Kamal Hachkar : “Je suis un militant de la fraternité et de la coexistence entre les peuples”
Kamal Hachkar
Réalisateur
Vous fantasmez sur les vacances d’été, vous rêvez de silence ? Et pourtant, vous retournez vingt fois par jour à la source du brouhaha quotidien. En un clic, vous reprenez un shoot d’agitation, infos, réseaux sociaux à profusion… Vous prenez des nouvelles de la terre entière. Face à l’incertitude, à la crainte, à la méfiance, au repli, à l’actualité éprouvante, à la guerre et à son feuilleton quotidien, aujourd’hui plus que jamais, nous avons besoin d’apaisement, de paix mais aussi de fraternité entre les peuples. Après “Tinghir Jérusalem” mais aussi “Dans tes yeux, je vois mon pays“, Kamal Hachkar, réalisateur, fervent militant «de la fraternité et de la coexistence entre les peuples», nous parle de son nouveau projet. Sans leçon de morale, ni posture idéologique, ce réalisateur, mi-historien mi-documentaliste, nous permet d’entrevoir, derrière le mot «identité», le monde différemment .
Passionné d’histoire , souvent critiqué pour vos prises de positions et vos combats, comment vous décririez-vous ? Est-ce que vous ne seriez pas un visionnaire ?
Certes, j’ai souvent été critiqué par une frange réactionnaire idéologiste comme les islamistes ou les panarabistes, par rapport à mes films, mais j’ai eu aussi énormément de soutien de la part de personnes de tous horizons, à la fois sur mon travail, qui est devenu un objet d’étude dans de prestigieuses universités du monde, comme Colombia, Princeton , la Sorbonne ou encore au Maroc où des étudiants travaillent sur mes films comme objet de recherche.
Ce n’est pas à moi de dire si je suis “visionnaire”, mon film “ Tinghir Jérusalem” est sorti en 2012. Il s’agit d’un film que j’ai fait avec mes tripes et j’avais envie de rendre hommage à cette pluralité marocaine, donc je ne sais pas si je suis visionnaire ou pas mais j’avais envie de raconter une histoire et de la partager avec un maximum de monde. Ce qui est beau, aujourd’hui, c’est que ce film continue de recevoir des prix, il continue de plaire, d’émerveiller et d’interpeller les gens.
Je pense que c’est le rôle d’un artiste de susciter les questions sur qui nous sommes ? Sur qui nous aimerions être ? Pour les générations futures, c’est fondamental, surtout dans le contexte politique actuel.
Vous travaillez actuellement sur un nouveau projet. Pouvez-vous nous en dire plus ? Est ce qu’il s’agira de la même thématique ?
Je travaille sur un projet de film qui est encore au stade d’écriture et de recherche de financement. Il parlera de musique et plus précisément de “Cabaret Chikhate”, ce groupe incroyable qui reprend tout un répertoire populaire marocain et qui le revisite à sa manière, en remettant au goût du jour le patrimoine des Chikhates, longtemps marginalisées. Je suis très heureux de les avoir filmées à Marrakech et je vais aller également à New York pour les filmer de nouveau.
Vous avez reçu de nombreux prix, mais quel projet vous tient le plus à cœur ? Lequel vous rend le plus fier ?
Tous mes films m’ont rendu fier. “Tinghir Jérusalem” a été mon premier film, et il y a eu immédiatement une vraie alchimie avec une audience, un public mondial et, pour le petit enfant d’immigrés que je suis, c’est une immense fierté. Mais, tous mes films, je les fais avec mes tripes, et tous mes projets sont des prolongements de mes questionnements personnels, métaphysiques, philosophiques… Chacun de mes projets m’intéresse profondément, et j’ai besoin d’être en adéquation avec les sujets que je traite.
À travers vos films, vous faites toujours un travail de documentaliste et d’historien? Est-ce qu’on peut dire, qu’en cela, vous n’avez jamais vraiment quitté votre première fonction qui est celle de professeur d’histoire ?
Il est vrai que j’ai été professeur d’histoire pendant 13 ans en France à la Sorbonne et cette formation d’historien a été fondamentale dans ce que je fais aujourd’hui. C’est, en effet, une matière a la croisée de l’anthropologie, de la musicologie, de l’ethnologie, de la sociologie…Cela ma donné une culture générale assez importante et m’aide énormément dans les films que je produis.
Lesquels ne sont pas des films d’histoire, mais des films autour de la mémoire, à travers la musique, la poésie, les chants… Évidemment, mon amour pour l’histoire est lié à mon parcours, celui d’un enfant né à Tinghir dans une maison en terre qui a quitté le Maroc à l’âge de six mois pour aller en France.
Je penses que j’ai toujours voulu inscrire ma petite histoire personnelle d’enfant de l’Atlas et fier de l’être dans la grande histoire. Et je pense que le cinéma c’est ça, réussir à concilier le singulier avec l’universel. On peut raconter des histoires très singulières mais le principal, c’est qu’à un moment, ces histoires doivent toucher un maximum de monde à travers des thématiques universelles.
Dans vos films, il est avant tout question d’identité, pensez-vous que l’homme est en perpétuelle quête de cette identité ?
Je crois profondément aux identités multiples. Une identité n’est jamais fixe, elle est toujours en construction avec l’autre, parfois contre l’autre, et c’est quelque chose qui est tout le temps en mutation. J’essaie de concilier ma marocanité , “mon islamité laïque”, mais on est en perpétuelle recherche d’une identité. Amine Maalouf parlait d’identités meurtrières lorsqu’on se recroqueville sur une seule identité et que l’on veut rejeter les autre. Donc, oui, je pense que la vie est une quête permanente de cette identité.
Vous parlez hébreux. Si vous aviez un message de paix à dire en hébreux, lequel serait-il ?
J’ai eu la chance d’avoir rencontré cette langue et de l’avoir aimée en regardant des films qui mixaient la darija de chez nous avec l’hébreu. Et si j’avais à faire passer un message aux Marocains juifs, revenez vous réinstaller chez vous, dans votre pay,s et venez construire ce Maroc pluriel que nous aimons tant.
La paix , le vivre ensemble, c’est ce que vous véhiculez comme message à travers vos œuvres. Ne seriez-vous pas un peu utopique ?
À vrai dire, je n’aime pas trop ce terme de “vivre ensemble” qui est un ode à la pluralité et à la diversité culturelle. Je crois dans le cosmopolitisme de nos sociétés dans un contexte d’un monde de repli, de haine, de montée du racisme et d’antisémitisme exacerbé. Non, je ne suis pas utopique. Au contraire, je suis un militant de la fraternité, de la coexistence entre les peuples et c’est, pour moi, une richesse fondamentale.
Dans un monde où les connaissances et la réflexion sur la différences des sexes ne cessent de progresser et viennent appuyer la lutte pour l’égalité entre femme et homme, l’universalisation des genre est-elle, pour vous, une solution ?
Je crois profondément en l’égalité homme-femme et j’ai, d’ailleurs, réalisé un film pour l’ambassade de France durant la COP22. Nos société sont tiraillées entre la modernité et la tradition. Moi, je pense qu’il faut défendre les minorités, aller encore plus en avant vers l’égalité homme-femme notamment. Une mesure fondamentale, dans ce sens, serait d’appliquer l’égalité dans l’héritage. Ce qui enverrait un signal fort aux hommes et aux femmes de ce pays en matière d’équité et d’égalité. La question du genre s’apprend, selon moi, à l’école et dès l’enfance.
Eliane Lafarge / Les Inspirations ÉCO