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Minerais critiques : entre Europe, États-Unis et Chine, le Maroc, futur hub stratégique ?

Alors que la transition énergétique mondiale redessine les rapports de force industriels, le Maroc émerge comme un acteur stratégique dans la chaîne de valeur des minerais critiques. Une analyse conjointe du Foreign Office britannique, du Department for Business & Trade et du programme Growth Gateway projette un potentiel d’investissement de 35 à 55 milliards de livres sterling dans le secteur marocain de transformation. Porté par sa proximité avec les marchés occidentaux, ses accords commerciaux et ses infrastructures industrielles, le Royaume veut capitaliser sur cette dynamique. Mais entre dépendance technologique, défis énergétiques et compétition chinoise, l’équation reste à résoudre.

Dans le contexte mondial d’une transition énergétique accélérée, le Maroc se positionne aujourd’hui comme un acteur stratégique dans l’industrie des minerais critiques. En octobre 2025, un rapport conjoint du Foreign Office britannique et du Department for Business & Trade, publié sur le site officiel du gouvernement britannique, a mis en lumière une opportunité estimée entre 35 et 55 milliards de livres sterling pour les investisseurs internationaux dans le secteur marocain de transformation des minerais critiques.

Cette annonce, relayée par le North Africa Post, s’appuie sur la montée en puissance de la demande mondiale en matériaux pour batteries, alimentée par l’essor des véhicules électriques et des technologies vertes. Cette évaluation actualisée s’inscrit dans la continuité d’une feuille de route tracée plus tôt, en mai 2024, par le programme Growth Gateway et le cabinet Boston Consulting Group.

Ce rapport initial proposait déjà un plaidoyer pour faire du Maroc un hub de transformation de minerais à destination des marchés européens et américains. Il constitue aujourd’hui un socle d’analyse utile pour apprécier l’évolution concrète de cette ambition.

L’étude, intitulée «Morocco Investment Case», identifiait cinq piliers de compétitivité : la connectivité portuaire (notamment Tanger Med), les zones économiques spéciales, le potentiel en énergies renouvelables, la stabilité politique et la main-d’œuvre qualifiée. Elle soulignait également la montée rapide de la demande en minerais critiques dans les technologies vertes, avec une croissance annuelle estimée à 11% pour le lithium entre 2022 et 2040.

La dynamique mondiale autour des minerais critiques s’explique par la montée en puissance des technologies propres. Le développement des véhicules électriques, des panneaux solaires ou des éoliennes entraîne une demande exponentielle en lithium, cobalt, graphite ou nickel. Or, la majorité de la capacité mondiale de transformation de ces minerais est aujourd’hui concentrée en Chine, ce qui crée une forte dépendance pour l’Europe et les États-Unis.

Selon le rapport de 2024, la Chine concentre plus de 50% des capacités de traitement globales et plus de 70% dans certains segments comme le raffinage du cobalt. Ce déséquilibre alimente un besoin urgent de diversification des chaînes de valeur, renforçant l’intérêt stratégique d’un ancrage au Maroc. C’est dans ce contexte que le Maroc, par sa proximité géographique et ses accords commerciaux préférentiels avec les deux blocs, se démarque.

Le rapport souligne que le Maroc est le seul pays africain partenaire de l’Inflation Reduction Act américain, une législation qui favorise les approvisionnements extraits ou transformés dans des pays alliés des États-Unis. Le Royaume dispose également d’accords de libre-échange avec l’Union européenne, renforçant son statut de plateforme de confiance.

Cette position est renforcée par des infrastructures robustes, comme le port de Tanger Med, des zones économiques spéciales attractives, une main-d’œuvre compétente à faible coût, ainsi qu’un fort potentiel en énergies renouvelables. Le document précise que plus de 40% de l’électricité marocaine provient déjà de sources renouvelables, et que ce taux pourrait dépasser 52% d’ici 2030.

Le Maroc a déjà amorcé cette transition industrielle en développant une chaîne de valeur locale autour des batteries. Le pays accueille déjà une industrie automobile dynamique et exportatrice, et mise désormais sur l’intégration verticale avec les composants de batteries. Plusieurs projets sont en cours, notamment dans le recyclage de «black mass» (les poudres issues de batteries usagées), la transformation de cobalt ou la valorisation du graphite.

Le rapport recense également des partenariats technologiques en gestation avec des groupes européens et asiatiques pour implanter des unités de traitement «midstream» sur le territoire marocain. Le rapport britannique identifie cinq types d’opportunités immédiatement accessibles aux investisseurs : le financement d’énergie verte, les projets de transformation intermédiaire (midstream), les accords d’achat à long terme, le recyclage, ainsi que les partenariats technologiques avec des groupes locaux comme OCP ou Managem. Il recommande également la mise en place de mécanismes de partage de risque public-privé pour accélérer la montée en puissance de ces investissements.

Cependant, si les promesses sont grandes, les défis restent nombreux. Le Maroc ne possède pas à ce jour de réserves significatives de lithium ou de nickel, ce qui le contraint à importer une partie des matières premières à transformer. Le pays devra aussi rattraper son retard technologique dans certains processus de raffinage dominés par la Chine, tout en garantissant une fourniture suffisante d’électricité renouvelable à un secteur très énergivore.

À ce titre, l’étude souligne la nécessité d’augmenter la capacité de stockage et de distribution de l’électricité verte, notamment via l’hydrogène vert ou les batteries stationnaires. Au-delà des capacités industrielles, les questions de gouvernance, d’environnement et d’acceptabilité sociale seront aussi centrales pour assurer un développement durable et inclusif. Malgré ces contraintes, le potentiel est indéniable.

Le marché intérieur marocain des batteries est estimé à 1,5 à 3 milliards de livres sterling, et celui des exportations vers l’Europe et les États-Unis entre 35 et 55 milliards d’ici 2030. L’étude recommande également de créer des centres de formation technique spécialisés, afin de développer une main-d’œuvre qualifiée dans le traitement et le recyclage des matériaux critiques. Trois scénarios se dessinent : dans le plus optimiste, le Maroc devient un hub industriel régional intégré, captant une part significative de la valeur ajoutée.

Dans un scénario plus modéré, il joue un rôle intermédiaire de transformation partielle, tandis que dans le scénario pessimiste, les obstacles internes freinent l’émergence de cette filière. Le rapport met en garde contre une «middle-income trap» technologique si le Maroc ne parvient pas à maîtriser localement les étapes à plus forte valeur ajoutée.

Pour concrétiser cette ambition, plusieurs leviers devront être activés. Les autorités marocaines devront offrir un cadre réglementaire stable et incitatif, investir dans la formation et la recherche, développer les infrastructures logistiques et garantir un approvisionnement énergétique vert. Les investisseurs, eux, devront apporter technologies, savoir-faire, et s’engager dans des partenariats à long terme.

La durabilité, au sens environnemental et social, sera un critère de plus en plus scruté par les marchés internationaux. En somme, si la stratégie est bien exécutée, le Maroc pourrait s’imposer comme une plateforme modèle du Sud global dans l’économie décarbonée de demain.

Mai 2024 vs. Octobre 2025 : les projections à l’épreuve des faits

L’étude britannique de mai 2024 proposait une feuille de route ambitieuse, fondée sur un potentiel de développement estimé mais encore peu visible sur le terrain. Un an et demi plus tard, en octobre 2025, les réalités industrielles commencent à émerger, avec des investissements concrets dans les projets de recyclage et des discussions avancées sur l’établissement d’usines de transformation.

Toutefois, certains retards ou blocages sur les infrastructures énergétiques, les difficultés d’approvisionnement en minerais bruts et la compétition technologique avec la Chine viennent nuancer les prévisions de 2024. Si les bases sont posées, l’échelle industrielle reste encore à construire pour que le Maroc tienne pleinement son rang dans la chaîne de valeur mondiale des minerais critiques.

Le Maroc et l’Inflation Reduction Act : une singularité africaine à fort potentiel

L’un des atouts majeurs soulignés dans le rapport britannique est l’intégration du Maroc dans le dispositif américain de l’Inflation Reduction Act (IRA). Ce texte, adopté par Washington pour sécuriser ses chaînes d’approvisionnement en matières stratégiques, conditionne l’accès aux incitations fiscales et aux subventions à l’origine géographique des composants.

Le fait que le Maroc soit le seul pays africain figurant comme partenaire reconnu de l’IRA constitue un signal fort. Cela signifie que les entreprises implantées au Maroc peuvent potentiellement bénéficier d’accès préférentiels au marché américain, voire à certains dispositifs de financement ou de soutien indirect.

Cette position renforce le Maroc comme plateforme industrielle tournée vers l’export, notamment pour les composants de batteries ou les matériaux transformés. Dans un contexte de redéploiement des chaînes de valeur, cela confère au Royaume un avantage géostratégique rare sur le continent.

Maroc, RDC, Indonésie… Qui capte la valeur ajoutée des minerais critiques ?

Dans la compétition mondiale pour la maîtrise des chaînes de valeur des minerais critiques, plusieurs pays du Sud global cherchent à dépasser le simple rôle de fournisseurs de matières premières. Le Maroc, avec son ambition de devenir une plateforme de transformation industrielle, se distingue par une approche intégrée et axée sur l’exportation vers les marchés occidentaux.

À l’inverse, la République démocratique du Congo (RDC), premier producteur mondial de cobalt, reste largement dépendante de l’exportation de minerai brut vers la Chine, avec peu de transformation locale. Malgré quelques initiatives, les infrastructures, le climat d’investissement et l’instabilité politique limitent la montée en gamme. L’Indonésie, de son côté, impose depuis plusieurs années une interdiction d’exportation de nickel brut, obligeant les entreprises à investir localement dans des unités de traitement.

Cette stratégie a attiré des capitaux chinois et sud-coréens, mais au prix d’une forte dépendance technologique et environnementale. Face à ces modèles contrastés, le Maroc mise sur la stabilité politique, les accords commerciaux (UE, USA), et une montée en compétences industrielle progressive. Sa force ne réside pas dans la taille de ses réserves, mais dans sa capacité à insérer de la valeur ajoutée dans un système logistique et réglementaire aligné sur les exigences des marchés occidentaux. Un positionnement de niche, mais potentiellement décisif.

H.K. / Les Inspirations ÉCO



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