Paul Francis Nathanaël Tonye : “L’Afrique doit elle-même transformer ses richesses”
La transformation sur place des ressources naturelles du continent doit être une priorité pour les États africains. Tel est le point de vue de Paul Francis Nathanaël Tonye, Juriste-Conseil Expert en Droit des ressources naturelles. Ce spécialiste en audit et rédaction des contrats spéciaux et contrats d’État (Droit des Mines, Gaz & Oïl) appelle également à la création de fonds souverains africains.
On dit toujours que l’Afrique est le continent des ressources naturelles. En tant que spécialiste de ce secteur, pouvez-vous nous donner un aperçu des ressources naturelles disponibles sur le continent ?
D’entrée de jeu, les ressources naturelles nous renvoient à la terre, l’eau, des ressources minières, des énergies (pétrole, gaz naturel), des pierres précieuses, de l’or, du zinc, des forêts, etc. Revenant à votre question, selon la Commission économique des Nations unies pour l’Afrique (2013), dix-neuf pays d’Afrique subsaharienne possèdent d’importantes réserves d’hydrocarbures, de charbon ou de minéraux.
L’économiste Isabelle Ramdoo (IISD novembre, 2019) estime, pour sa part, que l’Afrique possède plus de 60 types de minerais différents, totalisant un tiers des réserves minérales mondiales, tous minerais confondus. À titre d’exemple, elle est dotée de 90% des réserves de platinoïdes, 80% de coltan, 60% de cobalt, 70% du tantale, 46% des réserves de diamant, 40% des réserves aurifères et 10% des réserves pétrolières.
Qu’en est-il de la transformation industrielle de ces ressources ?
Pris individuellement, nos États sont faibles face aux mastodontes, notamment les pays du Nord et leurs entreprises multinationales qui continuent à exploiter nos richesses. Ce qui nous manque, c’est le courage et la volonté politique en plus d’un changement de paradigme, notamment au niveau de notre gouvernance. L’Afrique subira toujours la loi des intermédiaires, si elle se borne seulement à l’exportation de ses matières premières brutes.
Le continent doit résolument changer de cap économique et être plus indépendant vis-à-vis de ces grandes puissances commerciales en transformant elle-même ses richesses. Il faut créer des usines de transformation des matières premières en vue d’accroître les richesses le développement des pays hôtes. Comparativement à l’Afrique, l’Asie n’a rien et transforme tout alors que nous avons tout, mais nous ne transformons rien. Quel paradoxe !
Quels types de ressources rapportent le plus aux pays du continent ?
Il faut dire que l’Afrique représente 30 % des réserves mondiales en pétrole, gaz et minéraux. Selon la Commission économique des Nations unies pour l’Afrique, elle possède 54 % des réserves mondiales de platine, 78 % des diamants, 40 % du chrome et 28 % du manganèse. D’après l’OCDE, avec des exportations en hausse de 42% entre octobre 2020 et octobre 2021, le continent africain a fait deux fois la performance de l’Amérique et de l’Asie et environ quatre fois celle de l’Europe.
Mais, malgré tout, l’histoire de la croissance des dix-neuf pays d’Afrique au sud du Sahara et de leur développement socio-économique dépend du pétrole. À cela s’ajoutent le gaz, le cacao, l’huile de palme, le maïs, le blé, le coton, la bauxite, le nickel, l’étain, les métaux précieux, le bois…
La négociation et la répartition des bénéfices de l’exploitation de ces ressources sont souvent décriées. Qu’en pensez-vous ?
Les accords, conventions conclues et contrats signés par les pays africains riches en ressources naturelles, sont généralement des «bargaining models» et l’asymétrie d’information. Il faut dire que les ententes entre les sociétés transnationales et les États hôtes se rattachent à l’influence des tractations. C’est finalement une méthode de représentation des gains et des pertes potentiels et du résultat final entre les États hôtes et les firmes multinationales en tant qu’interaction de négociation.
L’asymétrie d’information quant à elle, porte sur les coûts de production et le montant de l’investissement, informations dont dispose la firme multinationale mais pas le pays hôte. La firme va donc bénéficier d’un avantage lors des négociations concernant les conditions d’accueil octroyées par le pays hôte. Cela va inciter la multinationale à investir sans permettre au pays hôte d’optimiser les gains de la présence étrangère, conduisant ainsi à la création d’une rente informationnelle (Konrad et Lommerhud, 2001).
Ce qui relance la question de la renégociation de ces contrats…
Il est urgent et même impératif que les accords conclus et contrats signés par les économies du continent soient, désormais, encadrés par des experts et juristes africains, hautement qualifiés sur les questions des ressources naturelles, à moins que les pays hôtes s’orientent vers un autre type de contrat. Il en sera ainsi des «bank loan» (emprunts à long terme, ndlr), appuyés sur les ressources naturelles.
La richesse en ressources ébranle très souvent le tissu économique, l’harmonie des peuples et les régimes politiques des États hôtes tandis que leur gestion n’assure guère de retombées pour tout le monde.
Que faut-il pour une meilleure répartition des bénéfices de ces ressources naturelles ?
Dans un entretien accordé à un magasine africain comme le vôtre, j’avais préconisé la création de fonds souverains qui, gérés rigoureusement, peuvent être des passerelles intergénérationnelles de transmission d’excédents de ressources, à l’instar de celui de la Norvège.
Mais le problème serait au niveau de la garantie de l’intangibilité du système de gouvernance et de la pérennité de cet objectif intergénérationnel. En tout cas, tout dépendra de la rigueur des hommes qui accèderont à la gouvernance de ces fonds souverains et des mécanismes de contrôle.
Abdellah Benahmed / Les Inspirations ÉCO