Apprentissage de l’anglais : une quête loin d’être équitable

Un récent rapport du cabinet A&K Advisors dresse un état des lieux de l’apprentissage de la langue anglaise au Maroc. L’étude révèle de profondes inégalités sur plusieurs aspects , qu’il s’agisse de l’âge, du sexe, de la géographie, de l’emploi ou des types des écoles.
La langue anglaise est de plus en plus essentielle au Maroc, mais sa diffusion, loin d’être uniforme, crée une nouvelle dimension d’inégalité sociale et économique. C’est la principale conclusion d’un récent rapport du cabinet A&K Advisors, qui s’est appuyé sur le recensement 2024. Les auteurs dressent une cartographie de la maîtrise de l’anglais selon l’âge, le sexe, la géographie, l’emploi et les typologiques d’écoles au Maroc.
Intitulée «English in Morocco-Hidden Drivers of Linguistic Inequality», l’étude met en évidence des fractures dans la maîtrise de la langue de Shakespeare, notamment entre les zones urbaines et rurales, et entre l’enseignement public et privé.
Ainsi, les élèves des écoles privées tendent à avoir une meilleure maîtrise que leurs homologues du public. Les écoles privées, y compris les missions étrangères, introduisent souvent l’anglais dès le primaire ou le début du collège, y consacrent plus d’heures, et emploient des enseignants ayant une meilleure maîtrise.
Par contre, les écoles publiques n’introduisaient l’anglais qu’à partir du collège (vers 13-15 ans) et souvent avec des bases limitées. Il en résulte un écart de compétence en anglais sur le marché du travail, pour les profils issus de l’un ou l’autre système d’éducation.
Le rapport note aussi que la décision du Maroc de renforcer l’anglais visait justement à éliminer cet écart public/privé, mais des problèmes de qualité et de cohérence persistent dans le public. La conséquence visible est que les diplômés du privé sont plus à l’aise dans l’apprentissage et la pratique de l’anglais, tandis que les diplômés du public, même les meilleurs, peuvent avoir du mal à consolider leurs compétences dans cette langue.
Le lieu de résidence, un autre facteur décisif
L’une des questions soulevées par l’étude concerne l’accès très différencié à la maîtrise de l’anglais selon que l’on réside en milieu rural ou urbain vs rural. La balance penche davantage en faveur des jeunes urbains scolarisés dans le privé, au détriment des élèves des zones rurales et des écoles publiques. Ces derniers s’exposent aussi à l’exclusion des marchés du travail de demain.
Par conséquent, cette réalité risque de créer un nouveau système de classes linguistiques, amplifiant les inégalités géographiques et sociales existantes au Maroc et même au niveau régional. Ce «fossé urbain-rural» est alarmant selon le recensement de 2024, d’après l’étude, puisque plus du quart (25,2%) de la population alphabète en zone urbaine sait lire et écrire en anglais, contre seulement 9,6% en zone rurale.
Cet écart s’explique aussi par plusieurs facteurs cumulatifs, notamment la qualité et l’apprentissage de l’enseignement dans ce milieu avec de meilleures ressources disponibles contrairement en milieu rural.
L’environnement, également, appuie l’apprentissage de cette langue en milieu urbain avec la disponibilité d’Internet et les activités économiques. La fracture entre les milieux urbain et rural exacerbe aussi les inégalités (pauvreté, accès à l’éducation supérieure, emplois formels).
La maîtrise de l’anglais varie d’une région à l’autre
Outre l’avantage en faveur des jeunes urbains dans les écoles privées, qui ont une avance rapide contrairement aux élèves des écoles rurale, les femmes de moins de 25 ans surpassent les hommes en anglais. Par conséquent, parmi les personnes éduquées, les femmes semblent s’approprier l’anglais avec force alors que la «corrélation socio-économique» est également cruciale, étant donné que la maîtrise de l’anglais est beaucoup plus courante dans certains milieux professionnels et quasiment absente dans d’autres, risquant de renforcer les clivages économiques en fonction des classes sociales.
Le rapport a mis aussi en évidence que la maîtrise de l’anglais varie considérablement d’une région à l’autre, créant une véritable disparité en termes de compétence linguistique. En tête du classement se trouvent les régions les plus urbanisées et dynamiques économiquement : Casablanca-Settat (24,1%) et Rabat-Salé-Kénitra (23,9%). Ces hubs bénéficient de la concentration de grandes villes, d’universités, d’écoles privées où l’anglais est enseigné plus tôt et plus intensément, et de la présence d’entreprises multinationales.
Certaines régions suivent de près, comme le Souss-Massa (22,5%), probablement grâce au tourisme qui incite à l’apprentissage de l’anglais. Les régions du sud, comme Laâyoune-Sakia El Hamra et Guelmim-Oued Noun (environ 21%), affichent des taux relativement élevés. À l’extrémité inférieure, on trouve les régions plus rurales et économiquement moins développées.
Drâa-Tafilalet affiche le taux le plus bas (15,8%) avec un accès limité à l’éducation en langues étrangères en plus de la région de l’Oriental (17,3%). Le cas de Tanger-Tétouan-Al Hoceima (16,5%) est présenté comme nuancé. Malgré son statut de porte d’entrée vers l’Europe et le développement de secteurs comme le port Tanger-Med et l’industrie automobile, la moyenne régionale est tirée vers le bas par les zones rurales et surtout par une complexité linguistique historique où le français et l’espagnol ont longtemps dominé.
La ville de Tanger, elle-même, montre une maîtrise plus élevée (21%) que la moyenne régionale. Quant aux régions de Fès-Meknès (18,2%) et Marrakech-Safi (18,7%), elles se situent au milieu du classement. Malgré la présence de grandes villes avec universités et tourisme (Fès, Marrakech), ces régions incluent également de vastes zones rurales qui diluent la moyenne.
Yassine Saber / Les Inspirations ÉCO