Maroc

Dans le Souss, vives tensions entre habitants et nomades

Le conflit entre les sédentaires du Souss et les nomades s’est invité dans les rues de Casablanca. Reportage avec les marcheurs pour «le droit à la terre et à la richesse». 

«Imazigh, Imazighen!», scandent à l’unisson les 15.000 manifestants originaires du Souss qui ont défilé, le 25 novembre, dans les rues du centre-ville de Casablanca. Cette affirmation identitaire exprime la colère des habitants des quatre provinces du Souss vis-à-vis de ce qu’ils qualifient d’«agressions des nomades» et de «lois coloniales visant la spoliation des terres de nos ancêtres», lors de cette marche inédite. Les principaux mots d’ordre sont «la préservation des ressources naturelles» face «aux agressions des nomades, aux Eaux et forêts et à la préservation du sanglier». Cette manifestation s’est tenue suite à un appel signé par 40 associations amazighes. En plus du conflit avec les nomades et la gestion des espaces pastoraux, les manifestants ont brandi des pancartes exigeant une meilleure répartition de la valeur des richesses minières et l’annulation des décisions d’expropriation des terres de la part des Eaux et forêts. Ces messages ont été portés par une mobilisation massive qui exprime, au-delà du cas du Souss, le ras-le-bol des habitants du monde rural.

La terre et l’eau au cœur du conflit
Ahmed est venu de la commune de Tanant, dans la province de Chtouka-Aït Baha. Avec d’autres membres de l’Association Tamdloucht pour le développement et la coopération, il marche à Casablanca contre «le pastoralisme sauvage». La vie de son village a changé il y a trois ans. «Nous faisons face non pas à des nomades, mais plutôt à des bandes armées qui s’installent dans nos terres et pillent nos récoltes. Si un des habitants revendique son droit, il subit violences et maltraitances», accuse-t-il. Le même récit se répète dans d’autres provinces du Souss. Plusieurs manifestants venus de Tiznit, Tafraout, Sidi Ifni ou encore Taroudant dénoncent une forte tension entre les nomades et les populations sédentaires du Souss. La raréfaction des ressources en eaux multiplie ces affrontements. Saïd est originaire du village de Dou Allouss, dans la province de Tafraout. «Je suis spécialement venu de Moulay Yacoub où je vis et travaille pour prendre part à cette manifestation», détaille-t-il. Saïd est venu seul, muni d’une pancarte où il a griffonné à la main et en deux langues les revendications de son village: «Nous dénonçons les actes barbares des nomades». Pourtant, le rapport nomades-sédentaires était plutôt serein durant de longues décennies dans son village. «Les nomades se sont toujours installés au cours de leur transhumance dans la région. À cette époque, ils avaient des zones désignées pour le pâturage. Ces dernières années, ils ont commencé à s’installer sur les terrains des habitants». Pour Abdesslam, installé à Casablanca et originaire de Tafraout, ce changement s’explique par la sécheresse et les limitations des espaces pastoraux. «L’oued Drâa « souffre » depuis la guerre au Sahara. Ce conflit a aussi rendu dangereux de larges espaces car il y a des mines anti-personnelles. Les nomades dans le Sahara montent donc plus souvent au Souss et y restent plus longtemps». Tout en dénonçant avec véhémence les pratiques des nomades, les habitants du Souss ayant fait le déplacement à Casablanca appellent à une intervention de l’État et regrettent une neutralité «négative» des autorités. «Nous ne sommes pas contre ces gens, nous demandons seulement que l’État fasse son travail en organisant l’activité des nomades, en leur désignant des espaces de pâturage», exige Omar, un jeune marcheur originaire de la commune d’Azarar (Taroudant).

En avril dernier, le Conseil de gouvernement avait approuvé un projet de décret portant création, aménagement et gestion des zones pastorales et ce, dans le cadre de la mise en place des dispositions de la loi n°113.13 relative à la transhumance pastorale, la gestion et l’aménagement des espaces pastoraux. Ce projet avait été présenté par le ministre de l’Agriculture, de la pêche maritime, du développement rural et des eaux et forêts. Il vise à fixer «les conditions et modalités de la création des zones pastorales sur la base d’une étude effectuée au préalable à cet effet, à octroyer une aide financière au gouvernement pour réaliser les infrastructures, les équipements et travaux d’aménagement des espaces pastoraux ainsi qu’à élaborer et exécuter un plan d’urgence au profit des zones pastorales sinistrées». Les marcheurs à Casablanca ont affiché leur refus de ces nouvelles mesures et appellent «à la révision du texte de loi 113-13 dans sa totalité». La tension n’est pas près de s’affaiblir…



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