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Alain Gauvin : “La réglementation financière marocaine est en avance à bien des égards”

Alain Gauvin
Avocat spécialiste du secteur bancaire et financier

Alain Gauvin est avocat spécialiste u secteur bancaire et financier, actif à Casablanca et Paris. Il a co-écrit, avec Kawtar Raji-Briand, l’ouvrage «Droit bancaire marocain», publié en 2021. Selon lui, si l’on considère l’Afrique comme un ensemble homogène, la réglementation financière marocaine est en avance à bien des égards. 

Sur la base de votre expérience au Maroc et dans d’autres pays du continent, estimez-vous que la réglementation financière au Maroc est en avance ou en retard par rapport à ce qui est appliqué ailleurs en Afrique ??

Pour autant que l’on puisse considérer l’Afrique comme un ensemble homogène, la réglementation financière marocaine est en avance à bien des égards. De nombreux textes ont été adoptés depuis une quinzaine d’années, lesquels devraient contribuer à ériger le Royaume en place financière régionale.

À titre d’exemple, le Maroc a adopté une loi bancaire moderne par laquelle cohabitent banques conventionnelles et banques participatives. Cette loi introduit en droit marocain les services d’investissements et les services de paiement, y compris les moyens de paiement électroniques. Cette loi modernise, également, l’obligation de confidentialité qui pèse sur les banques.

Par ailleurs, avec sa loi sur les OPCI, le Maroc financiarise le marché de l’immobilier, ce qui est une bonne chose pour en diversifier les sources de financement et les cibles de placement, mais aussi pour en professionnaliser les acteurs.

Parfois même, la réglementation est surdimensionnée et est en avance sur les pratiques, ce qui est suffisamment rare pour être souligné. Par exemple, la loi sur la titrisation est un modèle du genre, mais elle est sous-utilisée.

Très bien, on y reviendra, mais aussi bien au Maroc que dans les autres pays du continent que vous maîtrisez, quelles sont, selon vous, les avancées qui restent à accomplir ?


Les avancées à faire, chacun les connait, tant la littérature sur le sujet est foisonnante et il suffit de consulter les rapports des institutions internationales sur le Maroc, comme sur tel autre pays africain, pour les identifier. En revanche, il me semble plus intéressant d’apprécier les progrès à faire par l’Union Africaine, non seulement pays par pays, mais aussi au regard du continent, pour constater ce qui, à mes yeux, est une lacune jamais soulevée : on peut, en effet, s’étonner de ce que ni la banque ni les marchés de capitaux ne figurent, contrairement à l’assurance, parmi les douze «domaines d’intérêt communs pour les États membres», énoncés par l’article 13 de l’Acte constitutif de l’Union Africaine du 11 juillet 2000.

De même, l’Accord ZLECAf, dont l’article 3 fixe, parmi les «Objectifs généraux», la «circulation des capitaux», ne consacre aucun développement particulier au secteur bancaire et financier. Pourtant, ce dernier participe, à l’instar du secteur de l’assurance, à l’intérêt commun des États membres de l’Union Africaine.

Au demeurant, banque, finance et assurance sont, depuis environ 30 ans, trois activités aux frontières de plus en plus poreuses : on parle bien de bancassurance et, pour couvrir les grands risques -notamment pandémiques, climatiques et de catastrophes naturelles-, assureurs et réassureurs recourent aux marchés de capitaux.

Où en est-on en ce qui concerne la réglementation sur le marché des capitaux. Quelles réformes sont nécessaires ?
La première des réformes nécessaire, à mon avis, n’est pas de nature juridique, mais politique et légistique : elle touche à la façon même de concevoir et de prioriser les réformes. Je l’ai dit, les textes adoptés depuis 15 ans sont nombreux et de bonne qualité.

Mais s’agissant de la conception des réformes, la difficulté tient à ce qu’elles sont parfois élaborées en silos, sans tenir compte du fait que la finance constitue un ensemble : la banque, la bourse et l’assurance n’en sont que les éléments constitutifs et la porosité entre ces trois secteurs est telle que, dès 1996, une instance de liaison internationale entre les trois secteurs financiers, le «Joint Forum» ou le «Forum Tripartite», a été créée (www.bis.org/bcbs/jfhistory.htm).

Par conséquent, une réforme touchant un secteur peut emporter des effets sur les autres ou être neutralisée par ces derniers.

Pensez-vous que la réglementation des changes au Maroc soit de nature à faciliter les échanges commerciaux et interactions financières avec les pays d’implantation des entreprises marocaines sur le continent ?
D’une façon générale, la réglementation des changes marocaine est relativement souple et son application par l’Office des Changes est prévisible et lisible. Par conséquent, les investisseurs étrangers n’ont rien à craindre quant à la sécurité de leurs investissements au Maroc et l’assurance leur est donnée qu’ils pourront, s’ils le souhaitent, en rapatrier le capital et les fruits. Il n’en va pas de même dans tous les pays, et les situations dans lesquelles des investisseurs étrangers -ou nationaux, d’ailleurs- doivent faire face à une réglementation mouvante et, pire encore, à des décisions arbitraires de l’autorité, ne sont pas rares.

Rien de cela au Maroc, même si, bien sûr, des améliorations peuvent être apportées. Par exemple, on ne comprend toujours pas pourquoi l’application de la compensation est expressément prévue aux couvertures sur produits de base, mais pas aux couvertures sur les autres actifs. En revanche, deux points de nature différente posent question. Le premier est de nature psychologique : on a beau convaincre un investisseur étranger de ce que la réglementation des changes marocaine est libérale et son application cohérente, le seul fait de l’existence d’une réglementation des changes est anxiogène.

C’est ainsi, la réalité, d’une part, et la perception qu’un investisseur peut en avoir, d’autre part, ne convergent pas forcément, ce qui n’est pas favorable au pays. Le second point est plus rationnel : il est compliqué pour un État de nourrir l’ambition d’être une place financière régionale, voire internationale, et plus encore, de concrétiser cette ambition, tant que subsiste une réglementation des changes.

Cela ne revient pas à remettre en cause la décision, souveraine, d’un pays de se doter d’une réglementation des changes. Mais c’est affaire de choix politique. Pas facile.

Abdellah Benahmed / Les Inspirations ÉCO


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