Abandon scolaire : un défi territorial aux enjeux multiples
Malgré des avancées notables dans l’accès à l’éducation, l’abandon scolaire reste une problématique au Maroc, affectant des milliers d’enfants chaque année. Une récente étude d’Aomar Ibourk et Soukaina Raoui, publiée par le Policy Center for the New South, révèle l’impact des disparités territoriales et met en lumière des solutions novatrices pour remédier à ce phénomène qui coûte chaque année près de 9 MMDH au pays.
L’abandon scolaire demeure l’une des problématiques majeures du système éducatif, avec des répercussions économiques, sociales et intergénérationnelles. Malgré des progrès significatifs en matière de scolarisation, comme en témoigne un taux d’inscription au primaire dépassant 95% en 2024, de nombreux enfants continuent de quitter les bancs de l’école prématurément, privant ainsi le pays d’un potentiel de développement important.
Une étude récente menée par Aomar Ibourk et Soukaina Raoui, publiée dans le site du Policy center for the new south (PCNS), met en lumière les déterminants territoriaux de ce phénomène et offre des perspectives novatrices pour y remédier.
Un défi persistant malgré les progrès
En 2019-2020, plus de 304.545 élèves ont abandonné l’école publique, dont 78% dans les cycles primaire et secondaire collégial. Ces chiffres traduisent une réalité alarmante, malgré des efforts colossaux déployés pour améliorer l’accès à l’éducation, des disparités régionales et sociales continuent d’entraver la rétention scolaire.
Les régions de Marrakech-Safi et Béni Mellal-Khénifra concentrent les taux d’abandon les plus élevés, avec des taux atteignant 25% dans certaines provinces rurales, comme Azilal ou Youssoufia.
Ce phénomène n’est pas sans coût pour le pays. L’abandon scolaire représente une perte estimée à 9 milliards de dirhams par an, soit près de 10% du budget national de l’éducation. Plus qu’un enjeu éducatif, il s’agit d’un défi structurel qui reflète des inégalités profondes entre régions.
Les facteurs territoriaux
L’étude d’Ibourk et Raoui repose sur une analyse spatiale approfondie, mobilisant 100 variables réparties en dix composantes territoriales. Ces dimensions vont des conditions de vie aux structures familiales, en passant par l’environnement éducatif et les spécificités linguistiques. Les résultats de l’étude montrent que l’abandon scolaire est un phénomène multifactoriel, où les facteurs territoriaux jouent un rôle prépondérant.
En effet, les provinces les plus touchées, souvent rurales, souffrent de niveaux élevés de pauvreté multidimensionnelle. Une corrélation significative a été observée entre la pauvreté et les taux d’abandon scolaire (+0,48% dans les modèles spatiaux). L’accès limité à des services essentiels, tels que l’eau potable (-0,06%) ou Internet (-0,21%), aggrave la situation.
Par ailleurs, il est à noter que les ménages polygames et de grande taille sont particulièrement exposés, en raison des pressions financières qui en découlent. Dans ces foyers, les enfants sont souvent contraints de quitter l’école pour soutenir leur famille, un facteur exacerbé par le manque d’opportunités économiques.
En outre, les infrastructures scolaires, notamment dans les zones rurales, sont insuffisantes. La distance aux routes pavées et aux établissements scolaires reste un obstacle majeur (+0,57% pour chaque augmentation significative de la distance). Les écoles satellites, bien que prometteuses, peinent à retenir les élèves, surtout les filles.
Dans les régions où les langues locales prédominent, la maîtrise insuffisante du français ou de l’anglais constitue une barrière supplémentaire. L’étude relève que les zones où les populations parlent couramment ces langues présentent des taux d’abandon inférieurs (-0,33% pour les locuteurs arabophones et francophones).
Recommandations
Pour faire face à l’ampleur du défi de l’abandon scolaire, l’étude propose une série de recommandations concrètes et intégrées. Elle souligne la nécessité de cibler les zones les plus vulnérables à travers des politiques adaptées, incluant une discrimination positive en faveur des régions rurales, avec la construction d’écoles de proximité et des programmes spécifiques pour les filles.
Le renforcement des programmes sociaux, tels que Tayssir et «Un million de cartables», est également recommandé, en élargissant leur couverture géographique et en adoptant des approches territorialisées.
Par ailleurs, l’investissement dans les infrastructures, notamment pour réduire les distances aux établissements scolaires et améliorer l’accès à des services de base comme l’Internet et l’eau potable, est jugé prioritaire.
L’étude insiste également sur le rôle primordial de l’éducation préscolaire, appelant à des investissements dans ce secteur pour établir des bases solides dès le plus jeune âge. Enfin, la création d’emplois qualifiés dans les zones rurales est préconisée afin de réduire la pression économique sur les familles et limiter les abandons liés à des besoins de subsistance.
Une analyse spatiale innovante
L’utilisation d’approches spatiales par les auteurs a permis de révéler des schémas de dépendance géographique. Les provinces voisines partagent souvent des taux similaires d’abandon scolaire, ce qui reflète une contagion des inégalités. Par exemple, les provinces de Marrakech-Safi (Chichaoua, Rhamna) et celles de Taza-Taounate-Al Hoceima forment des clusters à haut risque, où les taux d’abandon scolaire sont particulièrement élevés.
Sanae Raqui / Les Inspirations ÉCO