Autisme : de l’urgence d’une véritable politique nationale

Vingt ans après l’«Année de l’autisme», un rapport de l’association Vaincre l’autisme Maroc dresse un «constat alarmant» de la situation dans le Royaume. Dénonçant une absence de politique publique structurée et une stagnation préjudiciable, l’ONG appelle urgemment à faire de l’autisme une véritable priorité nationale.
Vingt ans après que 2005 a été déclarée «Année de l’autisme» au Maroc, et seize ans après un premier état des lieux, l’association Vaincre l’autisme Maroc publie un rapport choc dressant un «constat alarmant» de la situation et lance un appel pressant pour que l’autisme devienne enfin une «priorité nationale».
Le rapport, qui pointe «l’autisme délaissé» dans son intitulé, dénonce une stagnation préoccupante et l’absence d’une politique publique structurée. Un état de fait qui laisse des dizaines de milliers d’enfants et leurs familles dans une détresse profonde. Le document, synthèse de plusieurs années d’observations, de témoignages et d’analyses, souligne le fossé béant entre les déclarations d’intention passées et la réalité vécue sur le terrain.
Malgré les recommandations émises dès 2009 et la mise en place éphémère d’un Comité national autisme, «peu de choses ont changé», déplorent les auteurs. Ce «silence institutionnel» et ce «manque de volonté politique manifeste» ont des conséquences dramatiques. Des milliers d’enfants grandissent sans diagnostic fiable, sans accès à des soins ou une scolarisation adaptée, exposés à la négligence, voire à la maltraitance.
Prise en charge défaillante
La situation des familles est décrite comme un «parcours du combattant douloureux et éprouvant». L’accès au diagnostic précoce, pourtant essentiel pour maximiser les chances de développement de l’enfant, reste un obstacle majeur. Manque d’information, errance entre spécialistes peu ou pas formés, coûts prohibitifs dans le secteur privé, délais d’attente interminables et concentration des ressources dans les grandes villes constituent «l’exception marocaine» en matière de diagnostic.
«Chaque mois, chaque année sans prise en charge est une perte irrécupérable», martèle le rapport, rappelant que l’inaction laisse des «cicatrices durables».
Sur le plan éducatif, «l’école inclusive», souvent brandie dans les discours officiels, demeure une «réalité lointaine». Le taux de scolarisation des enfants autistes est extrêmement faible, et les dispositifs d’accompagnement (comme les Auxiliaires de vie scolaire – AVS) sont quasi inexistants ou inefficaces, faute de formation et de moyens. Ces enfants, privés de leur droit fondamental à apprendre et s’épanouir, sont trop souvent exclus du système.
L’accès aux soins spécialisés (orthophonie, psychomotricité, thérapies comportementales type ABA) est tout aussi limité, souvent réservé aux familles les plus aisées. Le rapport dénonce le manque de transparence tarifaire et l’absence de prise en charge par les pouvoirs publics, creusant les inégalités. Dans ce vide, les associations tentent, tant bien que mal, de répondre à la détresse, souvent en substitution d’un État absent, mais sans reconnaissance ni moyens suffisants.
Le rapport lance également des alertes spécifiques. Il critique les «orientations automatisées et inadaptées» des enfants vers l’orthophonie ou la psychomotricité sans évaluation pluridisciplinaire approfondie, privant les enfants d’approches scientifiquement validées (ABA-VB, ESDM…).
Il s’inquiète de la mention du médicament Abilify (Aripiprazole) dans un référentiel officiel de 2021, alors que ce neuroleptique n’est pas autorisé pour l’autisme et a fait l’objet de mises en garde en France, demandant une enquête sur sa prescription au Maroc. Des préoccupations sont aussi soulevées concernant l’utilisation non prouvée de l’oxygénothérapie hyperbare (OHB) dans certains hôpitaux publics et la persistance de fausses informations liant l’exposition aux écrans à l’autisme.
Plaidoyer pour une stratégie nationale
Face à cet «autisme délaissé», le rapport formule les recommandations urgentes pour une stratégie nationale ambitieuse et transversale.
L’association préconise la création d’une gouvernance nationale forte (Comité national Autisme sous l’égide du chef du gouvernement), la mise en place d’un Centre de référence national et de centres régionaux, l’adoption d’un cadre législatif structurant garantissant les droits (diagnostic, prise en charge, scolarisation, emploi, soins), le développement de la recherche et de la collecte de données épidémiologiques (via une étude nationale et un observatoire), et la création d’un fonds dédié à l’autisme. La formation, la certification et l’accréditation des professionnels et des structures sont également jugées cruciales. «Il ne s’agit plus de sensibiliser. Il s’agit de changer. Il ne s’agit plus d’observer.
Il s’agit de s’engager. Il ne s’agit plus d’espérer. Il s’agit de faire», conclut l’association. Citant son président-fondateur, M’Hammed Sajidi, le rapport rappelle que «la plus grande violence commise à l’égard de l’enfant autiste, c’est de le laisser se détériorer sous le poids de l’autisme». L’appel est lancé, il est temps pour le Maroc d’être «digne de ses enfants autistes» et de faire de leur bien-être une véritable priorité nationale.
Mehdi idrissi / Les Inspirations ÉCO