Réorganisation douanière : ce qui change pour les acteurs économiques

Les récentes circulaires (n°6664/511 et 6665/511) de l’Administration des Douanes et Impôts indirects (ADII), entrées en vigueur le 7 juillet, opèrent une refonte significative de ses services déconcentrés dans les régions stratégiques de Tanger-Tétouan-Al Hoceima et Casablanca-Settat. Cette réorganisation, présentée comme une «optimisation du fonctionnement du service», vise clairement une centralisation accrue des contrôles à distance, une rationalisation des structures et une clarification des attributions. Pour les acteurs économiques de ces pôles logistiques vitaux, ces changements impliquent des interlocuteurs redéfinis et une évolution des processus. Analyse des changements concrets pour les acteurs économiques et leurs implications stratégiques.
Sur le terrain, la restructuration des opérations portuaires et territoriales présente des évolutions distinctes mais convergentes entre Tanger-Med et Casablanca. Pour Tanger-Med, la réorganisation s’avère profonde avec la suppression des services du ciblage/contrôles et du contentieux, signifiant un désengagement de ces fonctions de l’échelle portuaire locale.
L’ordonnancement du contrôle physique des importations est scindé en deux entités distinctes (Contrôle physique import-1 et import-2), chacune dotée d’adjoints pour renforcer leur capacité opérationnelle. Une sous-direction des voyageurs est créée, centralisant désormais le contrôle des voyageurs et des véhicules utilitaires sous une même autorité, tandis qu’un nouvel ordonnancement dédié au contrôle par scanner à l’export est établi.
Parallèlement, l’ordonnancement de la gestion des magasins et aires de dédouanement (MEAD) est transformé en «ordonnancement des MEAD et entrepôts de Tanger», et la couverture des Zones d’activité industrielle (ZAI) est étendue à Tanger Tech, conduisant au renommage en «ordonnancement des ZAI-Melloussa-Chrafate-Al Aouama».
Du côté de Casablanca, des simplifications structurelles similaires sont mises en œuvre avec la suppression des services du ciblage/contrôles et du contentieux au Port. Une création majeure intervient avec l’établissement d’une direction préfectorale à Mohammedia, complétée par un commandement préfectoral des brigades rattaché à cette nouvelle entité territoriale.
Les capacités de gestion sont renforcées via l’ajout d’adjoints aux ordonnateurs des MEAD Est et Ouest ainsi que de ceux des contrôles physiques des importations Nord et Sud au port. La sous-direction des exportations du port de Casablanca est réorganisée et renommée «sous-direction des exportations et des fonctions communes», intégrant l’ordonnancement chargé des fonctions communes et de la gare maritime (issu de la suppression de la sous-direction des fonctions communes) et le bureau des opérations particulières.
À Nouasser, l’ordonnancement chargé des exportations et de la gestion des comptes RED est simplifié en «ordonnancement des exportations», et un nouvel ordonnancement de Béni Mellal est créé. Enfin, la structuration en deux bureaux distincts («Manifeste» et «GMSAD») est généralisée pour les fonctions communes à Nouasser et à la direction des MEAD de Casablanca.
Le télé-contrôle érigé en pilier
La mutation la plus marquante est l’élévation des centres régionaux de télé-contrôle de Tanger et Casablanca au rang de directions à part entière. Une promotion symbolique et structurelle qui s’accompagne d’un élargissement substantiel de leurs compétences et d’un renforcement de leurs effectifs (adjoints aux ordonnateurs).
À Tanger, l’ordonnancement du télé-contrôle des importations voit son champ étendu aux déclarations «orange» des opérateurs économiques agréés (OEA) et les magasins et aires de dédouanement (MEAD), entraînant la suppression de l’ordonnancement dédié aux OEA.
Dans cette dynamique, Casablanca centralise davantage : la nouvelle Direction du télé-contrôle absorbe des entités auparavant dispersées (Télé-contrôle-Import-Fret de Nouasser, gestion RED de Nouasser et des MEAD Casa, suivi des opérations commerciales), et voit ses ordonnancements fusionnés ou renommés pour couvrir un spectre plus large (exemple : «Télé-contrôle des importations sous RED et des exportations» à Nouasser).
«Cette centralisation du télé-contrôle n’est pas qu’une question de structure ; elle vise une homogénéisation et une accélération du traitement des flux dématérialisés, cœur de la modernité douanière», réagit un analyste.
Rationalisation des contrôles de valeur et gestion RED
Dans les deux régions, une logique de fusion et de simplification s’applique. L’ordonnancement du contrôle de la valeur de Tanger-Med absorbe le bureau correspondant des MEAD/ZAI. À Casablanca, le processus est encore plus intégrateur : l’ordonnancement contrôle de la valeur du port absorbe ceux des MEAD Casa et de Nouasser.
De même, la gestion des comptes RED est concentrée : à Tanger, l’ordonnancement dédié absorbe le bureau des MEAD/ZAI ; à Casablanca, l’ordonnancement gestion des comptes RED du port étend ses attributions à Nouasser et aux MEAD Casa, entraînant la suppression de l’ordonnancement RED de ces derniers.
Pour les entreprises, cela signifie moins d’interlocuteurs éparpillés pour des sujets sensibles comme la valeur ou les régimes suspensifs RED, mais exige une rigueur accrue dans la soumission électronique centralisée.
Implications pour les acteurs économiques
Concrètement, les acteurs économiques doivent anticiper cinq changements majeurs découlant de cette réorganisation.
Premièrement, la reconfiguration des services implique une redéfinition impérative des interlocuteurs. Les entreprises devront mettre à jour leurs cartographies de contacts, car les services fusionnés (comme le contrôle de la valeur ou la gestion des comptes RED) ou supprimés (tels que les ordonnancements dédiés aux opérateurs économiques agréés à Tanger et Casablanca) concentreront désormais les demandes vers les directions du télé-contrôle ou les entités fusionnées. La création de nouvelles structures, comme la sous-direction des voyageurs à Tanger ou la direction préfectorale de Mohammedia, affectera directement leurs utilisateurs spécifiques.
Deuxièmement, la centralisation accrue des flux électroniques au sein des directions du télé-contrôle renforce la dématérialisation comme norme incontournable. Les entreprises devront garantir la fiabilité technique et la conformité réglementaire de leurs transmissions électroniques (déclarations, traitement des circuits «orange», gestion des comptes RED) vers ces plateformes consolidées.
Troisièmement, la rationalisation visant à simplifier le paysage administratif (via des services uniques pour la «Valeur» ou le «RED») exige une adaptation rapide des entreprises aux nouvelles procédures et circuits de ces entités élargies. Si la suppression des doublons (services de ciblage/contentieux) devrait théoriquement fluidifier les processus portuaires, cette transition nécessitera une montée en compréhension opérationnelle immédiate.
Quatrièmement, les évolutions reflètent un focus régional différencié que les entreprises devront intégrer : priorité donnée au scanner à l’export et aux flux voyageurs à Tanger, contre une gestion renforcée de la complexité de Nouasser et l’intégration de territoires comme Mohammedia ou Béni Mellal pour Casablanca.
Enfin, cinquièmement, un déplacement stratégique du risque est observable. Le recentrage sur le contrôle a posteriori piloté de manière régionale, combiné à une analyse du risque consolidée (surtout à Casablanca), devrait réduire les contrôles physiques systématiques au profit d’un ciblage intelligent. Les opérateurs réguliers et conformes bénéficieront d’une fluidité accrue, mais devront anticiper des contrôles a posteriori potentiellement plus approfondis, fondés sur une analyse de données agrégées.
Refonte des contrôles a priori et a posteriori
Une réorientation stratégique du ciblage et du contrôle est observable. Les bureaux du contrôle différé et a posteriori de Tanger et Casablanca sont désormais détachés de leurs directions portuaires respectives pour être rattachés aux services des enquêtes et de l’analyse du risque des directions régionales, sous la nouvelle appellation «Bureau du contrôle à posteriori».
À Casablanca, la fusion va plus loin : les bureaux de contrôle a priori du port, de Nouasser et des MEAD, fusionnent avec le bureau de l’analyse du risque régional, créant un «Bureau de l’analyse du risque et du contrôle a priori».
«Ce rapprochement entre analyse du risque et contrôle a posteriori, et la centralisation régionale du contrôle a priori à Casablanca, indiquent une volonté de pilotage plus stratégique et probabiliste du risque, libérant les services opérationnels des ports pour le traitement fluidifié des flux réguliers», décrypte notre analyste.
Une administration plus centralisée sur le pilotage numérique
En définitive, la réorganisation ambitieuse de l’ADII dans ses deux principales régions logistiques marque une étape clé vers une administration plus centralisée sur le pilotage numérique (télé-contrôle, analyse du risque) et plus efficiente sur le terrain par la suppression de redondances et la fusion de compétences similaires.
Pour les acteurs économiques, l’enjeu immédiat est l’appropriation rapide de ce nouveau maillage douanier. La promesse est une douane plus réactive et moins intrusive pour les opérateurs fiables, grâce au levier numérique et à une gestion du risque plus sophistiquée.
Sa concrétisation dépendra de la communication et de la mise en œuvre opérationnelle de ces mesures par l’ADII, ainsi que de la capacité d’adaptation des entreprises à ces nouveaux circuits. La modernisation douanière, cruciale pour la compétitivité économique marocaine, entre ainsi dans une phase opérationnelle décisive.
Bilal Cherraji / Les Inspirations ÉCO