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Gouvernance des EEP : une réforme en profondeur se prépare

Dans le cadre de son engagement contracté dans le cadre du Pacte MENA pour la réforme des entreprises publiques, le Maroc prépare une vaste feuille de route pour revoir la gouvernance, le fonctionnement et le contrôle de son portefeuille tentaculaire d’EEP. Détails.

Du contrôle renforcé des subventions publiques à la suppression des avantages indus, en passant par l’adoption des normes IFRS, le Pacte MENA vise à faire évoluer en profondeur le fonctionnement des entreprises publiques. Après l’adhésion du Maroc en 2022 au projet de Pacte MENA pour la réforme des établissements et entreprises publics (EEP), d’intenses travaux ont été menés en 2023 pour préparer la feuille de route de déploiement de ce pacte ambitieux.

Cette initiative, soutenue par la Banque mondiale, vise à apporter des changements structurels majeurs dans la gouvernance et le fonctionnement des EEP marocains. Les principaux objectifs visés par le Pacte MENA se déclinent en quatre axes fondamentaux : renforcer leur gouvernance ; assurer une concurrence loyale ; aligner les EEP sur les enjeux des changements climatiques et du développement durable ; instaurer une gestion budgétaire rigoureuse et transparente.

Définir des objectifs précis et motivés pour chaque EEP
S’agissant de la gouvernance, d’ambitieux chantiers sont programmés. Comme l’explique le rapport d’activité 2023 de la Direction des entreprises publiques et de la privatisation (DEPP) du ministère des Finances, il est prévu «d’approuver des objectifs formels et une justification de la propriété de l’État» pour les EEP. Une véritable politique de propriété de l’État actionnaire devra être élaborée, décrivant la stratégie et les méthodes de gestion de ce portefeuille public pléthorique.

Il s’agit là d’une réforme fondamentale visant à clarifier et formaliser les objectifs et la justification même de la propriété de l’État pour ces entreprises publiques. Jusqu’à présent, les raisons qui poussent l’État marocain à conserver la propriété de certaines entités plutôt que d’autres manquent souvent de clarté et de justification formelle.

Le Pacte MENA appelle à définir des objectifs précis et motivés pour chaque EEP détenu par l’État. Comme nous explique un analyste, «cela implique d’analyser en profondeur la pertinence stratégique et économique du contrôle étatique pour chaque société ou établissement public. Les justifications peuvent être diverses : préserver des activités d’intérêt général, garantir la souveraineté nationale sur des secteurs clés, maintenir un outil de politique économique et industrielle, etc. Mais elles devront être clairement énoncées».

Sur cette base, le Pacte demande l’élaboration d’une véritable politique unifiée de l’État en tant que propriétaire et actionnaire de ce vaste portefeuille public. Cette politique devra détailler la stratégie d’ensemble, les méthodes de gestion préconisées, les critères de décision d’entrée ou sortie du capital, etc. Cela marquera une profonde évolution par rapport à la gestion parfois empirique qui a pu prévaloir par le passé. Une cohérence d’ensemble et une vision stratégique à long terme pour la propriété de l’État seront définies. Les méthodes et l’organisation institutionnelle pour mettre en œuvre cette politique devront également être précisées (rôles respectifs des départements ministériels, de l’ANGSPE, etc.).

In fine, cette réforme doit permettre à l’État d’exercer un rôle d’actionnaire plus performant, éclairé et responsable pour gérer au mieux le portefeuille considérable d’EEP qu’il détient. Une véritable gouvernance de la propriété d’État se mettra en place, guidée par une stratégie cohérente.

Alignement du reporting financier annuel
Un système clair de reporting et d’évaluation régulière des performances sera mis en place. Le Pacte MENA encourage aussi vivement l’alignement du reporting financier annuel des EEP sur les normes IFRS, gage de transparence. Les rôles et compositions des conseils d’administration seront profondément revus pour se conformer aux meilleures pratiques de gouvernance d’entreprise, avec une réelle autonomie, indépendance et diversité.

Il faut dire que ce volet du Pacte MENA est essentiel pour renforcer la transparence, la redevabilité et les bonnes pratiques de gouvernance au sein de ces entreprises publiques. Tout d’abord, l’instauration d’un système transparent et rigoureux de reporting et d’évaluation régulière des performances est cruciale.

Actuellement, le suivi de la performance des EEP manque souvent de cadre normalisé et harmonisé. Le Pacte MENA vise à mettre en place des processus et des indicateurs standardisés pour permettre un réel pilotage de la performance économique, financière, opérationnelle, etc. de chaque entité. Un véritable outil de contrôle pour l’État actionnaire. Ensuite, l’alignement du reporting financier annuel sur les normes comptables internationales IFRS est vivement encouragé. Ceci représente un enjeu majeur de transparence et de fiabilité de l’information financière délivrée par les EEP.

Aujourd’hui, les écarts de normes comptables entre entités nuisent à la consolidation des comptes et à la lisibilité. Le passage aux normes IFRS permettrait une information financière de haute qualité, auditable et comparable.

Enfin, une refonte en profondeur de la gouvernance des conseils d’administration des EEP est programmée. Leurs rôles, compositions et modes de fonctionnement seront revus pour se conformer aux meilleures pratiques de gouvernance d’entreprise inspirées du secteur privé. Plusieurs principes clés seront renforcés : l’autonomie réelle du conseil par rapport aux pouvoirs publics, la responsabilité et la redevabilité des administrateurs, l’indépendance d’une partie des membres, et une diversité adéquate des profils (compétences, genre, etc.).

Cette réforme de la gouvernance des conseils d’administration vise à en faire de réelles instances de contrôle, de décision stratégique et de challenge managérial au sein des EEP. Elle répond à des critiques récurrentes sur l’inefficacité de nombreux conseils, trop soumis aux injonctions de l’État actionnaire.

En définitive, ce volet du Pacte MENA pose les jalons d’une gouvernance modernisée et professionnalisée dans les EEP marocains, garantissant transparence, redevabilité et alignement sur les standards les plus exigeants. Un changement de culture de grande ampleur.

Transparence accrue
«Les obligations de service public des EEP et leurs coûts devront être divulgués», précise également le texte, appelant à une transparence accrue sur ce volet crucial. Voici un point essentiel que soulève le Pacte MENA. Aujourd’hui, de nombreux EEP se voient confier des missions d’intérêt général ou de service public par les pouvoirs publics, sans que le cadre et surtout le coût réel de ces obligations ne soient pleinement transparents et chiffrés.

Le texte du Pacte MENA appelle donc à une divulgation claire et une quantification précise des obligations de service public imposées à chaque EEP. Il s’agit d’une réforme de transparence fondamentale. En pratique, cela impliquera d’identifier et de définir formellement pour chaque entité la nature exacte des missions et prestations d’intérêt général qui lui sont dévolues par l’État (accès aux services essentiels pour tous, maillage territorial, tarifs sociaux, etc.). Mais surtout, le Pacte vise à ce que le coût économique complet associé à la réalisation de ces obligations soit chiffré de manière rigoureuse et pérenne.

Ces coûts, qui grèvent la performance des EEP, devront être rendus publics et intégrés dans leur reporting financier. Cette transparence est indispensable pour évaluer si le mode de compensation par l’État de ces coûts (subventions directes ou indirectes) est approprié et suffisant. Trop souvent en effet, les EEP se voient transférer des charges de service public mal compensées, obérant leur équilibre économique.

Au-delà, cette divulgation des obligations de service public et de leur coût nourrira le débat démocratique sur la pertinence de maintenir ou incitera à revoir certaines missions et leurs modalités de compensation financière par la puissance publique. C’est donc un enjeu de redevabilité vis-à-vis des citoyens sur l’utilisation des fonds et ressources publics au sein des EEP. La transparence requise par le Pacte permettra d’objectiver ces enjeux trop souvent noyés dans l’opacité actuelle.

haro sur les subventions déguisées
Sur le plan de la concurrence, des mesures fortes sont prévues comme «garantir des marchés publics équitables, transparents et efficaces pour les EEP». Le Pacte vise à mettre fin aux pratiques de subventions déguisées par le biais des EEP, faussant la concurrence. Tout d’abord, il insiste sur la nécessité de garantir des marchés publics réellement équitables, transparents et efficients lorsqu’ils impliquent des EEP. Trop souvent par le passé, on a pu observer des pratiques opaques favorisant indûment certains EEP lors de l’attribution de marchés publics, faussant ainsi la libre concurrence. Le Pacte MENA vise donc à mettre un terme à ces dérives en encadrant strictement les procédures d’appels d’offres et de passation des marchés impliquant des opérateurs publics. Une transparence totale et un strict respect des principes d’égalité de traitement et de mise en concurrence seront exigés.

Ensuite, le Pacte s’attaque frontalement à la problématique des subventions déguisées dont peuvent bénéficier certains EEP, faussant la concurrence vis-à-vis des acteurs privés. Il pointe notamment les avantages indus comme l’accès privilégié au foncier ou au financement, les exemptions fiscales injustifiées, etc. L’objectif est de mettre fin à ces pratiques en identifiant et supprimant ces subventions croisées cachées.

Les EEP devront être traités comme toute entreprise «normale» en termes de charges et avantages, sans faveurs particulières liées à leur statut public. Cela suppose de revoir en profondeur le cadre juridique et réglementaire régissant les activités économiques des EEP afin d’aligner leurs conditions d’exploitation sur celles du secteur privé. Un même environnement concurrentiel devra prévaloir.

Autant de réformes essentielles pour garantir une véritable neutralité concurrentielle, quel que soit le statut public ou privé des acteurs économiques. Elles visent à mettre fin aux distorsions passées et prônent une réelle mise en œuvre des principes d’une concurrence libre et non faussée au Maroc. L’alignement sur les enjeux environnementaux et de développement durable est un autre axe clé du Pacte MENA. Si peu de détails sont donnés, nul doute que cet aspect prendra une place grandissante pour les EEP, dans la lignée des engagements climatiques du Royaume.

Obliger l’État à budgétiser et accorder les subventions de manière directe et traçable
Sur le plan budgétaire, deux réformes d’envergure sont programmées. La première consiste en l’introduction dans la loi de Finances d’un traitement budgétaire explicite et consolidé de l’ensemble des subventions versées aux EEP. Jusqu’à présent, ces subventions sont noyées dans les lignes budgétaires des différents ministères de tutelle, sans vision d’ensemble claire.

Avec cette réforme, les subventions aux EEP feraient l’objet d’une identification spécifique et d’une présentation détaillée lors de l’examen des projets de lois de Finances par le Parlement. Cela permettra d’avoir une pleine transparence sur les montants d’aides publiques allouées à chaque entité, d’en débattre et de mieux les encadrer.

La deuxième réforme phare est l’élimination progressive des subventions indirectes octroyées par le biais des EEP, au nom de l’État. Il s’agit de pratiques opaques où certaines de ces structures servent en quelque sorte de «canaux» pour faire transiter des aides publiques de manière détournée. Ce type de mécanismes nuit grandement à la transparence des finances publiques.

Le Pacte MENA vise à y mettre un terme en obligeant l’État à budgétiser et accorder toute subvention de manière directe et traçable, sans passer par l’intermédiaire déguisé d’EEP. Ces deux réformes majeures répondent à des critiques de longue date sur le manque de lisibilité et de contrôle démocratique des aides publiques accordées aux EEP.

Une task force déjà constituée

Pour préparer concrètement cette feuille de route, une task force réunissant les acteurs clés (DEPP, Douane, Trésor, ANGSPE) a été constituée. Basée sur un questionnaire détaillé et des données quantitatives sur le portefeuille public, fournis par la Banque mondiale, cette task force planche sur différents axes : paysage des EEP, rôle de l’État actionnaire, efficacité de la gouvernance, gestion budgétaire, etc.

«En application des Hautes orientations royales, la DEPP met tout en œuvre pour l’élaboration des textes juridiques et l’accélération du programme de restructuration des EEP dans le cadre de ce chantier de réformes», déclare son directeur dans une citation reprise du rapport 2023.

Le défi est de taille pour ce portefeuille tentaculaire de 273 EEP couvrant des secteurs stratégiques (avec ses 228 établissements publics et 45 sociétés anonymes à participation directe du Trésor), auquel s’ajoutent 517 filiales à participation indirecte. Mais la réforme promue par le Pacte MENA est indispensable pour faire évoluer ce paysage complexe vers une meilleure gouvernance et plus de transparence, d’équité concurrentielle, de soutenabilité environnementale et de rigueur budgétaire. Un chantier de longue haleine crucial pour l’avenir économique du pays.

Bilal Cherraji / Les Inspirations ÉCO



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