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Maître Abdellatif Yagou. “Il faut réglementer l’accès à la profession”

Maître Abdellatif Yagou. Président du Conseil national de l’Ordre des notaires du Maroc

Dématérialisation des relations avec les différentes administrations en vue de réduire le délais de traitement des dossiers, centre d’archivage et de documentation, fonds de soutien pour les études notariales en difficulté, fonds de garantie contre la responsabilité civile des notaires… les grands chantiers du conseil de l’Ordre des notaires.

Vous avez proposé des amendements de la loi régissant la profession de notaire. Qu’est-ce qui a motivé votre démarche ?
Comme vous le savez, les notaires n’ont cessé de réclamer, depuis les années 70, la réforme du statut du notariat et ce n’est qu’en 2011 que la loi 32-09 est venue mettre fin au dahir du 4 mai 1925 qui a réglementé cette profession pendant plus de 86 ans. Mais malgré les apports positifs de cette nouvelle loi, elle demeure lacuneuse et comporte plusieurs dispositions qui méritent d’être modifiées pour répondre aux besoins du développement qu’a connu la société marocaine. Au moment de l’adoption de cette loi, les notaires n’ont pas été entendus, bien qu’ils aient présenté plusieurs amendements de celle-ci, aussi bien devant le ministère de tutelle que devant la chambre du Parlement. Après six ans d’application, la pratique a démontré les limites de cette loi et a rendu nécessaire sa réforme afin de répondre aux besoins de la profession et de la mettre au diapason des professions similaires dans les systèmes de pays développés comme la France. C’est ainsi que le conseil national a fait des propositions d’amendement de la loi 32-09, qui prennent en considération des limitations politiques, économiques et juridiques du Maroc. Or, tous ces changements qu’a connus le Maroc et notamment la révolution numérique ont rendu nécessaire l’adaptation de la loi qui réglemente la profession à la réalité pratique et au développement économique. Pour faire face à l’avènement du numérique et afin de préparer la profession aux exigences de la pratique, le conseil national a signé plusieurs conventions avec ses partenaires, notamment la DGI, la TGR, le ministère de la Justice et la CDG. Grâce à cette démarche, nous avons pu moderniser la profession et réussi le pari en arrivant à généraliser la dématérialisation de notre relation avec la DGI, notamment l’enregistrement en ligne des actes notariés. Ceci a été possible grâce à l’interfaçage de la plateforme Tawtik avec le système d’information de la DGI. Cela a permis aux notaires et aux citoyens un gain du temps et de sécurité dans l’accomplissement de cette formalité.

N’y avait-il pas de réticence de la part des notaires ?
Oui, il y a eu réticence au début car c’est une nouvelle approche. C’est surtout parce que cette plateforme demande des investissements, beaucoup de travail et, surtout, et il faut garantir la sécurité des échanges. Il faut aussi dire que nous étions plus habitués au papier. Mais nous avons pu convaincre tous les notaires d’adhérer à ce système. Avec la nouvelle équipe du bureau du conseil, il a été décidé de prôner la solidarité entre les professionnels. De ce fait, le conseil de l’ordre a décidé de prendre en charge la totalité des frais de ce système. Cela a considérablement réduit le délai de traitement des dossiers. C’était aussi un bon moyen d’y faire adhérer les notaires. Après la généralisation de cette plateforme, nous avons étendu ses fonctions à la gestion de l’étude notariale. Nous comptons continuer l’amélioration de ses services et tablons sur une digitalisation à 100% vers fin 2019.

Les autres intervenants dans les procédures relatives aux actes notariés (comme la commune) adhèrent-ils à ce système ?
Nous avons une vision globale. Nous avons d’abord commencé avec la DGI car elle était techniquement prête, même si certains points doivent être travaillés comme la réception des attestations et certains documents que nous devons obtenir d’autres administrations. Nous travaillons sur ces volets dans les réunions mensuelles que nous tenons avec le directeur général des impôts. Notre système a été inscrit comme projet national qui devrait contribuer au développement de l’économie marocaine et améliorer l’image de notre pays auprès des investisseurs étrangers. À notre niveau, le système est prêt et a été testé au niveau de Casablanca. Il fonctionne avec la DGI et la Trésorerie générale du royaume, mais n’est pas opérationnel avec les communes. Cela alourdit toujours les procédures dont le délai peut aller jusqu’à 20 jours, alors que notre objectif est de le réduire à 24 heures.

Allez-vous saisir le ministère de l’Intérieur pour trouver une solution à cette situation ?
Nous sommes sur le point d’adresser une lettre au ministre de l’Intérieur pour qu’il intervienne sur le sujet. D’ailleurs, il a été sensibilisé sur ce point par le chef de gouvernement dans le cadre du Comité national de l’environnement des affaires (CNEA). Nous avons aussi prévu une réunion avec le Premier ministre et les différents membres du CNEA, et avons formulé toutes nos doléances et tous les points qui doivent être encadrés par le gouvernement afin de remédier à ces lacunes. Avec le ministère de la Justice, nous avons signé une convention qui permet l’échange des documents et des données. Ce ministère est à un état très avancé en matière de dématérialisation. Nous avons actuellement une connexion avec le système des tribunaux du commerce et notamment les services du registre de commerce. À travers cette plateforme, le notaire pourra procéder au dépôt et à l’inscription des actes en ligne et réaliser la création de l’entreprise en 24 heures.

On parle de digitalisation, mais pourquoi n’arrive-t-on pas à asseoir un cadre juridique pour la signature électronique ?
Il s’agit là d’un autre défi que nous avons décidé de relever. Nous avons dû mettre en place toute une procédure. Notre objectif est de permettre aux signataires d’un acte notarié de le signer à distance en toute sécurité. Cela dit, notre plan d’action à ce niveau comprend entre autres la création d’un centre d’archivage électronique des actes notariés que nous essayons d’inscrire dans le cadre d’un programme gouvernemental, car il ne concerne pas uniquement les notaires, mais également les citoyens. Certes, cela demande énormément de moyens, mais nous devons nous y engager avec le gouvernement. À cet effet, nous avons aménagé des locaux à Casablanca. Nous avons aussi mis en place un centre de formation pour les notaires, un Centre national pour recherche et documentation et un autre dédié à l’archivage électronique qui abrite les datacenters des notaires et qui est déjà opérationnel. Aujourd’hui, c’est le conseil de l’Ordre des notaires qui gère ses propres systèmes. Nous ne sommes plus liés à des prestataires externes. Par ailleurs, en ce qui concerne les propositions relatives à la réforme de la loi sur la profession, nous avons demandé des amendements portant sur l’accès à la profession, la gestion des études, de l’affectation des notaires. Il y a aussi les volets relatifs à la responsabilité des notaires et à la nullité des actes et, enfin, celui relatif à la digitalisation des actes notariés.

La profession fait aussi face au phénomène de spoliation immobilière. À votre avis, quelles seraient les solutions à apporter à ce problème ?
Le conseil national est membre de la commission, constituée par le ministre de la Justice suite à la lettre royale, visant à faire face à ce phénomène. Ce dernier existe bel et bien, mais il est heureusement limité. Nous avons fait plusieurs propositions au ministère de la Justice qui ont été retenues. Ainsi, nous avons demandé à ce que les procurations soient notariées ou rédigées par des avocats agréés, et ce dans le but de limiter les effets négatifs des actes sous seing privé. Des actes qui favorisent la falsification. Nous lui avons aussi proposé d’amender les dispositions de la loi de manière à protéger le propriétaire initial contre toute usurpation, tout faux susceptible de porter atteinte à sa propriété, sachant que la propriété immobilière est sacrée et protégée par notre Constitution. Et pour renforcer et protéger le droit de la propriété, le conseil de l’Ordre a proposé la mise en place d’un fonds de garantie qui a pour mission l’indemnisation de l’acquéreur de bonne foi, victime de faux. Ce n’est pas tout puisque les notaires ont proposé la création d’un fonds qui permet de dédommager les personnes victimes de ces spoliations, que ce soit le propriétaire ou l’acheteur lésé. Ce fonds doit être alimenté par les taxes payées au niveau de la conservation foncière.

Quid des dédommagements des contractants en cas de responsabilité civile des notaires?
Avant la mise en place de l’équipe du conseil, les notaires payaient à titre individuel l’assurance civile. Afin de faire bénéficier tous les notaires des avantages de cette assurance, le Conseil national a négocié une meilleure offre auprès de tous les assureurs de la place et est parvenu à établir un contrat d’assurance de responsabilité civile unifiée et applicable à tous les notaires du pays. Et grâce au Fonds de solidarité, mis en place par le conseil national et qui est alimenté par les droits par acte versés par chaque notaire, toutes les études notariales du pays ont été assurées contre les risques des fautes civiles et professionnelles. De plus, la garantie assurée est passée de 2,5 MDH par notaire prévue par la loi à 7,5 MDH. C’est aussi qu’à travers cette solidarité que le conseil national a pu sécuriser et moderniser la profession.

Dans vous propositions, il est également question que le notaire ayant commis une faute passe devant un conseil disciplinaire et non plus directement devant un tribunal…
Dans le cadre de l’ancienne loi qui réglementait la profession notariale, les notaires étaient déférés devant les chambres du Conseil et ne disposaient pas des mêmes garanties de défense comme tous les autres citoyens. Avec l’avènement de la loi 32-09, il a été institué une commission nationale (article 11), qui se charge de la nomination du transfert et de la discipline du notaire. Or, lors de l’adoption de cette loi, les notaires n’ont pas cessé de réclamer l’amendement de ces dispositions afin de les adapter à la réalité pratique et éviter les conséquences de cette instance sur la profession puisque, en présence d’une plainte contre notaire, ce dernier se trouve obligé de se présenter devant cette commission qui siège à Rabat.

Aujourd’hui, il y a 2.000 notaires au Maroc avec une forte concentration sur l’axe Casablanca-Kénitra. Comment peut-on régler ce problème de concentration ?
Entre 2009 et 2018, le nombre des notaires est passé de 750 à 2.000. Aussi, nous n’avons pas cessé d’attirer l’attention du ministère de tutelle sur les inconvénients de l’accès direct à la profession et sur la répartition à l’échelon national. Nous lui demandons de mettre en place des critères objectifs pour déterminer les besoins en notaires. Aujourd’hui, ces derniers peuvent être affectés dans des villes ou l’activité économique ne leur permet pas de maintenir leur étude en activité. Et au bout d’un an, ils peuvent, selon la loi, demander une réaffectation. Cela créé des difficultés de concentration. En attendant la réforme de la loi, le ministère de la Justice a pris acte de nos doléances et essayé de modifier le décret d’application relatif aux nominations et affectations des notaires pour permettre à ceux qui sont en difficulté d’avoir une bouffée d’oxygène. De notre côté, nous avons mis en place un fonds de soutien pour les études notariales en difficulté financière. Mais il faudra réglementer l’accès à la profession.

La loi a prévu un institut de formation pour les notaires. Mais pourquoi n’arrive-t-on toujours pas à le créer ?
Certes, cet institut n’existe pas encore, mais le ministère de la Justice a mis en place un centre de formation à Salé au niveau de l’Institut de la magistrature. De notre côté, nous avons mis en place un centre de formation qui a entre autres pour objectif d’assurer de la formation continue au profit des notaires en exercice. C’est d’ailleurs l’une de nos propositions d’amendement de la loi. Ce centre national est déjà opérationnel. D’autres centres régionaux seront créés prochainement. Des formations à distance sont également prévues.

Quel est votre avis sur la demande, émanant des adouls, que tous les actes dressés par notaire puissent aussi l’être par eux ?
Nous nous ne sommes pas concernés par cette demande. Chacun fait son métier, il n’y a pas d’éléments de comparaison. Nous respectons leur métier, ils doivent respecter le nôtre. C’est pour cette raison que nous avons demandé au ministère de la Justice de déterminer clairement les compétences de chaque profession. 


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