Climat : les procédures judiciaires se multiplient contre les entreprises
Depuis l’accord de Paris de 2015, environ 230 actions en justice ont été intentées contre des entreprises ou des organisations professionnelles, et plus des deux tiers d’entre elles ont été lancées depuis 2020, selon des experts du Grantham Research Institute de la London School of Economics.
La pression judiciaire s’intensifie sur les entreprises pour qu’elles alignent leurs activités avec la lutte contre le changement climatique, grâce à une multiplication récente des procédures dans le monde, selon l’étude britannique de référence, publiée jeudi.
Depuis l’accord de Paris de 2015, environ 230 actions en justice ont été intentées contre des entreprises ou des organisations professionnelles, et plus des deux tiers d’entre elles ont été lancées depuis 2020, selon des experts du Grantham Research Institute de la London School of Economics.
«Les procédures à l’encontre des entreprises se sont traditionnellement concentrées sur le secteur des énergies fossiles, mais elles en visent désormais d’autres, notamment les compagnies aériennes, l’industrie agroalimentaire et des boissons, le commerce électronique et les services financiers», notent les experts.
Le cas du géant pétrolier Shell, qui a fait appel de sa condamnation en 2021 aux Pays-Bas à réhausser ses objectifs de décarbonation, est devenu emblématique. Les accusations de communication mensongère sur des ambitions climatiques sont le premier motif qui conduit les entreprises devant les tribunaux. En 2023, au Royaume-Uni, des magistrats ont jugé trompeuses des publicités des compagnies aériennes Air France, Lufthansa et Etihad, quelques mois après une décision similaire à Vienne contre Austrian Airlines.
Certaines se voient aussi poursuivre au nom du principe «pollueur-payeur» ou pour «fermer le robinet» des énergies fossiles, en s’opposant à des projets d’extraction ou à leurs financements. Ces 230 recours judiciaires contre des entreprises représentent encore moins de 10% des 2.666 procédures climatiques dans le monde, dont l’écrasante majorité visent des autorités publiques, selon la base de donnée de référence du Sabin Center for Climate Change Law de l’université de Columbia. Mais une nette tendance se dessine, puisque 25% des nouveaux recours lancées en 2023 visaient des acteurs économiques, souligne le rapport. Historiquement, la grande majorité des affaires judiciaires climatiques ont été menées aux Etats-Unis, mais elles s’étendent peu à peu: un premier cas a été recensé en 2023 au Portugal — où l’Etat est accusé de violation des droits humains par défaillance de sa politique climatique — et un autre au Panama, tandis que les pays du Sud représentent désormais 8% des affaires recensées, principalement au Brésil.
«2023 a été une année importante pour les contentieux internationaux liés au changement climatique», estiment les experts, avec de nouvelles affaires déposées devant la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH), la Cour internationale de justice ou la Cour interaméricaine des droits de l’Homme.
Cette dernière, saisie par le Chili et la Colombie, doit donner d’ici fin 2024 une «opinion consultative» pour «éclaircir l’ampleur des obligations» de chaque pays «pour répondre à l’urgence climatique dans le cadre du droit international». En avril, la CEDH a aussi condamné pour la première fois un Etat, la Suisse, pour inaction climatique, que dénonçait une association de femmes âgées.
«Seulement 5% des affaires relatives au climat sont portées devant des tribunaux internationaux, mais nombre d’entre elles sont susceptibles d’influencer les procédures nationales», note le rapport, qui cite en exemple une décision britannique du 20 juin, quand la Cour suprême du Royaume-Uni a cassé la délibération d’une commune favorable à un nouveau puits pétrolier près de Londres.
Pour l’avenir, les auteurs du rapport voient se dessiner de nouvelles tendances: les affaires «post-catastrophes», «comme en témoigne un dossier à Porto Rico qui remet en cause la reconstruction» du réseau électrique alimenté par des énergies fossiles au lieu de renouvelables, le concept d’écocide «qui gagne du terrain», et la convergence des considérations climatiques et environnementales, par exemple dans la lutte contre la pollution plastique.
Sami Nemli Avec Agence / Les Inspirations ÉCO