Maroc–GIZ : une stratégie concertée pour intégrer l’économie informelle

Alors que le secteur informel continue de peser lourdement sur la compétitivité du tissu économique, le projet PROMET de la GIZ s’inscrit dans une dynamique nouvelle, dépasser le constat pour bâtir, aux côtés des acteurs publics et privés, des solutions concrètes d’intégration. Entre évaluation des dispositifs existants et proposition de mécanismes innovants, cette mission ambitionne de repenser en profondeur la place de l’informel dans l’économie nationale.
Alors que le Maroc déploie une nouvelle feuille de route pour améliorer son environnement des affaires, la question de l’informel s’impose comme une priorité stratégique. Portée par la coopération maroco-allemande à travers la GIZ, une mission d’envergure entend proposer des solutions concrètes pour formaliser un secteur longtemps perçu comme une zone grise.
Au Maroc, l’informel est une réalité économique massive, persistante, qui façonne les rapports de production et défie les politiques publiques depuis des décennies. Derrière les étals de marché, les ateliers sans enseigne et les services à la demande, se dessine un pan entier de l’économie nationale échappant aux filets réglementaires, fiscaux et sociaux. Cette situation, tolérée de fait, est devenue un obstacle majeur à la compétitivité du secteur privé formel. Elle pèse sur les finances publiques, nourrit la précarité de millions d’actifs et fragilise les équilibres sociaux.
C’est dans ce contexte que la Deutsche Gesellschaft für Internationale Zusammenarbeit (GIZ), en partenariat avec le ministère de l’Économie et des Finances, a mandaté une mission d’étude ambitieuse pour examiner les politiques menées en la matière et proposer des leviers innovants d’intégration. Elle s’inscrit dans le cadre du projet PROMET (Promotion de l’Entrepreneuriat), programme-phare de la coopération maroco-allemande pour la période 2020-2024.
Textiles et agroalimentaire en locomotives
La mission ne vise pas à refaire un énième diagnostic sur le poids du secteur informel, sujet déjà largement exploré par le HCP, la Banque mondiale ou encore le CESE, mais à passer à l’action. Son ambition est de capitaliser sur les acquis, analyser les programmes déjà engagés et identifier les pistes de réforme concrètes, en s’inspirant des meilleures pratiques internationales. Le tout en préparant le terrain aux résultats très attendus de la prochaine enquête nationale sur l’informel du HCP, prévue en 2025, qui viendra actualiser les données du dernier exercice datant de 2014.
Le périmètre est clair, évaluer le cadre d’incitation actuel, catégoriser les unités informelles cibles et proposer des dispositifs juridiques, fiscaux et sociaux adaptés. En ligne de mire, la mise en place de mécanismes opérationnels pour encourager les acteurs informels à se formaliser et soutenir les acteurs formels à rester compétitifs face à une concurrence souvent jugée déloyale. Deux secteurs traditionnels à forte intensité de main-d’œuvre concentrent l’attention, le textile et l’agroalimentaire. Tous deux sont à la fois des foyers historiques d’activité informelle et des leviers de relance économique.
Le textile, notamment, souffre d’une segmentation profonde entre unités industrielles formelles, souvent tournées vers l’export, et un tissu informel diffus de petites structures opérant dans l’ombre des circuits commerciaux. L’agroalimentaire, quant à lui, mêle acteurs formels et informels dans des chaînes d’approvisionnement complexes, où la traçabilité et la conformité restent difficiles à garantir.
Dans ces filières, le défi est double, favoriser la montée en gamme et la structuration des acteurs informels, tout en sécurisant l’amont industriel et en garantissant un approvisionnement stable en matières premières. La mission devra ainsi articuler ses propositions autour de la formation professionnelle, du renforcement des capacités, de l’innovation et de la mise à niveau des standards de production.
Une co-construction public-privé
La démarche se veut participative. Des entretiens ciblés seront menés avec les représentants du secteur privé, notamment ceux issus des filières concernées. Des focus groups et ateliers d’idéation public-privé viendront enrichir la réflexion, dans un esprit de co-construction.
Il s’agit d’impliquer les parties prenantes dans la conception des réformes, de façon à garantir leur faisabilité et leur acceptabilité. Un benchmark des expériences étrangères, notamment en Amérique du Sud et dans la péninsule ibérique, viendra compléter le panorama. Plusieurs pays ont en effet expérimenté des solutions originales, à savoir des régimes fiscaux simplifiés, des portails numériques de formalisation, des incitations financières temporaires ou encore des dispositifs d’accompagnement à la transition.
Ces exemples serviront de matrice pour adapter des mesures au contexte marocain. Prévue entre avril et septembre 2025, la mission bénéficiera d’un suivi étroit par la GIZ et le Comité national de l’environnement des affaires (CNEA). Les livrables seront jalonnés : note méthodologique, état des lieux critique, guides d’entretien, synthèse des entretiens, recommandations stratégiques et feuille de route.
Au-delà de l’étude, c’est bien la volonté de faire évoluer le rapport à l’informel qui est à l’épreuve. Si des instruments existent, comme le statut d’autoentrepreneur ou la généralisation progressive de la couverture sociale, leur efficacité reste partielle.
Le pari de la formalisation passerait donc par une refondation de la relation entre les pouvoirs publics et les travailleurs informels, fondée sur la confiance, l’utilité perçue et la simplicité d’accès. Il s’agit moins de contraindre que d’attirer, moins de contrôler que d’accompagner.
Sanae Raqui / Les Inspirations ÉCO