et à renforcer l’intégrité des données.
En «tokenisant» les règles de gestion et en inscrivant chaque transaction dans un registre infalsifiable, la blockchain pourrait instaurer une nouvelle norme en matière de transparence et d’automatisation des contrôles.
Efficacité opérationnelle
L’intégration de cette technologie ne se limite pas à des applications ciblées. Bank Al-Maghrib, en première ligne sur ces évolutions, explore plusieurs cas d’usage concrets. Le projet Tafwid renforce la traçabilité des flux de liquidités entre les centres de tri, tandis que la plateforme Abir assure un dispositif de secours pour le système de règlement brut en temps réel, garantissant ainsi une meilleure résilience du réseau monétaire.
La Banque centrale pousse plus loin l’expérimentation en testant activement les monnaies numériques de banque centrale (CBDC), s’appuyant notamment sur les technologies Corda et Open CBDC. Loin de se limiter à une quête d’efficacité opérationnelle, ces initiatives amorcent une reconfiguration des circuits économiques et financiers. Derrière l’aspect technique, toute l’architecture de la confiance évolue.
La certification des échanges ne repose plus sur une autorité centrale mais sur l’immutabilité des registres distribués. Reste à voir si les acteurs sauront s’approprier cette logique où la transparence et la sécurité prennent le pas sur la centralisation. Derrière l’aspect technique, c’est toute l’architecture de la confiance qui évolue.
«La certification des échanges ne repose plus sur une autorité centrale mais sur la fiabilité des registres partagés», souligne un spécialiste de la blockchain. Toutefois, l’adoption de ce modèle dépendra de la capacité des acteurs à en exploiter pleinement le potentiel…
L’essor de l’asset tokenization
Derrière le terme asset tokenization se profile une rupture qui dépasse le simple cadre technologique. En convertissant des actifs physiques – immobilier, œuvres d’art, matières premières – en jetons numériques échangeables sur des plateformes décentralisées, cette approche bouleverse les modèles traditionnels de détention et d’investissement.
Fragmenter la propriété, ouvrir l’accès à une gamme plus large d’acteurs, fluidifier les transactions et contourner les intermédiaires historiques sont autant d’évolutions qui redessinent les contours du marché des capitaux.
Au Maroc, plusieurs initiatives émergent, notamment dans l’immobilier et les matières premières, posant les bases d’un écosystème financier plus agile et résilient.
Ayoub Ibnoulfassih / Les Inspirations ÉCO