Moins d’intrants, plus de résilience : la révolution CRISPR-Cas9 dans l’agriculture marocaine selon Kamal Aberkani

Professeur Kamal Aberkani
Spécialiste en sciences de l’agriculture, Faculté pluridisciplinaire de Nador, Université Mohammed 1er
Face à une sécheresse historique, la révolution génétique CRISPR-Cas9 représente un véritable espoir pour l’agriculture marocaine. Capable de créer des cultures plus résilientes, cette technologie se heurte pourtant à un vide juridique qui freine son déploiement. Le Maroc se trouve donc à un carrefour décisif pour sa souveraineté alimentaire. Ce dossier a pour objectif de décrypter les multiples facettes de cet enjeu. Il propose une analyse détaillée du contexte marocain, suivie des perspectives croisées d’experts de France, d’Italie et d’Égypte, afin d’éclairer les défis et les opportunités que représente CRISPR-Cas9 pour le Maroc et pour la région.
On associe souvent les technologies génétiques à une agriculture intensive. Comment CRISPR-Cas9 peut-il, au contraire, s’aligner sur la vision d’une agriculture marocaine plus écologique et durable ?
C’est une distinction fondamentale. CRISPR-Cas9 n’est pas un outil qui pousse à l’utilisation massive d’intrants, bien au contraire. Son principal atout est la précision.
En rendant une plante naturellement plus résistante à un champignon, par exemple, on réduit drastiquement le besoin en fongicides. En l’adaptant à la sécheresse, on réalise des économies d’eau substantielles.
Cette technologie s’inscrit parfaitement dans notre modèle agricole qui vise moins de pesticides et d’intrants artificiels. Il s’agit d’une «sélection naturelle assistée» qui ne fait qu’accélérer ce que la nature aurait pu faire sur des décennies. C’est un outil de résilience, pas de forcing.
Vous insistez beaucoup sur le capital humain. Concrètement, quel message adressez-vous aux jeunes biologistes et aux entrepreneurs marocains qui hésiteraient à se lancer dans ce secteur ?
Mon message est simple, l’opportunité est immense et le Maroc a déjà les bases pour vous soutenir. Nous avons des plateformes d’incubation, des pôles d’excellence et des programmes de financement comme «Forsa». Plutôt que de simplement chercher un emploi, devenez les pionniers de la biotechnologie végétale au Maroc.
Créez des startups spécialisées dans la production de semences améliorées. J’adresse aussi ce message aux jeunes du monde rural, y compris les enfants d’agriculteurs, pour qui la connaissance du terrain, alliée à une formation scientifique, peut donner naissance à des entreprises innovantes et ancrées dans nos réalités. C’est une vision d’avenir où la science crée de la valeur directement dans nos territoires.
Au-delà des frontières nationales, vous évoquez un rôle de «pont vers l’Afrique». En quoi le Maroc a-t-il une légitimité particulière pour devenir un leader du transfert de cette technologie sur le continent ?
La légitimité du Maroc est déjà établie. Le Royaume a démontré à maintes reprises son expertise en matière de transfert de savoir-faire agricole sur le continent, que ce soit dans les domaines de l’irrigation, de l’implémentation de fermes modernes ou de l’agribusiness.
Devenir un hub pour CRISPR-Cas9 serait le prolongement naturel de ce leadership. Nous pourrions commencer par collaborer avec des partenaires comme l’Égypte ou la Tunisie, puis étendre ce modèle à nos partenaires d’Afrique subsaharienne.
En devenant un acteur clé de cette technologie, le Maroc ne répond pas seulement à ses propres défis, il se positionne comme un partenaire stratégique indispensable pour la sécurité alimentaire de tout le continent.
Mehdi Idriss / Les Inspirations ÉCO