Prix à la pompe : le consommateur tenu à l’écart dans le jeu de marges entre distributeurs

Malgré la détente enregistrée courant 2024 sur les marchés internationaux, les prix à la pompe ont peu fléchi. Ce qui, à première vue, semblait de nature à soulager les budgets des ménages a finalement laissé place à une course aux marges du côté des distributeurs.
Sur le papier, l’année 2024 aurait dû offrir une bouffée d’air frais aux consommateurs, longtemps exposés à la volatilité des prix du carburant. Devant l’incertitude géopolitique mondiale, les cours du baril de Brent – benchmark le plus pertinent pour le Maroc a oscillé sur la même période autour de la barre des 80 dollars.
Cette dépréciation pour le moins significative par rapport aux pics de 140 dollars observés en 2022, s’est répercutée, comme l’a mentionné le Conseil de la concurrence dans son dernier rapport, par une baisse moyenne de 12% pour le gasoil importé (à 6,67 dirhams le litre) et de 10% pour l’essence (à 6,5 dirhams) par rapport à une année auparavant. Sauf que, ce qui paraissait, à première vue, de nature à soulager les budgets des ménages, s’est vite heurté à la réalité. Malgré la détente confirmée sur les marchés internationaux, les prix à la pompe n’ont que très peu fléchi.
Pourtant, dans les faits, les importations ont progressé de 11,6% en volume, passant de 5,8 à 6,5 millions de tonnes entre 2023 et 2024, un niveau historiquement élevé, dû au maintien de la demande et à une absence de production locale depuis la fermeture de la Samir en 2015. En parallèle, la valeur de ces importations a reculé de 1,8%, traduisant la détente confirmée sur les marchés mondiaux.
D’après le dernier rapport du conseil, les produits pétroliers (essentiellement gasoil et essence) ont été acquis à des prix nettement inférieurs à ceux de l’année précédente, sans que cela ne se traduise pleinement dans les prix finaux. Les prix de cession hors taxes appliqués aux stations-service partenaires se sont maintenus à des niveaux élevés, autour de 10 dirhams le litre pour le gasoil et de près de 11,7 dirhams pour l’essence.
Le conseil souligne que «les marges commerciales brutes sur l’essence dépassent en moyenne celles observées sur le gasoil de 72 centimes».
Ce différentiel s’est accentué au premier trimestre 2025, période durant laquelle les cotations internationales de l’essence ont baissé de 33 centimes, alors que les prix de cession n’ont reculé que de 13 centimes. Pour le gasoil, les opérateurs ont même dû composer avec une hausse de leurs coûts d’achat, tout en abaissant leur prix de revente, ce qui a mécaniquement réduit leur marge.
Pressions concurrentielles
L’année écoulée aura marqué, pour le segment de la distribution des carburants, une période de recomposition des parts de marché, engendrée par l’entrée en lice de BGN Energy Maroc ou BB Energy Morocco. Si le nombre d’opérateurs autorisés à importer les carburants demeure stable à 31 sociétés, la part de marché cumulée des majors du secteur accuse un recul significatif, passant de 89% en 2023 à 84% en 2024. Il faut dire qu’au delà de l’impact sur la répartition des parts de marché, la présence des deux nouveaux entrants reste marginale à ce stade, notamment sur le segment du stockage.
Dans un tel environnement, les ventes réalisées par les neuf sociétés majeures progressent, certes modestement, en volume (+3%, pour atteindre 7,3 milliards de litres), mais leur chiffre d’affaires, lui, accuse une baisse sensible de 3%, se fixant à 77,3 milliards de dirhams (MMDH). Une divergence significative qui souligne toute la difficulté des opérateurs à préserver leur rentabilité dans un marché devenu plus concurrentiel.
L’hégémonie traditionnelle est également mise à rude épreuve sur le terrain. Si le réseau national de stations-service poursuit sa croissance régulière, (avec l’ouverture de 184 nouvelles stations en un an), la répartition entre grands distributeurs et opérateurs secondaires évolue nettement en faveur de ces derniers, qui voient leur part de marché passer de 25,9% à 28,3%.
Changement de posture
S’agissant des résultats financiers, après une année 2023 fortement affectée par les sanctions du Conseil de la concurrence, les sociétés concernées affichent un résultat net cumulé de 2,3 MMDH en 2024, soit un taux de marge nette de 2,9%. Le rapport note que «cette amélioration intervient après une période exceptionnelle en 2022-2023, caractérisée par une dégradation des performances financières de presque toutes les sociétés concernées».
La marge nette moyenne sur l’ensemble des ventes atteint 43 centimes par litre pour le gasoil et 61 centimes pour l’essence. Ces niveaux demeurent inférieurs à ceux observés entre 2018 et 2021, mais supérieurs à la moyenne des trois dernières années. Ce redressement s’observe également à travers d’autres indicateurs clés, notamment le retour sur capitaux propres qui s’élève à 29% en 2024, contre 7% un an plus tôt.
Le retour sur capital investi passe de 21% à 30%. Ces niveaux marquent un rattrapage par rapport à la moyenne observée sur la période 2018-2021, sans pour autant effacer les effets du repli enregistré entre 2022 et 2023. La politique de distribution des dividendes reflète également ce changement de posture. Le taux de distribution tombe à 41% en 2024, contre une moyenne de 99% sur la période 2022-2024.
Cette inflexion s’explique principalement par le choix de certains opérateurs de ne pas redistribuer leurs résultats, préférant conserver leurs marges pour renforcer leurs fonds propres ou couvrir d’éventuelles fluctuations de marché. L’analyse des marges commerciales brutes au titre du premier trimestre 2025 permet d’apprécier ces écarts.
En moyenne, les opérateurs concernés dégagent une marge brute de 1,24 dirham par litre de gasoil vendu, et de 1,95 dirham pour l’essence. Ces niveaux traduisent une stabilité relative par rapport à l’année précédente, bien que la seconde moitié du trimestre ait été marquée par une érosion de ces marges, en particulier sur le gasoil.
Il faut dire que les chiffres consolidés montrent une évolution lente du marché avec une montée progressive de la concurrence et une recomposition partielle de l’offre. Le réseau des stations-service continue de s’étendre, tiré aussi bien par les opérateurs historiques que par de nouveaux entrants. À fin mars 2025, le Royaume compte 3.573 stations, dont 72% demeurent l’apanage de neuf sociétés.
La TVA impactée par la détente des cours mondiaux
Sur le plan fiscal, le premier trimestre affiche une augmentation sensible des recettes liées aux importations de carburant, avec un total de 6,86 milliards de dirhams (MMDH) collectés via la Taxe intérieure de consommation (TIC) et la TVA.
Cette progression de 6,4% par rapport à 2024 est principalement due à l’augmentation des volumes importés (+10%), atteignant environ 1,62 million de tonnes. Cependant, tandis que les recettes de la TIC augmentent significativement pour atteindre 5,13 MMDH (+10,3%), celles provenant de la TVA à l’importation baissent de 4% à 1,73 milliard, note dans sa dernière livraison le Conseil de la concurrence.
Cette baisse de la TVA est essentiellement liée à la diminution du coût global des importations due à la chute des cours mondiaux. Un facteur qui est de nature à réduire mécaniquement l’assiette fiscale, en dépit de l’appréciation des volumes.
Ayoub Ibnoulfassih / Les Inspirations ÉCO