Protection sociale : la réforme suscite un brin de scepticisme
Le projet de loi-cadre sur la protection sociale qui devait passer, hier, comme une lettre à la poste, au sein de la commission des finances, a suscité quelques critiques de la part des parlementaires, surtout ceux relevant des syndicats. Cette ambitieuse réforme reste en effet tributaire de plusieurs préalables non encore entamés, à commencer par la mise à niveau du système de santé.
La vive polémique sur les lois électorales au sein de la Chambre basse a éclipsé le débat sur la loi-cadre sur la protection sociale qui devrait franchir, cette semaine, le cap de la Chambre des conseillers. Même s’il s’agit d’une réforme ambitieuse saluée par l’ensemble des composantes parlementaires, il n’en demeure pas moins que certains conseillers restent sceptiques quant à sa mise en œuvre conformément au calendrier fixé. C’est le cas du coordinateur du groupement de la Confédération démocratique du travail, Mbarek Sadi, qui aurait souhaité le lancement d’un débat public autour du texte avant son transfert au parlement. Un débat qui aurait pu être fructueux et enrichir le projet de loi-cadre dans le cadre du dialogue social avec les partenaires sociaux et économiques, selon les parlementaires relevant des syndicats. Précisons à ce titre que le ministre de l’Economie, des finances et de la réforme de l’administration, Mohamed Benchaâboun, n’a tenu aucune réunion avec les centrales syndicales sur ce dossier.
Pourtant, le souverain avait appelé l’Exécutif, dans le discours du Trône, à «parachever l’élaboration d’une vision pragmatique globale» en matière de généralisation de la couverture médicale, «en concertation avec les partenaires sociaux». Résultat : les partenaires sociaux émettent des doutes quant à la faisabilité de ce projet d’envergure. Mbarek Sadi estime que «théoriquement, on ne peut qu’être fier du projet de loi, mais encore faut-il prendre en considération plusieurs paramètres sans lesquels la réforme demeurera un vœu pieux». En tête des défis, figure la refonte du système de santé qui est miné par plusieurs dysfonctionnements et qui ne pourrait pas, sans une profonde réforme, répondre aux nouvelles exigences en matière de généralisation de la protection sociale. Il faut dire que même le gouvernement a reconnu, à plusieurs reprises, la nécessité de s’attaquer à ce volet pour améliorer les services de santé et garantir l’équité en matière d’accès aux soins. La mise à niveau des structures hospitalières et l’organisation de la filière de soins sont parmi les préalables devant être entamés pour mener à bien le chantier de la généralisation de la protection sociale, d’après l’Exécutif. Sur le terrain, rien n’est encore fait pour accompagner le chantier de la protection sociale. Le projet de réforme du ministre de la Santé, Khalid Ait Taleb, reste toujours au stade de la vision alors que le compte à rebours est enclenché pour la mise en œuvre de la généralisation de la protection sociale.
Une pluie de défis
Le développement du secteur de la santé reste tributaire de plusieurs réformes dont l’adoption d’un statut spécial de la fonction publique sanitaire et la régionalisation de la gestion. Le partenariat public-privé est l’une des solutions phares pour s’attaquer à la problématique des ressources humaines à condition que le secteur soit doté des moyens financiers nécessaires. Des pistes qui sont à même de limiter les dysfonctionnements dont souffre le secteur et d’alléger la pression tant sur les professionnels que les citoyens.
Or, en est encore loin. A cet égard, Mbarek Sadi met en garde contre la reproduction de l’expérience du Ramed et craint que le citoyen ne soit contraint de se rabattre sur le secteur privé qui exige des tarifs supérieurs aux tarifs nationaux de référence. «Ce qui risque de vider la réforme de sa substance et d’approfondir les problèmes», signale-t-il. Par ailleurs, l’activation de la loi-cadre passe par l’amendement de plusieurs textes qui seront bientôt transférés au parlement. On peut citer, entre autres, la réforme de l’Indemnité pour perte d’emploi (IPE). Là encore, certaines voix estiment qu’il faut, cette fois-ci, mettre en place des mesures souples prenant en considération les contraintes du marché de l’emploi. La réforme de la protection sociale entend mettre en place l’IPE au profit des Marocains ayant un emploi régulier, sauf que cette condition est jugée draconienne à l’instar des autres règles qui limitent le nombre des bénéficiaires. L’enjeu est de ne laisser personne pour compte et de pouvoir mobiliser le financement nécessaire pour cette réforme qui nécessitera 51 MMDH dont 23 MMDH basés sur la solidarité : la généralisation de l’assurance maladie obligatoire de base (14 MMDH), les allocations familiales (20 MMDH), l’élargissement de la base des adhérents au régime de retraite (16 MMDH) et l’accès à l’indemnité de perte d’emploi (1 MMDH).
Couverture médicale: le défi des ressources humaines
Il parait clairement que le premier défi à relever en matière de généralisation de la couverture médicale est relatif aux ressources humaines. Le déficit s’élève à plus de 97.000 professionnels de la santé. Le manque est criant aussi bien en médecins qu’en infirmiers. Le Maroc ne dispose que de 1,65 personnel médical pour 1.000 habitants, alors que le taux minimal exigé par les standards internationaux est de 4,45. Le déficit en médecins dépasse 32.000 dont 12.000 dans le secteur public. Celui en infirmiers et techniciens de la santé est de plus de 64.000, dont plus de 50.000 dans le secteur public. Aucun miracle ne pourrait résoudre, du jour au lendemain, cette problématique structurelle qui est due à plusieurs causes, dont le verrouillage de la formation pendant des années ainsi que le manque d’attractivité du secteur de la santé publique.
Jihane Gattioui / Les Inspirations Éco